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Rassemblement du 29 août: le réveil des citoyens

25 août 2020, 22:00

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Rassemblement du 29 août: le réveil des citoyens

«Durant le Covid-19, les décisions gouvernementales prises, notamment par rapport à l’emploi des Mauriciens ont entraîné des conséquences. Voilà que cela se reproduit pour le MV Wakashio. Notre terre souffre. La situation est vraiment grave. Nous venons exprimer notre colère», lance Ameegah Paul, trésorière de l’Association pour la protection des droits des handicapés (APDH). Avec les membres de cette ONG, elle participera à la marche du samedi 29 août à Port-Louis. Pour elle, cette marche permettra aux citoyens d’exprimer leurs griefs. «L’État ne nous prend pas au sérieux. On n’a plus peur des arrestations. Le bien-être du pays passe avant tout», explique-t-elle. 

Une préoccupation qui anime aussi Shaama Sandooyea, 23 ans, membre de Fridays for Future. Pour elle, le déversement d’hydrocarbures du MV Wakashio dans la région du Sud-Est a été «la goutte d’eau qui a fait déborder le vase. Les Mauriciens en ont marre de telles souffrances. Je suis encore jeune. Je vois mon pays couler. Cela me dérange énormément. Ce faisant, mon avenir s’écroule aussi. On doit rappeler aux décideurs qu’ils travaillent pour les Mauriciens. On est là pour montrer notre solidarité avec les gens affectés par ce problème». 

Pour sa part, Aman Ramchurn, agriculteur, attend de pied ferme samedi. «On a monté un groupe pour aider des gens durant le Covid-19. Et en tant qu’agriculteur, on est au coeur de l’écologie. Comment et pourquoi ce navire est-il venu ici ? Et qui plus est, il a déversé de l’huile lourde dans notre lagon. Pour beaucoup de Mauriciens, l’environnement représente notre gagne-pain. Pour certains, c’est la mer. Et pour d’autres : la terre. On veut des réponses. On doit réagir», indique-t-il. 

Pour Bruneau Laurette, Operation Leader for Anti-Piracy in the Horn of Africa et initiateur de cette marche du 29 août, le réveil des Mauriciens traduit «un ras-le-bol vis-à-vis des injustices». 

En marge de la marche, les participations se multiplient. Rigg Needroo, administrateur de la page Sel Solution Revolution sur Facebook, est sûr d’avoir pu mobiliser 40 000 Mauriciens, soit 30 000 vivants à Maurice et 10 000 de la diaspora mauricienne à l’étranger. Ces derniers parraineront les participants locaux pour le transport, entre autres. «On vient dénoncer les maldonnes et crier notre frustration. Ce sera pour le MV Wakashio et d’autres enjeux comme la Covid Act, les scandales, le gaspillage de nos ressources, etc. On a besoin de vérité et de transparence», indique-t-il. D’après lui, ces 40 000 Mauriciens sont issus de toutes les communautés de l’île. 

Selon les dires des interlocuteurs susmentionnés, les possibles arrestations et représailles n’effraient plus. «La frustration est plus forte que la frayeur. C’est pour cela que les gens descendent dans la rue. Tout est mûrement réfléchi», ajoutent nos interlocuteurs. 

Les syndicalistes et travailleurs sociaux ne sont pas en reste. Pour Rashid Imrith du Kolektif Konversation Solider, mouvement à l’origine du rassemblement du 11 juillet, les citoyens sentent que leurs droits sont lésés. «Ils prennent conscience que plus ils se taisent, plus ces droits acquis seront remis en question. Un grand danger guette la population. Si on aime la liberté et la solidarité, il faut se mobiliser.» 

Et la défense de ces droits se situe à plusieurs niveaux. Dany Philippe, coordinateur à Développement rassemblement prévention information (DRIP), sera présent à la manifestation comme travailleur social, surtout par rapport aux fléaux comme la drogue, la pauvreté etc. «Que ce soit pour le désastre du MV Wakashio ou la démolition des maisons des squatteurs, les Mauriciens doivent marcher. Il faut s’élever contre les conditions de vie de ces habitants, de ces enfants à Pointe-aux-Sables. Il y avait un forum sur le logement, le 19 août, mais aucune de ces personnes n’a pu y participer et faire état de leurs difficultés. Tout cela nous met en colère», souligne-t-il. 

Comment cette manifestation va-t-elle changer les choses ? «Cette marche sera symbolique et montrera la solidarité des Mauriciens. Elle attirera l’attention et aura une portée internationale», déclare Shaama Sandooyea. Quant à Rigg Needroo, il va aussi loin qu’espérer un retrait du gouvernement après cette marche. «Notre message est pour tout gouvernement qui sera en poste. Le pouvoir est entre les mains du peuple», précise-t-il. Pour Rashid Imrith, ce mouvement incarne une plateforme permanente pour les revendications. 

Quant à Bruneau Laurette, il affirme que la marche caractérise une «force multipartite et multiethnique qui se mettra en place». «Peut-être que cela ne va pas changer grand-chose immédiatement mais l’impact sera considérable dans les semaines à venir», estime-t-il. Puisqu’au mystère de l’échouement du MV Wakashio se sont greffées de nombreuses autres causes, est-il dépassé par la tournure des évènements ? «Je ne dirai pas que je suis dépassé mais agréablement surpris oui, de voir tous ceux qui se rallient à la cause. C’est une lueur d’espoir pour Maurice.»

De la Cathédrale St Louis à la rue Dr Ferrière

Après que la manifestation organisée par Bruneau Laurette a été autorisée par le commissaire de police, le trajet de la marche a été finalisé mercredi dernier. Les organisateurs ont donné rendez-vous au public dans la cour de la Cathédrale St Louis à 13 heures, alors que la dispersion est prévue à 16 heures à la rue Dr Ferrière. L’itinéraire est comme suit : 

  • Cathédrale St Louis 
  • Rue Pope Hennessy 
  • Rue Jules Koenig 
  • Rue La Chaussée 
  • Rue Edith Cavell 
  • Rue John Kennedy 
  • Rue Dr Ferrière 

Selon les instructions du bureau du commissaire de police, les participants devront rester sur le côté gauche de la route et laisser l'autre moitié libre afin de faciliter la circulation des voitures et autres véhicules. Il est également demandé de respecter les normes environnementales. En effet, selon l’Environmental Protection Act de 2008 et l’Environmental Standards Noise Regulations de 1997, le bruit ne doit pas dépasser plus de 60 décibels entre 7 et 18 heures afin de ne causer aucun désagrément au voisinage. De plus, aucun attroupement n’est permis après 16 heures à la rue Dr Ferrière.

Un mécontentement sans precedent

Pour des observateurs politiques qui ont analysé de près plusieurs mouvements de contestation populaire depuis les années 1970, ce qui se passe actuellement résulte d’une combinaison de facteurs sans précédent. L’agitation de 1970-71 avait été causée par une crise économique d’une extrême gravité avec un fort taux de chômage chez les jeunes. Aussi pour aggraver la situation, la coalition historique entre le Parti travailliste (PTr) et son allié CAM avec le PMSD avait créé un vide politique. 

En 1975, ce fut surtout une révolte des jeunes unis dans la même détermination, même si les parents soutenaient les différents partis politiques. Le MMM récupéra en grande partie cette agitation des jeunes et le slogan sel solution révolution fut conçu par des militants. 

L’agitation 1979-82 fut en grande partie causée par deux dévaluations successives de la roupie, un fort taux de chômage et la naissance d’une nouvelle opposition politique musclée constituée par les nouveaux alliés MMM-PSM, ce dernier parti représentant la dissidence travailliste. 

L’agitation version 2020 est surtout causée par le nouveau style autoritariste de gouvernement, la concentration du pouvoir politique entre les mains d’une seule famille s’appuyant sur un réseau de nominés dans toutes les institutions du pays exception faite du bureau du DPP, une profonde inquiétude sur le plan économique comme symbolisé par la banqueroute d’Air Mauritius, un taux de corruption sans précédent dans l’histoire du pays, une dégradation vertigineuse de l’image de marque du pays sur le plan international, un regroupement historique du PTr, du MMM et du PMSD et enfin la révolution des réseaux sociaux et des médias électroniques avec accès à des sites à l’étranger, ce qui rend totalement impotente la tentative du gouvernement de contrôler l’information à travers la MBC et certains médias acquis à sa cause.

 

 

 

Diversion du PMO ? 

<p>Au PMO et au Sun Trust, l&rsquo;on craint la grosse mobilisation en cours autour de la marche du 29 août. Ainsi nos recoupements indiquent que la police serait utilisée pour décourager ceux qui hésitent encore s&rsquo;ils iront marcher ou pas. L&rsquo;arrestation des frères Dardenne s&rsquo;inscrirait, selon nos sources, dans cette démarche. La mise en garde dans la presse du nouveau commissaire de police, selon laquelle <em>&laquo;aucune forme de violence ne sera tolérée&raquo;</em> vient ajouter au climat social, alors qu&rsquo;il est clair dès le début que c&rsquo;est une marche pacifique. Au moins un conseiller en communication pencherait pour une <em>&laquo;diversion&raquo;</em> en allumant le feu à une actualité parallèle. Dans ce cas, il se pourrait qu&rsquo;il y ait, par exemple, un rebondissement dans le <em>St Louis Gate</em>, avec l&rsquo;arrestation d&rsquo;au moins deux protagonistes, indique-t-on du côté des autorités.</p>

 

 

 

Habits noirs et quadricolore pour les partis de l’opposition

L’opposition parlementaire a déjà confirmé sa participation à la marche de samedi, mais les dirigeants des trois partis insistent qu’ils le feront sans attendre des gains politiques en retour. Patrick Assirvaden, le président du Parti travailliste (PTr), affirme que les rouges seront aussi en noir. Il demande également à leurs partisans, qui feront le déplacement à Port-Louis de porter du noir. «C’est une marche citoyenne organisée par un citoyen. C’est apolitique», dit-il. Lors de cette marche, les membres et les partisans du PTr, ne brandiront pas l’emblème de leur parti mais le quadricolore. «Nous ne voulons pas en tirer un capital politique. C’est une démarche nationale», ajoute le député. D’ailleurs, les trois leaders, ainsi qu’Arvin Boolell, le leader de l’opposition, en ont discuté durant le week-end écoulé. 

Le leader du PTr, Navin Ramgoolam, a déjà invité tous les citoyens à rejoindre cette cause. «L’heure est grave et nous devons agir tous ensemble et au plus vite pour sauver notre patrie d’un naufrage à venir par un apprenti capitaine d’opérette, qui brille par son incompétence.» C’est ce qu’a posté le leader du PTr sur sa page Facebook en invitant les Mauriciens à participer à la marche où il sera lui-même présent. Il a d’ailleurs précisé que sa démarche est celle d’un «simple citoyen.» 

Le leader du Parti mauricien social-démocrate (PMSD), Xavier Duval, a aussi confirmé sa présence, de même que celle d’autres dirigeants du parti. Il affirme qu’il sera parmi la foule et pas nécessairement avec les partisans bleus. «D’ailleurs, c’est une démarche citoyenne et nous participerons à cette marche comme des citoyens pour protester contre la dérive des autorités», précise-t-il. Et d’ajouter que comme tous les autres participants, il demande à ceux du PMSD de s’habiller en noir, de porter des masques noirs et de se munir d’un drapeau national. 

Le leader adjoint du Mouvement millitant mauricien (MMM), Ajay Guness, affirme que tous les dirigeants du parti, dont le leader Paul Bérenger, seront présents à cette marche. «Autant que je sache, il n’y a pas de place réservée et nous serons parmi la foule, certainement pas en tête car cela reviendra aux initiateurs de l’évènement.» Ajay Guness soutient que cette marche est loin d’être un geste politique et les partisans du MMM sont invités à porter des habits de couleur noire et d’y venir avec le quadricolore. «Il y a une grande tristesse parmi une grande majorité de Mauriciens neuf mois seulement après les dernières élections générales.» Il ajoute que son parti ne veut pas tirer un capital politique de cette marche car la grosse majorité de Mauriciens en ont assez du régime en place. 

Le Reform Party de Roshi Bhadain sera également de la partie. «Il se passe des choses trop graves à Maurice depuis un certain temps. Chaque Mauricien doit agir en tant que patriote en participant à cette marche», dit-il. Il sera en noir, tout comme ses partisans et avec le drapeau national.

Les internautes ne sont plus intimidés

Hors de question pour les internautes d’être passifs devant ce qu’ils jugent être des «actes d’intimidation». Depuis quelques mois, ils n’hésitent pas à exprimer sur les réseaux sociaux leur colère, leurs frustrations et leur ras-le-bol à l’égard de l’action du gouvernement. 

Parmi, on retrouve Rachna Seenauth, qui avait passé une nuit en cellule en avril dernier pour «breach of ICT Act» à la suite d’une plainte de Kaushik Jadunundun, connu pour sa proximité avec le Premier ministre, Pravind Jugnauth. Malgré cet épisode marquant, la jeune femme est toujours aussi active sur Facebook, et l’est plus encore depuis l’échouement du vraquier MV Wakashio. Le déversement d’hydrocarbures dans le lagon du Sud-Est et la gestion de toute l’affaire l’ont fortement perturbée. «Certes, je suis plus attentive à ce que j’écris en ligne mais pourquoi avoir peur ? Les Mauriciens ne sont pas des moutons. Au contraire, c’est un message non seulement au gouvernement actuel mais également à tout prochain gouvernement. Morisien pa pou res le bra krwaze kan zot fane !» Rachna Seenauth souhaite d’ailleurs que la marche de samedi soit avant tout «une victoire du mauricianisme». 

Ce «mème», faisant référence aux amendements apportés à l’«ICT Act» en 2018, circule sur les réseaux sociaux.

Le mois dernier, c’était au tour de l’internaute Fariha Ruhomally de se faire arrêter après une plainte de Tania Diolle pour «annoyance». Onze policiers avaient débarqué chez l’internaute tôt le matin. Mais la femme maintient qu’elle n’a rien fait de mal et accentue sa présence sur Facebook. Son mari, Hassenjee Ruhomally, se demande aujourd’hui, si comme dans le cas des frères Dardenne, la police n’avait pas de mandat d’arrêt pour son épouse. «C’est très grave.» 

Selon Rigg Needroo, le fondateur du groupe Sel Solition Revoluion, il y a certes une crainte de représailles parmi la dizaine d’administrateurs mais il rappelle qu’il a créé le groupe avec un objectif : informer la population et leur permettre de s’exprimer sans dénigrer qui que ce soit. Les discours haineux ou le bullying sont d’ailleurs interdits dans le groupe. «Ce n’est pas parce qu’on publie quelque chose contre le gouvernement qu’il s’agit automatiquement d’une violation de l’article 46 de l’ICT Act. On peut s’exprimer dans la simplicité.» 

Mohammad Fardeen, l’un des administrateurs, s’aligne sur les positions de son collègue. «Oui, il y a une crainte de représailles mais nous sommes tous motivés par l’envie de nous diriger vers une meilleure île Maurice.»