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Hécatombe: le nombre de dauphins morts passe à 38

28 août 2020, 14:30

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Hécatombe: le nombre de dauphins morts passe à 38

Ce que craignaient la population et les écologistes marins est arrivé. Des carcasses ensanglantées et déchiquetées de neuf autres dauphins d’Électre ont été retrouvées sur les rivages de Petit-Sable et Grand-Sable hier. Et ce vendredi 28 août, selon le dernier bilan à 13h45, onze autres ont été retrouvés, portant le total à 38 cétacés.

 Des habitants d’à côté se sentent impuissants. Pour Dineshwar Boodnah, pêcheur de l’endroit, c’est du jamais-vu. «Zamé inn ariv sa dan landrwa. Bien tris», a-t-il déclaré avant que les officiers de la National Coast Guard (NCG) ne les ramassent. Même si un habitant de Bambous-Virieux se rappelle, lui, d’une telle catastrophe, en 2005. Ils sont tous perplexes sur les causes de cette tragédie qui survient dans la région affectée par quelque 1 000 tonnes métriques de fioul échappées du MV Wakashio.

Même si les autorités affirment que le naufrage du vraquier n’a rien à voir avec la mort des mammifères marins, nombreux sont ceux qui pensent que son sabordage à quelques dizaines de kilomètres de la côte, couplé au déversement de fioul, a engendré ce phénomène. «Nou népli koné nou mem. Pa pé konpran ki pé arivé. Sa bann dofin-la pa abitié vinn par la. Zot res an group dan gran délo. Fodé inn ariv kitsoz pou zot vinn par la», soutient Deeraj Mungur, également de la région.

Le rapport de la nécropsie réalisée sur les cadavres, mardi soir, au centre de recherches d’Albion est toujours attendu. Les échantillons prélevés lors de cet exercice seront envoyés à l’étranger pour des analyses plus approfondies. En attendant, les 27 cadavres seront transportés au centre d’enfouissement de Mare-Chicose pour y être incinérés.

Des spécialistes des pathologies marines réclament la prudence

«Il ne faut pas se précipiter pour dire qu’il n’y a aucun lien avec le Wakashio», nous dit Noémie Hofman, vétérinaire et spécialiste en pathologies de mammifères marins à Avignon, en France. «Pour arriver à une conclusion définitive, dit-elle, il faut une autopsie complète sur plusieurs dauphins, deux étant trop peu, et avec des analyses toxicologiques et histopathologiques. Ce qui prend beaucoup plus d’une journée».

Donc, autopsie incomplète ? Nous avons posé la question à Owen Lee Griffiths, un Australien établi à Maurice et grand connaisseur et amoureux des cétacés : «C’est vrai, la nécropsie ne sera complétée qu’avec les résultats toxicologiques et histopathologiques provenant de l’étranger.» Un autre expert international nous fait comprendre que les dauphins et même les autres espèces marines ont tendance à éviter les nappes polluées de pétrole.

Cependant, Vincent Florens, professeur agrégé en écologie à l’université de Maurice, déclare : «Bien que ce soit vrai, on ne peut exclure une contamination par la marée noire. Je pense donc qu’il vaut mieux attendre tous les résultats. Les analyses nous renseigneront si ce sont bien les hydrocarbures qui ont tué ces mammifères. D’autre part, même s’il y a des traces d’huile sur le corps ou dans la bouche ou le poumon du mammifère, il faut connaître la cause exacte des décès.»

Noémie Hofman affirme aussi qu’il est possible que les dauphins ne présentent pas de lésions pulmonaires car les traces visibles d’hydrocarbures pourraient avoir été expulsées lors de l’expiration du cétacé quand il émerge ou après qu’il a nagé dans de l’eau propre. «Il faut analyser non seulement la bouche mais aussi les évents. Pour cette spécialiste, ces 25 dauphins peuvent aussi avoir été affectés, le cas échéant, par la déflagration d’explosifs installés sur le Wakashio pour le couler ou ailleurs par d’autres.»

L’expert international que nous avons contacté abonde dans le même sens. «Ces explosions provoquent des ondes de choc qui pourraient avoir touché l’oreille interne, très sensible, des dauphins. Ces animaux vivent uniquement au grand large et ne viennent pas normalement s’aventurer dans les lagons. À la suite d’une lésion de leur système auditif et donc de guidage, il se pourrait qu’ils aient perdu le Nord et se seraient dirigés vers notre lagon. Ensuite, ils se seraient retrouvés dans l’impossibilité d’en sortir justement en raison de l’atteinte à leur sens de l’orientation.»

Pour lui, dans cette situation de faiblesse, les requins les auraient attaqués, d’où les traces de morsure et ils seraient alors morts de fatigue et de stress cardiaque. C’est pourquoi, explique l’expert, il fallait s’assurer que des animaux marins ne soient pas présents autour du Wakashio lors du sabordage.

Comment ? «Il suffit d’observer visuellement ou acoustiquement. S’il y en a dans un périmètre de deux à trois kilomètres, il faut attendre que ces animaux s’éloignent avant de détonner les explosifs.» A-t-on pris toutes ces précautions ? Une source du ministère de la Pêche nous dit qu’il n’y avait pas un seul officier du ministère sur le site du sabordage ! Pour Vincent Florens, une fois de plus, les résultats nous diront si l’oreille interne des dauphins a été affectée par les détonations du Wakashio.

Ou, pourquoi pas, par d’autres activités marines ? Selon nos informations, des études sont actuellement entreprises par des chercheurs indiens dans nos eaux. Les sonars utilisés auraient-ils pu affecter les dauphins ? Vincent Florens explique que, généralement, ce genre d’études qui nécessitent parfois de petites explosions pourrait affecter négativement les dauphins et être une cause d’échouage. Tout en concédant que ces échouages demeurent un mystère.

L’association réunionnaise Globice, qui a été consultée et à tenu une réunion en visioconférence avec les acteurs mauriciens, mercredi, estime aussi qu’il est trop tôt pour un lien direct avec le Wakashio. Mais elle rappelle que l’hécatombe de 2005 avait été causée par une explosion sous-marine. Les dauphins d’Électre sont extrêmement sensibles à la pollution sonore. Il faudra poursuivre l’analyse des lésions, notamment de la bulle tympanique (auditive), pour savoir s’il y a eu une atteinte au système auditif des dauphins. Causée par une déflagration, un vraquier de 200 mètres qui sombre ? Seulement voilà, Yan Von Arnim, de la Mauritius Marine Conservation Society (MMCS), déclare qu’il n’y a pas eu ni explosifs ni sonars utilisés pour couler le vraquier, selon ce que lui aurait dit l’équipe de salvagers. Nous avons tenté en vain d’obtenir confirmation de ses dires auprès des autorités concernées. Ce que l’on sait à l’officiel, c’est que le vraquier a pris cinq jours pour couler au large de la côte où ont été retrouvés les cétacés, et qu’il a fallu remplir les cales d’eau et y percer des trous.

Tout comme Vincent Florens, Noémie Hofman demande que l’on attende les résultats des analyses toxicologiques et histopathologiques au cas où ces rapports sont rendus publics. «Il n’y a aucune raison de ne pas les divulguer car ils ne concernent pas des humains dont la famille pourrait en souffrir», nous dit-elle. Mais politiquement, cela pourrait l’être !

Les experts mauriciens présents à la nécropsie sont-ils indépendants ?

Des commentaires jugés «maladroits» tenus à la première conférence de presse du ministre Sudheer Maudhoo par des «experts», dans la soirée du mercredi, 26 août, quelques heures seulement après l’échouage des 18 dauphins dans le lagon de Pointe-aux-Feuilles, ne sont pas passés inaperçus. Vested interest de leur part ou pas ? Nombreux sont ceux qui demandent, aujourd’hui plus que jamais, une indépendance dans les analyses.

Vassen Kauppaymuthoo, océanographe et ingénieur en environnement, n’est pas passé par quatre chemins. «On vient dire qu’il n’y a pas de lien direct, mais c’est quand même une drôle de coïncidence que ces échouements interviennent après le naufrage du Wakashio.» Il indique qu’il faut garder en tête qu’il n’est pas évident de déterminer la toxicité du pétrole à cet endroit. Si 50 % s’évaporent, plusieurs molécules y subsistent. «Je suis surpris de la position des autorités surtout qu’à mercredi soir, tous les détails n’étaient pas encore connus.» Pour ce qui est de ses collègues scientifiques, Jacqueline Sauzier, Yann Von Armin et Hugues Vitry, présents aux côtés du ministre de la Pêche, l’océanographe soutient qu’ils auraient dû s’abstenir de tout commentaire à ce stade. Du moins jusqu’à ce que les résultats soient finalisés. «On a l’impression qu’ils ont été placés comme dans une vitrine pour assurer que le gouvernement a raison dans ses dires. J’estime que c’est maladroit de leur part et qu’il fallait plus que jamais dans ces moments-là, rester neutres et indépendants. Faire son travail sans s’associer au gouverne- ment, aux autorités ou encore à l’opposition. Il aurait fallu qu’ils attendent que tous les détails soient disponibles avant de venir de l’avant», insiste-t-il.

De son côté, Sébastien Sauvage, d’Eco-sud, insiste pour que les résultats soient dévoilés en toute transparence. «S’il y a des vested interests ou pas, c’est à eux de le déclarer, pas nous. Je ne peux pas venir contester leur indépendance. Toutefois, ce que je demande, c’est que des contre-autopsies soient entreprises par des experts indépendants, autres que les Fisheries. Elle n’est pas suffisante.» Carina Gounden, écologiste, est également très remontée contre les propos de cette conférence de presse, qui viennent dédouaner partiellement le MV Wakashio. «On a l’impression qu’ils veulent retirer complétement Wakashio de l’équation, pourquoi ?»

Yan Von Arnim reconnaît qu’il est consultant externe à La Ferme Marine de Mahébourg. «Comme je le suis pour d’autres entreprises et institutions. Et alors ? Je ne comprends pas ces attaques.» Il souligne que les représentants de la MMCS n’ont jamais dit qu’il n’y avait pas de lien entre l’échouage des dauphins et le Wakashio mais qu’il n’y avait pas ni lien direct ni preuve directe de ce lien. De plus, «les fermes marines n’attirent pas les dauphins, en tout cas, pas ces dauphins retrouvés morts», indique-t-il. «En fait, les dauphins se réfugient dans les fermes car ils sont harcelés aussi par les bateaux de plaisance et de tourisme. C’est ça la vérité.» Il demande qu’on le dissocie de la politique. Quant à Jacqueline Sauzier et Hugues Vitry, ils n’ont pas donné suite à nos nombreux appels depuis hier matin.