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Crise de confiance: les conséquences économiques

2 septembre 2020, 22:10

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Crise de confiance: les conséquences économiques

Experts économiques et observateurs de la société sont catégoriques : la marche citoyenne du 29 août est venue rompre le contrat de confiance entre la population et le gouvernement de Pravind Jugnauth. Et ce moins d’une année après sa prise du pouvoir. Résultat des courses : l’économie déjà en crise après l’effet du Covid-19 risque de sombrer davantage alors que les opérateurs s’interrogent encore sur les fameuses mesures de relance. 

Déjà élu avec un tiers de l’électorat en novembre 2019, l’Alliance gouvernementale est fortement secouée depuis samedi dernier par cette manifestation citoyenne, déclenchant ainsi le début du printemps mauricien. À la base : la marée noire à Pointe d’Esny occasionnée par l’échouement du Wakashio et le déversement d’hydrocarbures. Conséquence : une catastrophe écologique qui aurait pu, selon les experts, être évitée sans l’immobilisme du gouvernement. 

Mais au-delà du Wakashio et de ses effets sur l’environnement territorial et marin, la colère de la foule samedi, largement représentative de la population, est l’accumulation des frustrations liées à la mauvaise gouvernance du pays et de la gestion hasardeuse de la crise sanitaire et économique. 

«Maurice est à un tournant décisif de sa stabilité économique. La confiance, qu’elle vienne de la part d’investisseurs étrangers, de la communauté internationale, des clients, de partenaires commerciaux, d’entrepreneurs ou encore de la population, découle des attentes qui dépendent elles-mêmes des faits et de la perception de la capacité du pays à montrer des résultats», constate l’économiste Rajeev Hasnah. D’ajouter que depuis le début 2020, une succession d’événements ainsi que des policy decisions prises ont impacté la perception de l’économie mauricienne à répondre véritablement aux exigences de ces acteurs économiques. 

Or, après le réveil citoyen désavouant le gouvernement, est-ce que les investisseurs locaux et internationaux continueront à faire confiance à un pays où ses dirigeants ne jouissent plus de l’estime de la population et où leur capacité à gérer les affaires du pays est mise en cause ? L’économiste et l’ancien gouverneur de la Banque de Maurice Rundheersing Bheenick se demande «si dans cette atmosphère délétère et lourde, on a toujours quelques “unique selling points” pour attirer des flux d’investissements vers un pays qui se trouve dans cette fâcheuse posture».

Cela d’autant plus qu’un des critères considérés par des investisseurs quant au choix d’investir est la gouvernance du pays. Et l’ex-ministre du Plan et du Développment économique de s’interroger si le terme s’applique toujours à ceux au pouvoir et qui font tout sauf «gouverner». Alors que Marc Hein, Chairman de Jurisconsult, trouve que les étrangers et les expatriés vénèrent la stabilité sociale et économique et ne font que réclamer le respect de l’État de droit et la bonne gouvernance dans tous les secteurs. «Ayant investi leur argent ou encore leur labeur et leur vie familiale à Maurice, ils espèrent que cela portera des fruits et non le contraire.» 

Eric Ng, économiste, pousse sa réflexion plus loin pour affirmer que si jusqu’au naufrage du Wakashio, les investisseurs étrangers ne regardaient que les indicateurs «Ease of Doing Business», tel ne serait pas le cas aujourd’hui. «Maintenant que les médias internationaux resteront braqués sur Maurice, dévoilant ses facettes cachées, les facteurs sociaux et environnementaux pèseront sur la décision d’investir. Dans les relations commerciales aussi, les grands noms de la mode pourraient être embarrassés par la mal gouvernance de Maurice comme par les droits humains en Chine.» (Voir plus loin son analyse économique de la marche citoyenne). 

Encore que d’autres défis viennent s’ajouter aux ingrédients pour faire monter la mayonnaise. Rajeev Hasnah souligne à cet effet l’inclusion de Maurice sur la liste noire de l’UE qui pourrait anéantir le Global Business avec ses conséquences sur le secteur bancaire si le gouvernement ne parvient pas à en extirper Maurice. Tout comme les Rs 140 milliards de la Banque centrale pour bail out l’économie et les entreprises systémiques et dont la rationalité de cette opération nuira pendant longtemps à l’indépendance et à la crédibilité de cette institution financière. 

Voulant garder l’anonymat, cet économiste abonde dans le même sens. Il semblerait, ditil, que le gouvernement soit coupé de la réalité. Selon lui, le pays est dans un état d’urgence économique, vit sur la dette et emprunte pour financer les dépenses courantes. «La situation économique deviendra de plus en plus critique. Car audelà de la crise économique, le pays est entré de plain-pied dans une instabilité politique avec une frange importante de la population dénonçant ouvertement la gestion des affaires du gouvernement.» Et l’économiste de noter, en s’appuyant sur d’autres analyses, que le pays se dirige vers une faillite économique. 

Si l’histoire retiendra qu’Anerood Jugnauth aura été l’architecte du développement économique, son fils ne doit surtout pas quitter la scène politique comme étant le démolisseur de cette architecture.

 

 


L’impact économique disséqué par Eric Ng Ping Cheun

<p>Le retentissant succès de la marche citoyenne du 29 août marque un tournant sous la présente législature. Au plan politique, il constitue un cinglant revers pour le gouvernement malgré les campagnes de peur, de dénigrement et de diversion visant à décourager les gens à se joindre à la manifestation. Si le pouvoir politique a pris acte de ce signal très fort de la rue, cela n&rsquo;augure rien de bon pour l&rsquo;économie mauricienne. Un gouvernement impopulaire, à peine dix mois après son installation, est même dangereux pour le monde des affaires, car il fera tout, pendant encore quatre longues années, pour amadouer le peuple par des mesures populistes susceptibles d&rsquo;aggraver la situation économique. On pensait que les prochains budgets de Padayachy ne pourraient pas être plus mauvais que son premier, mais il faut maintenant envisager le pire, c&rsquo;est-à-dire subir plus de taxes pour financer davantage de dépenses sociales.&nbsp;</p>

<p>Désormais, l&rsquo;État ne pourra que compter sur lui-même pour relancer l&rsquo;économie. Lors de l&rsquo;inauguration du Boulevard de Mont Choisy, le Premier ministre devait reconnaître que <em>&laquo;le gouvernement dispose de moyens financiers limités&raquo;, et que &laquo;l&rsquo;investissement du secteur privé doit s&rsquo;accroître plus rapidement&raquo;</em>. Or il est un fait que les investisseurs sont frileux devant un gouvernement affaibli par la pression de la rue. L&rsquo;investissement privé hors immobilier s&rsquo;enlisera.&nbsp;</p>

<p>Jusqu&rsquo;au naufrage du <em>&laquo;Wakashio&raquo;</em>, les investisseurs étrangers ne regardaient que les indicateurs <em>Ease of Doing Business,</em> misant naïvement sur une paix sociale durable dans le pays. Maintenant que les médias internationaux resteront braqués sur Maurice, dévoilant ses facettes cachées, les facteurs sociaux et environnementaux pèseront sur la décision d&rsquo;investir. Dans les relations commerciales aussi, les grands noms de la mode pourraient être embarrassés par la mal gouvernance de Maurice comme par les droits humains en Chine.&nbsp;</p>

<p>Un ressort, celui de la confiance, s&rsquo;est cassé entre le peuple et le gouvernement, déjà gêné aux entournures par le Covid-19, le Saint-Louis Gate et la liste noire de l&rsquo;Union européenne. L&rsquo;État aura du mal à favoriser la coopération humaine, seule à même de redresser l&rsquo;économie, si les dizaines de milliers d&rsquo;employés qui ont manifesté samedi dernier cessent d&rsquo;être productifs au travail par défiance au gouvernement. Que le politique ne tente pas de jouer le social contre l&rsquo;économique : il perdra sur les deux tableaux.</p>