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Droit de vote à la diaspora: une question qui divise toujours
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Droit de vote à la diaspora: une question qui divise toujours
À chaque échéance électorale, le sujet revient sur le tapis. Devrait-on donner le droit de vote aux Mauriciens expatriés ? La marche citoyenne suivie dans au moins dix autres pays rouvre le débat.
Alors que plus de 75 000 Mauriciens scandaient «Bour li déor» dans les rues de la capitale le 29 août, des centaines d’autres manifestaient, au même moment, pour la même cause à travers le monde. C’était la première fois que la diaspora faisait entendre sa voix de manière aussi sonore sur un problème local. Dès lors, le débat est relancé. Les Mauriciens à l’étranger devraient-ils avoir le droit de voter ? Ont-ils leur mot à dire dans le choix du gouvernement ? Si les principaux concernés affirment que oui, la question ne fait toujours pas l’unanimité.
Charlène Rose, 30 ans, vit en France depuis plusieurs années. Elle estime qu’il est tout à fait normal d’avoir le droit de voter même à l’étranger, car c’est un droit du sol. Didier Castagnet est, lui, au Canada. Il pense que le droit de voter doit être donné à la diaspora sous certaines conditions, comme le nombre de jours passés sur le territoire, un peu comme cela fonctionne pour le système de naturalisation au Canada. Noëlla, qui vit aussi au Canada depuis longtemps, avance que les décisions prises par le gouvernement ont un impact direct non seulement sur sa famille, mais aussi sur le patrimoine du pays, d’où le fait que la voix de chaque Mauricien compte.
Pour Fezal Jeerooburkhan, de Think Mauritius, donner le droit de vote aux Mauriciens de l’étranger aura un avantage certain. «Ce sont des personnes qui n’ont pas la tête dans le guidon en ce qui concerne les décisions. Elles analysent les faits dans leur globalité et sont moins partisanes», explique-t-il. «Puis, c’est un fait qu’à l’extérieur, les Mauriciens se définissent comme Mauriciens plutôt que par leur appartenance ethnique, ce qui est souvent malheureusement le cas ici», rajoute-t-il. De plus, dit Fezal Jeerooburkhan, beaucoup de nos compatriotes à l’étranger sont des personnes qui ont quitté le pays pour des études et qui poursuivent des carrières dans des domaines inexistants ici. Selon lui, cela octroie une capacité de réflexion et de jugement totalement différente de l’électorat local, ce qui est un plus au moment de passer aux urnes.
Pas de solutions claires
Mais d’autres observateurs politiques se montrent plus prudents. Dans l’absolu, Cassam Uteem est d’accord pour l’octroi de ce vote. Cependant, l’ancien président de la République dit que la question doit absolument passer par un débat au préalable car il y a plusieurs paramètres à définir. «Il faut trouver la bonne formule de participation. Par exemple, est-ce que quelqu’un qui a émigré il y a 50 ans devrait compter parmi les électeurs ?» Il estime qu’il est possible d’aller de l’avant, mais il faut que le processus choisi fasse consensus.
Cependant, est-ce qu’on peut aborder cette question alors qu’il n’existe aucune statistique par rapport à la diaspora, demande Kris Valaydon, juriste et démographe. «Rien n’existe sur le plan institutionnel, même pas une statistique liminaire. Donc, la question du droit de vote de la diaspora, qui est officiellement inexistante, n’existe pas», avance-t-il. Pour rappel, s’il n’y a pas de chiffres officiels concernant la diaspora, la fourchette souvent évoquée va de 200 000 à 500 000.
Pour en revenir au problème de base, plusieurs systèmes ont été évoqués. Rama Sithanen, docteur en sciences politiques, estime que le problème est bien plus compliqué qu’il n’en a l’air. «Est-ce que ce sera équitable par rapport à la population locale ?» Milan Meetarbhan, constitutionnaliste, revient sur ce point. Une formule possible est de rattacher chaque électeur à la circonscription où il vivait avant de quitter le pays. Mais un autre problème se pose. Plusieurs circonscriptions comptent peu d’électeurs. «Prenons l’exemple d’une circonscription qui compte environ 20 000 électeurs. Puis, il y a les cas où l’écart entre le troisième et quatrième candidat est très minime. Donc, les voix peuvent faire basculer les résultats. Est-ce que les habitants accepteront que leurs députés soient choisis par des gens qui ne sont pas sur le territoire?» Milan Meetarbhan va plus loin en se demandant si la population de l’île acceptera que le gouvernement soit choisi par des voix qui ne sont pas directement concernées par les décisions. Cette logique de chiffres et de démographie électorale est soutenue par Kris Valaydon aussi.
Mais il y a bien des pays qui le font. Comment cela se passe ? Les deux spécialistes expliquent que dans les pays où la diaspora peut voter, le nombre d’électeurs se compte en dizaines de millions. Cependant, vu la taille de Maurice, cet apport de vote est trop important pour être pris à la légère.
Représentation et impôts
L’autre question posée par Rama Sithanen est le paiement des impôts. La diaspora paie ses taxes ailleurs donc, peut-elle voter à Maurice ? Il rappelle que dans le cas des Américains, peu importe leur pays d’adoption, ils paient des taxes aux USA, donc cette question ne se pose pas. «La question de représentation et impôts est primordiale. Comment rétablir l’équilibre entre les deux types de voix ?» Autre problème que voit le spécialiste sur la question est la descendance. Est-ce que ce droit sera accordé uniquement à la personne qui a quitté le pays ? Ses enfants et petits-enfants auront-ils aussi leur mot à dire ? «Il ne faut pas que le système soit injuste. Gardons en tête que certains Mauriciens à l’étranger, à ce moment-là, voteront dans leur pays d’adoption et à Maurice.» Cependant, même s’il ne paye pas de taxes à Maurice, Didier Castagnet, résident du Canada, rappelle que l’apport financier de la diaspora est plus que considérable. Pour mémoire, selon le bulletin trimestriel de la Banque de Maurice, entre juillet et septembre 2019, la diaspora avait rapporté Rs 671 millions à Maurice.
De toute façon, rappelle Rajen Narsinghen, le droit de vote est certes sacré, mais il y a des restrictions. Pour illustrer ses propos, il cite une affaire où un Anglais avait poursuivi l’État pour réclamer son droit de vote après avoir passé 15 ans hors du pays. La Cour européenne des droits de l’homme avait tranché en sa défaveur, arguant que le droit de vote est conditionné par la résidence dans le pays. Une formule qui, selon lui, marcherait, serait de catégoriser la diaspora. «Il y a ceux qui sont bien établis, puis d’autres qui y travaillent sur contrat à durée déterminée ou sont étudiants. Le droit peut être octroyé à cette deuxième catégorie, par exemple», dit-il. Mais l’autre problème que cela pose est l’attachement au pays. Par exemple, dans le litige opposant Maurice au Royaume-Uni, un Mauricien qui bénéficie des facilités de l’État britannique se pencherait vers qui ? «Il est aussi difficile de déterminer à quel point quelqu’un est au courant de la réalité de son pays pour pouvoir voter correctement…», prévient le Senior Lecturer en droit.
Le compromis
Pour Rama Sithanen, cette question n’est pas prioritaire. «On doit d’abord s’assurer que les Mauriciens à Maurice peuvent voter et qu’il n’y ait plus de voters’ suppression», avance-t-il. Cependant, si un consensus sur l’idée d’octroyer le droit de vote aux expatriés est trouvé, les idées de Rama Sithanen, Milan Meetarbhan et Cassam Uteem convergent. Pour contourner la problématique des circonscriptions, qui définit notre système électoral, on pourrait avoir une sorte de 22e circonscription pour les Mauriciens de l’étranger, à l’instar des députés français pour les Français de l’Outre-Mer.
Mais attention, le rapprochement avec l’inclusion des Chagos dans une circonscription existante ne peut pas se faire dans un tel cas. «Dans le cas de l’archipel, nous parlons du territoire mauricien. Techniquement, le droit de vote n’est pas octroyé, mais automatique. Ici, nous parlons de personnes qui ne vivent pas sur notre territoire», dit Rama Sithanen. Avec la création d’une autre circonscription pour la diaspora, il n’y aura aucun déséquilibre que causeraient les voix si les électeurs étaient rattachés à d’autres circonscriptions.
Une autre possibilité évoquée par Kris Valaydon est le choix de députés à travers un système de party list. «L’ensemble de la diaspora choisirait parmi une liste présentée par les partis. Par la suite, les sièges seraient distribués proportionnellement aux partis par rapport aux nombres de voix récoltées.» Mais une fois de plus, la solution s’accompagne d’un problème que Kris Valaydon soulève : quel serait leur rôle au Parlement ? «Seront-ils des ambassadeurs des Mauriciens vivant à l’étranger au Parlement ?» demande-t-il. «Puis, comment seraient organisées ces élections ? Comment feraient les Mauriciens dans les pays où nous n’avons pas d’ambassade ? Combien cela va-t-il coûter?» rajoute Rama Sithanen.
Mais avant que cela ne soit possible, Kris Valaydon prévient qu’il faudra amender la loi sur la définition des circonscriptions, les lois électorales, les dispositions pour l’organisation des élections, voire le nombre de circonscriptions et de députés, si nécessaire. «Mais poser cette question à ce stade, c’est mettre la charrue avant les bœufs. Il faut commencer par la reconnaissance officielle de la diaspora et donc, il est difficile de débattre de la question. Il faut commencer par cela, et le reste suivra.»
Ces étrangers qui votent à Maurice
Aux dernières élections, 838 étrangers issus des pays du Commonwealth, qui avaient résidé à Maurice pendant deux ans au moins, étaient sur la liste électorale. Parmi, l’on retrouvait 523 Indiens, 68 Sud-Africains, 36 Pakistanais, 67 Anglais et 45 Bangladais.
Quant aux Mauriciens à l’étranger, ils peuvent voter uniquement s’ils occupent un poste d’ambassadeur, de haut-commissaire ou de représentant de Maurice ou un poste de fonctionnaire hors de Maurice. Les membres des familles de ces deux catégories sont aussi concernés.
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