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Endettement des ménages: à l’aube d’une récession, les institutions financières redoublent de vigilance

23 septembre 2020, 22:00

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Endettement des ménages: à l’aube d’une récession, les institutions financières redoublent de vigilance

258 trillions de dollars. C’est là le nouveau record de la dette mondiale au premier trimestre de 2020 avec les économies du monde entier qui se contractent ou encore se ferment au commerce international pour contenir la pandémie. À Maurice, la contraction de 13 % de l’économie, l’insécurité d’emploi, la hausse de l’inflation et le chômage qui risque bien de concerner pas moins de 100 000 Mauriciens d’ici à la fin de l’année, plongent les ménages dans l’incertitude quant à leur avenir. S’ajoute à cela, cette épée de Damoclès qui virevolte sans pitié au-dessus de nos têtes, la dette des ménages. 

«La santé financière des ménages est directement liée à celle du pays. Sur le plan économique, le pays devrait connaître de mauvaises performances avec plusieurs secteurs clés de l’économie qui enregistrent une contraction ou au mieux une croissance nulle. Face à cela, le financement des ménages devrait donc également être négativement affecté. Le pire scénario pour un ménage est la perte d’emplois. Dans une telle situation comme dans des situations moins extrêmes, il est probable que les ménages auront du mal à joindre les deux bouts et encore plus à contracter d’autres prêts bancaires, à condition que les banques veuillent même les financer», explique l’économiste Rajeev Hasnah. 

De ce fait, avec la valeur des revenus générés par les ménages qui est en décroissance, l’on fonce droit vers une détérioration de la situation de la dette. «Maintenant, ajoutez à cela le fardeau supplémentaire de la CSG et vous avez la recette parfaite pour ralentir la consommation et la capacité d’emprunt. Même si les ménages veulent emprunter pour survivre à la période économique difficile dans laquelle nous nous trouvons déjà, il sera difficile pour les établissements de crédit de leur prêter de l’argent si les perspectives de revenus des ménages dans un avenir proche restent mauvaises.» 

Critères revus régulièrement 

Selon les chiffres de la Mauritius Bankers Association, le crédit aux particuliers et aux ménages représente environ 36 % de l’activité bancaire à Maurice. Toutefois, la vigilance est de mise pour éviter des situations de surendettement mais aussi des cas d’insolvabilité des clients. «La prise en compte de la capacité de remboursement de chaque client, entre autres facteurs, est primordiale pour éviter toute situation de surendettement pouvant mener à la précarité. C’est justement parce que le bienêtre de nos clients nous tient à coeur que nous avons revu les critères à respecter pour bénéficier d’un crédit à la consommation. Il est à noter que ces critères sont revus régulièrement en fonction de nombreux facteurs. C’est aussi pour cela qu’à la suite de la situation économique découlant du Covid-19, nous avons travaillé sur de nouvelles offres de crédit avec moratoire sur le capital grâce auxquelles les clients peuvent payer uniquement les intérêts pour une période variant entre trois et neuf mois, pour ensuite régler leurs mensualités normalement», souligne Roger Li, Head of Consumer Finance, à Cim Finance. Il ajoute : «Pour ceux éprouvant des difficultés financières, nous leur offrons la possibilité de rééchelonner leur crédit pour alléger leur ‘cash-flow’. Pour les équipes de Cim Finance, la priorité est de bien cerner les besoins des clients afin d’être en mesure de leur proposer les solutions les mieux adaptées à leur situation.» 

Selon Roger Li, l’institution note qu’il y a davantage de demandes qui ne respectent pas les critères requis. Cette hausse s’explique principalement par les irrégularités liées aux remboursements. «Pour pallier ce problème, nous proposons à nos clients des mesures d’accompagnement, ce qui leur permettra de régulariser leur compte. Ceux-là sont principalement des travailleurs indépendants et des salariés dont les entreprises ont été sévèrement impactées par les effets de la crise. On retrouve ces entreprises en particulier dans les secteurs économiques tels que l’aviation, l’hôtellerie et le tourisme ainsi que le textile.» 

Au niveau des institutions bancaires, l’on fait ressortir que le risque de non-remboursement des dettes n’est pas à prendre à la légère. «Le risque est plus important, étant donné que plusieurs secteurs d’activité ont été à l’arrêt ou ont tourné au ralenti depuis fin mars 2020. C’est pourquoi, nous avons adopté une approche proactive qui nous permet d’identifier les clients opérant dans un secteur à risque afin de les accompagner du mieux possible, et ce avant qu’ils ne rencontrent des difficultés de paiement», confiait à l’express Abraham Rawat, Head of Retail de la Mauritius Commercial Bank (MCB) le mois dernier. En effet, du côté du gouvernement, on indique aussi qu’en ce qui concerne le moratoire accordé pour le paiement des prêts bancaires, le moment venu, c’est-à-dire, au mois de décembre, des décisions seront prises sur la nécessité ou pas de rééchelonner ces moratoires. 

Construction d’une maison 

Autres que les ménages, les jeunes qui démarrent leur carrière se retrouvent exposés, d’autant plus que la sécurité d’emploi n’est aucunement garantie. «Ce n’est pas une bonne période pour être sur le marché du travail pour la première fois et encore moins pour prendre des dettes pour la construction d’actifs personnels à l’instar de la construction d’une maison. Le recrutement risque d’être bloqué dans les secteurs privé et public, ainsi que dans les secteurs qui emploient massivement les jeunes en difficulté. Les perspectives à court terme pour les dépenses en capital des jeunes semblent plutôt sombres et à moins que les institutions financières ne soient convaincues que la personne soit en mesure de générer un niveau de revenu durable à l’avenir, il s’avère difficile pour ces jeunes d’obtenir du financement pour investir dans la construction d’actifs», fait ressortir, Rajeev Hasnah. 

Cette situation délicate, Joanito Martin, âgé de 32 ans et sa compagne, elle, âgée de 29 ans, tous deux anciens employés d’une agence de voyages, y sont plongés depuis quelque temps. En effet, cela fait environ trois mois qu’ils ont été licenciés et sont, depuis, sans revenus avec un bébé en route. 

En plus du loyer à payer et les dépenses quotidiennes du ménage, ils ont tous deux contracté des prêts bancaires, pour l’achat d’une voiture entre autres. «Deux prêts bancaires à rembourser, ce n’est pas évident alors que nous avons tous deux été mis à la porte», soupire Joanito Martin. Ils puisent donc de leurs économies et arrivent à se faire quelques sous, à temps partiel, dans le commerce, sans oublier l’aide de la famille. «Mais ce n’est pas suffisant pour subvenir aux besoins d’un foyer. Je me retrouve aujourd’hui dans l’incapacité de continuer à payer les engagements bancaires, surtout que ma fiancée va bientôt accoucher, elle n’est pas en mesure de travailler.» En attendant, une solution qui s’offre à lui est d’entamer les démarches pour revoir les conditions de remboursement de leurs prêts bancaires. 

Reprise de l’actif 

Les car leasing sont en effet populaires auprès des jeunes, incluant ceux qui ne sont pas encore en projet de famille. Toutefois, le remboursement des mensualités peut devenir une lourde charge considérant les difficultés économiques des foyers. «Nous passons régulièrement en revue les risques inhérents en fonction des événements passés, de la situation actuelle et de possibles facteurs de risques futurs. Notre analyse est principalement, mais pas limitée uniquement à, l’impact sur les industries, les secteurs d’activité, l’emploi et la potentielle croissance des revenus du client. La tranche d’âge et le statut sont aussi pris en ligne de compte dans des situations nécessitant une analyse approfondie», dit-on à la MCB Leasing. Et d’enchaîner : «Nous suivons scrupuleusement des procédures établies en matière d’endettement et nous encourageons la restructuration de la facilité en réduisant le rental mensuel, de même que l’impact limité sur le risque causé aux actifs. Au cas où la restructuration ne serait pas une solution réalisable, soit nous invitons le client à procéder à un rachat volontaire, soit nous procédons à la reprise de l’actif.» 

Face à tous ces défis, éviter l’explosion sociale s’avère être un parcours du combattant, d’autant plus qu’à aucun niveau il n’y a de visibilité sur l’avenir. «Dans une telle situation, l’élaboration de politiques diligentes et responsables est nécessaire, sans toutefois aggraver le problème qui pourrait entraîner une crise plus grave. Il faut veiller à ne pas laisser la maison brûler en essayant de sauver les meubles. À mon avis, l’objectif principal est de gagner du temps et de jeter les bases pour que l’économie reprenne. Il n’y a pas de meilleur remède au chômage et à tous les problèmes qui y sont rattachés qu’une croissance économique forte et durable», tient à préciser Rajeev Hasnah. Selon lui, à court terme, le secteur bancaire devrait être cloisonné de manière à ce que nous n’ayons pas de crise bancaire, mais en même temps, il faut que les gens puissent avoir une vie décente, tout en travaillant déjà à jeter les bases d’une croissance économique forte et durable, qui se traduira par la création d’emplois et non par la destruction. «Avec plusieurs piliers économiques déjà en difficulté, le chemin vers la reprise pourrait être très long et douloureux.» 

En tenant compte de la pression populaire, la stratégie de la relance économique se doit donc d’être réfléchie mais surtout efficace, car des deuxièmes chances, on n’en a pas toujours.

 




 

Daniel Essoo: «Les banques considèrent des restructurations ou le rééchelonnement des dettes dans certains cas»

Daniel Essoo, CEO, Mauritius Bankers Association.

Chômage ou réductions de salaires, nombreux sont les foyers mauriciens foudroyés par le Covid-19. Les risques d’insolvabilité sont grands, comment les institutions bancaires y font-elles face ? 
Le segment retail banking, qui concerne le crédit aux particuliers et aux ménages, représente environ 36 % de l’activité bancaire à Maurice. Pendant la période de confinement, beaucoup d’employés de plusieurs secteurs ont été affectés, car l’activité économique était réduite. La Banque centrale a donc conçu un plan de soutien, exécuté par les banques commerciales, qui incluait des moratoires sur le capital et les intérêts pour les particuliers. La Banque centrale a aussi payé les intérêts pendant trois mois et, après la fin du confinement, prolongé les plans de moratoire jusqu’en décembre. Cela veut dire que les ménages affectés peuvent bénéficier de ce moratoire jusqu’à la fin de l’année. 

Qu’en est-il de la capacité de remboursement des ménages ? 
Dans l’ensemble, la plupart des secteurs d’activité économique ont repris, sauf le secteur du tourisme et les sous-secteurs liés au tourisme, où il y a eu un impact sur les revenus. Certains ménages font, par conséquent, face à des difficultés financières. Ces ménages peuvent cependant se prévaloir du moratoire disponible. 

Quelle est la marge de manoeuvre des banques pour faire face à l’endettement de ces ménages ? 
Les banques sont sensibles au sort des ménages par ces temps difficiles, et font le maximum pour aider leurs clients. Outre les moratoires disponibles sous le plan de la Banque de Maurice, les banques considèrent aussi des restructurations ou le rééchelonnement des dettes en fonction des circonstances des clients. Nous espérons que ce n’est qu’une phase temporaire que nous traversons, et que la reprise économique sera pour bientôt, ce qui devrait limiter l’impact sur le crédit aux particuliers et aux ménages. 

Face à l’incapacité des jeunes à rembourser leurs prêts, les banques sont-elles exposées aux créances douteuses ? 
De manière générale, les banques mauriciennes sont assez prudentes dans l’octroi des prêts. Nous ne disposons pas des chiffres exacts selon les différentes tranches d’âge, mais la plus grosse partie du crédit octroyé aux ménages est sur les prêts logements, qui concernent des tranches d’âge autres que les jeunes.