Publicité

Comité olympique mauricien: Jeux de pouvoir et contre-pouvoir

15 octobre 2020, 22:00

Par

Partager cet article

Facebook X WhatsApp

Comité olympique mauricien: Jeux de pouvoir et contre-pouvoir

L’«équipe de réflexion» pour la relance du sport mauricien est composée de deux anciens ministres des Sports, Michael Glover et Rama Poonoosamy ; de Jessika Rosun, lanceuse de javelot ; de Vivian Gungaram et Jean-Michel Giraud, respectivement impliqués dans l’athlétisme et le tennis ; ainsi qu’Henri Wing Kai, ancien président de la fédération de basketball. Cette équipe réclame du changement à la tête du Comité olympique mauricien dirigé par Philippe Hao Thyn Voon, qui entame son quatrième mandat. Le fondateur de PAD CO s’apprête à se présenter aux prochaines élections, prévues le 29 octobre. Mais il est fort possible qu'elles soient renvoyées à l’année prochaine, après les Jeux olympiques, qui doivent se tenir du 21 juillet au 8 août 2021 à Tokyo.

Jessika Rosun réclame le départ de Philippe Hao Thyn Voon

Deux ans après, Jessika Rosun revient sur ses mésaventures en 2018 aux Jeux du Commonwealth, en Australie (voir plus loin). Son histoire avait ébranlé le sport mauricien. La lanceuse de javelot avait porté plainte pour attouchements contre Kaysee Teeroovengadum, le chef de mission pour ces Jeux. Philippe Hao Thyn Voon, le président du Comité olympique mauricien (COM), avait été accusé d’avoir tenté de minimiser l’affaire.

La sportive a rejoint le groupe de réflexion pour l’assainissement du sport. Elle réclame le départ de Philippe Hao Thyn Voon. «Il doit passer le flambeau à quelqu’un d’autre. Il en est à son troisième mandat et il veut un quatrième. N’y a-t-il pas d’autres personnes capables de prendre le contrôle du COM ?» L’athlète estime qu’elle n’a pas eu le soutien du président du COM en 2018. «Il avait qualifié cette agression de “ti pink pinkou” en mimant le geste. Je me suis sentie dénigrée. Je n’ai jamais cru qu’il allait banaliser une affaire de harcèlement, peu importe sa forme.» La lanceuse de javelot croit qu’il est temps qu’une nouvelle équipe prenne la barre du COM pour relancer le sport mauricien.

En 2018, il était reproché à Phillipe Hao Thyn Voon d’avoir tenté d’étouffer l’affaire. Lors d’une conférence de presse en avril 2018, le principal concerné avait démenti cette accusation. «Jessika Rosun avait bien signifié son intention de ne pas aller de l’avant dans cette affaire, il n’y a pas eu de cover-up», avait-il martelé. Il ajoute qu’il avait décidé que Kaysee Teeroovengadum ne participe à aucune activité pendant ces Jeux. «Mo pa dir ki mo pa krwar ki finn arive, si Kaysee an tor ou pa, sel Dieu, Jessika ek Kaysee koné kinn arivé», avait-il maintenu.

Voyages, per diem et logements pour les dirigeants sportifs

La vie est belle pour ceux qui sont élus à la tête du COM et leurs proches, ainsi que pour les fédérations sportives proches de cette instance, selon des sportifs. Ils bénéficient de voyages et de stages. Les dépenses, disent-ils, sont la plupart du temps encourues par le COM ou des instances internationales. L’ancien ministre des Sports, Michael Glover, confirme leurs dires. «D’autres personnes que les athlètes en profitent, notamment des dirigeants. Elles touchent également des per diem

Jean-Michel Giraud ajoute même que plusieurs d’entre eux sont rarement présents sur les sites de compétitions, mais font du shopping quelquefois accompagnés de leurs conjointes.

D’ailleurs, Jessika Rosun rappelle que, lors des Jeux du Commonwealth en Australie, les accompagnateurs étaient plus nombreux que les athlètes et qu’il y avait même un «programme touristique» pour les conjoints. De plus, une ancienne athlète affirme que, lors des Jeux olympiques, ceux qui accompagnent les sportifs obtiennent des accréditations qui leur donnent accès aux mêmes facilités que les participants. Ils sont logés, nourris et blanchis.

Les facilités de la Solidarité olympique sous-utilisées

Vivian Gungaram a soulevé un point important durant la conférence de presse. Celui-ci concerne les différents programmes mis en place et financés par la Solidarité olympique et destinés aux fédérations locales. Celles-ci peuvent en bénéficier en faisant leur demande à travers leur comité olympique national. Mais pour Maurice, affirme Vivian Gungaram, «on n’a bénéficié que 18 % de la somme totale à laquelle on est éligible. Le COM a-t-il mis les fédérations au courant de ces facilités ? C’est la question.»

L’impact des déboires de PAD CO

Si dans les années 80-90, on parlait de la politique des 3D dans le sport mauricien pour faire référence à sa décommunalisation, décentralisation et démocratisation, Rama Poonoosamy a dit souhaiter ne pas avoir à ajouter un autre D par rapport à la situation actuelle. Celui-ci représenterait, dit-il, la «décorruptionnalisation». À une question de l’express pour savoir si le groupe de réflexion disposait de cas concrets de corruption auxquels se sont adonnés des dirigeants, Rama Poonoosamy a répondu : «J’ai dit que je souhaite n’avoir pas à employer un autre D.» Il a par la suite ajouté : «On ne souhaite de mal à personne. Mais on a vu que la compagnie Padco est associée à une affaire de corruption alléguée et de faux et d’usage de faux. On peut se demander la répercussion de tout cela sur le monde sportif mauricien et sur le COM.»

L’instabilité à son paroxysme

Le giron sportif mauricien est en ébullition actuellement. En cause, les élections du Comité olympique mauricien (COM) initialement fixées au 29 octobre mais qui pourraient finalement connaître un renvoi. Le COM tiendra une assemblée générale extraordinaire (AGE) le vendredi 16 octobre à son siège à Trianon pour ratifier cette décision.

Si le renvoi est accepté par les membres de l’exécutif, le COM renouvellera son instance après les Jeux olympiques (JO) de Tokyo (23 juillet-8 août 2021). Il aura alors six mois – après le plus grand événement sportif au monde – pour entreprendre cet exercice. Au tout début, les détracteurs de Philippe Hao Thyn Voon (photo) avaient souhaité que cela se fasse après le rendez-vous tokyoïte, mais la donne a maintenant changé. Le camp de l’opposition, constitué d’anciens athlètes, de dirigeants sportifs et d’un ancien ministre des Sports, veut désormais que les élections du COM se fassent dans les plus brefs délais.

Sachant Philippe Hao Thyn Voon au pied du mur et affaibli après avoir vu s’écrouler son empire lorsque PAD Co a été placée sous administration volontaire, les dirigeants de l’opposition demeurent conscients qu’ils ont une belle carte à jouer. «Je suis au courant que mes détracteurs utilisent toutes sortes de subterfuges pour me faire partir. Mais nous avons eu le soutien du Comité international olympique (CIO) qui nous a laissé le choix d’organiser les élections sous peu ou d’attendre après  lesJO 2021», déclare le président du COM.

Selon la Charte olympique, le cycle électoral des Comités nationaux olympiques (CNO) n’est pas lié forcément à la tenue des Jeux olympiques. La seule exigence est que le mandat des dirigeants élus d’un CNO ne dépasse pas quatre ans, comme indiqué au paragraphe 1.5. du texte d’application des règles 27 et 28 de la Charte olympique. Ce dernier stipule : «Les dirigeants et les membres de l’organe exécutif d’un CNO doivent être élus, conformément aux statuts du CNO, pour un mandat qui ne dépasse pas quatre ans; ils sont rééligibles.»

Une lettre circulaire, en date du 23 avril, alors que le monde subissait de plein fouet les affres du coronavirus, avait été rédigée par l’instance de Lausanne et signée par James MacLeod, le directeur des relations avec les CNO et la Solidarité olympique. Son but était de permettre aux CNO de connaître le point de vue de l’organe suprême du mouvement olympique par rapport aux élections. La lettre stipule que, dans de telles circonstances où le cycle des JO et le mandat de quatre ans ne coïncident plus, les CNO peuvent «suivre le mandat de quatre ans et tenir leurs élections d’ici la fin du mandat initial de quatre ans, c’est-à-dire avant les JO de Tokyo en 2021». La deuxième option est qu’ils suivent «le cycle des JO et tiennent leurs élections après les Jeux de Tokyo, ce qui entraînerait automatiquement une prolongation du mandat actuel des dirigeants élus».

Le président sortant, en lice pour un quatrième mandat à la tête du COM, explique qu’il est important que les fédérations affiliées au mouvement olympique aient le temps de renouveler leur exécutif. «Tout ce que j’entreprends est en accord avec le CIO. Il est important que les fédérations sportives renouvellent leurs instances avant d’envoyer un représentant au COM», explique PHTV.

Si le renvoi des élections monopolisera l’attention demain, l’amendement portant sur la Commission des athlètes sera aussi débattu au cours de l’AGE. Dans un premier temps, le COM voulait procéder à la nomination des représentants des athlètes qui siégeront au sein de son instance. Mais le CIO est venu désapprouver cette démarche et a insisté sur le fait que les athlètes doivent être élus.

Cinq au départ, 29 aujourd’hui

Le COM, auparavant connu comme le Comité national olympique mauricien (CNOM), a pris naissance en 1972 sous l’impulsion de Jean-Roland Delaître, alors président de la Mauritius Sports Association (MSA), et de son secrétaire général, Ram Ruhee. À l’époque, il n’y avait que très peu de fédérations sportives affiliées à leur fédération internationale. Le nombre était trop faible pour que Maurice puisse mettre sur pied une instance olympique. Après plusieurs rencontres, l’haltérophilie, la boxe et l’athlétisme ont eu la reconnaissance de leur fédération internationale, ce qui a permis la création du CNOM. Aujourd’hui, 29 fédérations sont affiliées au COM. Elles sont: athlétisme, aviron, badminton, basket-ball, canoë-kayak, cyclisme, escalade sportive, escrime, équitation, football, golf, haltérophilie, handball, hockey, judo, karaté, lutte, natation, pentathlon moderne, rugby, skateboard, taekwondo, tennis, tennis de table, tir, tir à l’arc, triathlon, voile et volley-ball. Pour l’heure, le CIO ne reconnaît pas l’International Boxing Association (AIBA) tandis que la Fédération mauricienne de gymnastique a été suspendue par le ministère de l’Autonomisation des jeunes, des sports et des loisirs depuis 2015.

Un règne marqué par des critiques

Philippe Hao Thyn Voon occupe les fonctions de président du COM depuis 12 ans maintenant. Un long règne qui avait débuté avec un accord à l’israélienne conclu avec Chintamun Rambocus en 2008 et où chacun devait diriger l’instance olympique durant deux années. Ses mandats n’ont pas toujours été un long fleuve tranquille. Le fait qu’il prenne rarement position a souvent été pointé du doigt. D’aucuns se souviennent des Jeux du Commonwealth 2018 où le Club Maurice avait subi toutes sortes de secousses. Partant de l’affaire Jessica Rosun aux per diem des athlètes en passant par le vol de luminaires du Village des Jeux. La réaction ou, plutôt le manque de réaction, de Philippe Hao Thyn Voon dans le cas de Jessica Rosun avait soulevé une vague d’indignation à Maurice. La lanceuse de javelot avait, rappelons-le, accusé Kaysee Teeroovengadum, alors secrétaire général du COM et qui assumait le rôle de Chef de mission en Australie, d’attouchements. Mais Philippe Hao Thyn Voon a aussi son club de supporters. Plusieurs personnes, dont des dirigeants sportifs et des athlètes, sont plus dithyrambiques envers l’ancien pongiste. «Il ne m’a jamais refusé aucune aide ni hésité à me donner des conseils», explique ce dirigeant dont la discipline a réalisé une razzia aux derniers JIOI. Philippe Hao Thyn Voon avait aussi puisé de sa poche et des fonds du COM pour financer plusieurs sportifs avant les JIOI de 2019 en leur remettant un cachet mensuel de Rs 5 000. Il y a quelques semaines, l’ancien magnat de la construction avait entièrement financé les funérailles de la mère de Ketty Lent. «Limem ki ti fer lanterman mo mama», soutient l’haltérophile. Adulé par certains à Maurice et critiqué par d’autres, il reste que cet amoureux des animaux – il possède une centaine de variétés d’oiseaux et de poissons – est accueilli à bras ouverts par les dirigeants africains. Il occupe d’ailleurs le poste de 2e vice-président de l’Association des comités nationaux olympiques d’Afrique (ACNOA) qui regroupe 54 pays du continent noir.

Questions à Jean-Michel Giraud de l’équipe de réflexion pour l’assainissement du sport mauricien : «Le ministère des Sports doit pouvoir agir pour régler le problème des clubs fictifs»

«Pour l’assainissement du sport mauricien». L’appellation du groupe de réflexion dont vous faites partie sous-entend que le sport mauricien est malsain. En quoi l’est-il ?

Il y a beaucoup de choses à dire là-dessus. Pour l’instant, faisons court et disons que certains dirigeants des instances sportives locales n’ont pas un comportement qui fait honneur à leur statut et aux valeurs que véhicule le sport. Beaucoup d’entre eux placent leurs intérêts et ambitions personnels au-dessus de leur devoir de développer leur discipline. Ce sont le sport et les athlètes qui en souffrent. Bref, au lieu d’être des exemples, certains dirigeants, que ce soit au niveau du COM (NdlR: Comité olympique mauricien) ou fédéral, sont des contre-exemples.

Changer la mentalité d’une personne n’est hélas guère chose aisée…

Vous n’avez pas tort. Vous savez, moi, j’aime bien les dirigeants qui ont beaucoup reçu de la vie, d’une façon ou d’une autre, et je veux dire dans le sens positif des choses. Lorsque ces personnes s’engagent, c’est avec nul autre but que de partager avec la société tout le bien qu’ils ont reçu de la vie.

Vous avez évoqué le problème des clubs fictifs, lequel entraîne dans son sillage des fédérations fictives. C’est, comme vous l’avez dit, la source des ennuis que connaît notre sport. Selon vous, comment assurer un meilleur contrôle au niveau de la création des clubs ?

Il faut revenir à la Sports Act d’avant 2016 où une fédération doit d’abord obtenir la reconnaissance du ministère des Sports pour être par la suite reconnue par le COM. Il faut que le ministère ait le pouvoir de contrôler que les clubs fonctionnent bel et bien, et d’après les règlements. Cela nous éviterait d’avoir un club qui est censé faire du pentathlon moderne mais qui n’a jamais organisé la moindre compétition. Ces clubs aboutissent à des fédérations qui ont un droit de vote au COM, c’est ça qui est grave. Je pense que le MJS doit revoir ce dossier.

D’autre part, il y a un nombre de règlements passés par le COM et qui ne sont conformes ni à la charte olympique ni à notre constitution. Par exemple, ils ont décidé que quelqu’un qui n’a pas siégé sur le managing committee de sa fédération ne peut pas se porter candidat aux élections.

Donc, vous appelez à plus d’implications du MJS?

Que les fédérations jouissent d’une certaine autonomie, c’est bien. Mais, quand cette autonomie donne lieu à des dérives de toutes sortes, le MJS doit intervenir.

Vous avez affirmé, durant votre allocution, votre souhait que cessent les méthodes mafieuses au sein du giron sportif…

Oui, et je tiens à préciser que je disais cela d’une manière générale et que je n’ai visé personne en particulier.

Comment contraindre PHTV à s’en aller ?

Il y a un mouvement, comme vous le constatez, qui est en train de se mettre en place à Maurice. Au niveau du CIO, ils sont en train de prendre conscience de la façon dont fonctionne le COM. On espère que cela débouchera sur notre souhait de renouveau.

Justement, le mouvement dont vous faites partie a-t-il alerté le CIO de la situation actuelle du sport mauricien et de la façon de faire du COM ?

Oui, il y a un certain nombre d’infos que nous avons fait remonter au CIO. D’autres éléments devraient suivre au fur et à mesure.