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Réintroduction de la peine de mort: un débat à achever
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Réintroduction de la peine de mort: un débat à achever
Le décès dans des conditions atroces de plusieurs personnes remet sur le tapis la peine capitale comme c’est le cas à chaque fois que se produisent des crimes qui donnent froid dans le dos. Est-ce la solution pour dissuader les criminels ? Ténors du barreau, politiciens, travailleurs sociaux et religieux s’expriment mais la majorité ne veut surtout pas un retour vers cet acte «barbare»…
Depuis le meurtre d’Ayaan Ramdoo, deux ans, sous les coups de son beau-père le 12 novembre, le public réclame la réintroduction de la peine capitale. Le décès tragique de l’officier de la brigade antidrogue Dimple Raghoo, le 24 novembre, ne fait qu’accentuer cette demande. Lors d’une visite à sa famille, le lendemain, le Premier ministre affirme être conscient de la question. Dans une déclaration à la presse, il dit tenir compte des demandes d’une partie de la population pour la rétablir. «La WPC Raghoo a toujours répondu présente dans la lutte contre la mafia de la drogue. C’est triste qu’elle soit tombée comme un vrai soldat. Ces criminels-là ne méritent pas de vivre. Tout le monde connaît mon opinion à ce sujet. Mais nous verrons.» Il fait une autre déclaration la veille même d’un troisième crime atroce quand une octogénaire est tuée à son domicile le 26 novembre, par une trentenaire à qui elle confiait de petits boulots : «J’ai toujours été en faveur de la peine de mort pour des crimes tels que meurtre et trafic de drogue. Mais je ne suis pas seul, il y a un gouverne- ment et les membres de mon parti.» Mais il a raison de dire qu’il n’est pas seul pour prendre cette décision. Nous vivons dans un pays où la société civile sait élever la voix quand les droits de l’homme sont menacés…
«La peine de mort ne rend AUCUN service à l’humanité…»
<p>Les défenseurs des droits humains sont catégoriques : non au retour de la peine capitale. Sollicité, Kavi Pyneeandy, ancien président du défunt Amnesty International (Maurice) et militant des droits humains, déclare que la criminalité a été et demeurera la face cachée de l’humanité quels que soient les moyens mis en place par la société pour l’éliminer. <em>«À la lumière de ce constat, la peine de mort rend un seul service à l’humanité : l’extermination du criminel. Il ne récidivera pas. En revanche, comme l’ont démontré plusieurs études au niveau des Nations unies, la peine de mort ne rend AUCUN autre service à la société.»</em> Cela dit, enchaîne-t-il, on peut se demander si pour se protéger, la société est prête à se (re)construire en érigeant comme valeur l’extermination d’un de ses membres. <em>«Non, car la grande majorité des nations du monde ont aboli la peine capitale parce qu’elles respectent la vie. Quand tous les pays du monde auront aboli cette peine inhumaine et dégradante – ce qui sera assurément le cas dans quelques générations, vu la marche inexorable du monde vers l’abolition de cette peine – l’humanité fera un pas supplémentaire vers plus de jouissance des droits humains, vers plus de progrès et vers une société parfaite»</em>, estime Kavi Pyneeandy. Il fait ressortir que 142 pays ont aboli la peine de mort (en droit ou en pratique), dont les 29 qui ne la pratiquent pas, même si elle existe dans leur législation. <em>«Le dernier pays à l’avoir abolie est le Burkina Faso en 2018. </em><em>Il n’y a que 56 pays qui la pratiquent toujours.»</em></p>
<p>Également sollicité, Linley Couronne, directeur de l’ONG Dis-moi, qui milite pour les droits humains, soutient que la réintroduction de la peine de mort est <em>«le jeu de tout politicien. Les politiciens savent que la peine capitale peut être rétablie avec un vote majoritaire. Ils ne la remettront pas. Ils le disent pour faire de la cheap politics : ce n’est pas sérieux, car c’est un sujet sérieux. Le pays fait face à des problèmes sociaux. Est-ce que c’est avec une loi criminelle qu’on va résoudre cela ? DIS-MOI réclame qu’on enlève la peine de mort de la Constitution»,</em> faut-il valoir</p>
Mesure dissuasive ?
<p>Dans un entretien accordé à l’express le 1er mars 2016, feu sir Victor Glover, qui a prononcé la dernière condamnation à mort en 1987, faisait ressortir <em>:«Le problème est de savoir si le rétablissement de la peine de mort va donner un résultat positif. C’est-à-dire si des gens vont arrêter de commettre des crimes. Je ne le pense pas parce que je suis d’avis que la plupart des gens n’ont pas le temps de s’asseoir, de réfléchir et de se dire qu’ils seront pendus, s’ils le font.»</em></p>
<p>Le psychologue Vijay Ramanjooloo abonde dans le même sens. <em>«Ce n’est pas parce qu’une personne est consciente de la peine capitale qu’elle ne va pas commettre de crime. Dans le cas d’un psychopathe, il n’a pas la capacité de réfléchir. La plupart des meurtriers sont des délinquants primaires, des gens qui n’ont même pas eu une contravention. Ils sont dominés par leurs émotions. Ils sont conscients de la loi mais ce n’est qu’après coup qu’ils vont y réfléchir.»</em> Lui qui a côtoyé et travaillé avec des prisonniers ajoute que Maurice est signataire du protocole des Nations unies contre la torture et d’autres traitements et punitions cruels, inhumains ou dégradants, et du protocole optionnel à cette convention.</p>
<p>Le sociologue Ibrahim Koodoruth soutient qu’on ne peut pas comprendre la réaction des gens qui, sous le coup de l’émotion, réclament la peine de mort pour les criminels. <em>«Mais, en faisant cela, va-t-on restaurer la vie de la personne tuée ? Ou ne va-t-on pas plutôt créer plus de souffrance, voire de problèmes sociaux ? Qui sommes-nous pour dire que les criminels n’ont pas leur place dans la société ? N’importe qui aurait pu commettre un crime dans un moment de folie. Pour ceux qui disent que c’était la pratique dans les sociétés traditionnelles, pourquoi ne dit-on pas la même chose pour la moralité ? C’est d’une justice réparatrice et, non pas restitutive, dont on a besoin. C’est triste qu’on se considère comme un pays développé mais qu’on ait une réaction primaire. Ou encore qu’un dirigeant de l’État fasse un discours populaire»,</em> souligne le sociologue.</p>
Les religieux divisés
<p>Le père Philippe Goupille, président du Conseil des religions, indique que les membres ne se sont pas rencontrés pour discuter de la question. Interrogés individuellement, les représentants de différentes croyances religieuses réunis au sein du Conseil n’ont pas un avis commun. Sauf pour dire que la peine de mort existe dans certaines religions, mais sous des conditions strictes. Certains sont pour le pardon et la compassion envers le criminel, alors que d’autres estiment qu’il faut faire la balance entre le pardon et le besoin de dissuasion afin que de tels crimes atroces ne se répètent pas. D’autres encore se demandent s’il faut se diriger vers la peine de mort ou s’il faut se dire que seul Dieu peut juger. Quoi qu’il en soit, les religieux estiment qu’il faut un débat ouvert sur le sujet.</p>
Dernière condamnation à mort
<p>En cour d’assises, le 22 juillet 1987, le chef juge d’alors, feu Sir Victor Glover, prononce la sentence d’Eshan Nayeck. Connu comme Alexandre, il est accusé d’avoir assassiné, à coups de poignard, le Portlouisien Rashid Atchia devant le marché central le 23 juillet 1983. Son avocat, Me D’Arifat, argue que son client n’a pas agi de sang-froid. À cela, la poursuite assurée par Mes Asraf Caunhye et Rehana Mungly, chef juge et juge aujourd’hui, répond que l’accusé avait déjà menacé la victime lors d’une altercation au cinéma Rex. Le jury rend un verdict de culpabilité à huit contre un et le chef juge le condamne à la peine capitale. Les autorités rejettent son appel à la clémence. Le Premier ministre d’alors, sir Anerood Jugnauth (SAJ), signe l’ordre et Eshan Nayeck est exécuté par pendaison le 10 octobre 1987. Il sera le dernier condamné à mort à être exécuté.</p>
<p>Cette affaire avait pour toile de fond une histoire de vengeance. Un témoin oculaire, Abedeen Golamally, maraîcher au marché central, raconte en détail l’agression mortelle. <em>«Le 23 juillet 1983, j’opérais près du marché de viande quand j’ai remarqué la présence de l’accusé vers 12 h 45.»</em> Plus tard, il aperçoit la victime. Le maraîcher raconte avoir entendu Rashid Atchia dire à l’accusé : <em>«To finn fer dominer avek mo frer.»</em> Ce dernier rétorque : <em>«To pa pou kapav fer nanye. Mo ena gouvernman dans mo lame.»</em> Eshan Nayeck était un récidiviste. En 1973, notamment, il est condamné pour le meurtre d’un habitant de la rue Edith Cavell, lors d’un cambriolage.</p>
<p>Techniquement, si un gouvernement réintroduit la peine de mort, un vote à majorité simple ne suffit pas. Les choses auraient été plus compliquées si des amendements avaient été apportés à la Constitution… En effet, lorsque l’abolition de la peine capitale est votée par l’Assemblée nationale, le 3 août 1995, le Premier ministre d’alors, SAJ, déclare que <em>«la porte est toujours ouverte pour tout gouvernement à l’avenir, si jamais le besoin de restaurer la peine capitale se fait sentir».</em> Déclaration faite pour expliquer l’absence d’amendements aux articles relatives dans la Constitution. Notamment, l’article 4 (1) qui stipule <em>«qu’aucune personne ne sera dépourvue de sa vie intentionnellement, sauf dans l’exécution d’une sentence de la cour, pour une offense criminelle pour laquelle elle a été condamnée».</em> Ce vote découlait d’un accord politique entre SAJ et sir Gaëtan Duval et cette condition imposée par le Parti mauricien social-démocrate (PMSD) pour intégrer le gouvernement.</p>
<p>Mais si Maurice devait réintroduire la peine capitale, ce ne serait pas sans conséquences. On évoque, notamment, le fait qu’on ne bénéficiera plus du financement de l’Union européenne, par exemple. Ou encore on essuiera un boycott international. Cette décision politique impliquerait un retour en arrière qui nous verrait être traités de <em>«pays barbare». </em>D’aucuns évoquent aussi la possibilité d’erreurs judiciaires. Cela dit, hormis ces implications, plusieurs acteurs de la politique et du social se prononcent contre la réintroduction de la peine de mort.</p>
<p>Sollicité, le leader du MMM, Paul Bérenger, affirme qu’il n’y a pas de ligne de parti à ce sujet<em>. «Il y va de la conviction personnelle de chacun. Mais par principe, on est contre pour plusieurs raisons. Ce n’est pas une mesure efficace car cela ne décourage pas à commettre des crimes. Et dans combien de cas, ce n’est qu’après l’exécution d’une personne qu’on trouve le vrai coupable. Si besoin est, condamnez la personne à vie, sans rémission dans les cas de crimes atroces.»</em></p>
<p>Xavier-Luc Duval, leader du PMSD, suivant les traces de son père, un des acteurs de l’abolition, déclare que son parti est toujours contre la peine capitale. <em>«On n’a pas le droit d’ôter la vie de quelqu’un. Puis, il y a les erreurs judiciaires. Plusieurs pays nous mettraient sur leur liste noire si on devait rétablir la peine de mort. Et ce n’est pas ce dont on a besoin. On est pour un régime qui s’oriente vers la réhabilitation.»</em></p>
<p>Pour sa part, Arvin Boolell, leader de l’opposition, estime que la pratique <em>«œil pour œil, dent pour dent»</em> n’est pas la solution au taux de criminalité<em>. «Est-ce que c’est la peine capitale qui va résoudre le problème de la drogue, ou est-ce la lutte contre ce fléau ? Et que ce soit dans une affaire de drogue ou autres crimes, une personne peut aussi se faire piéger. Sans compter qu’il y a également des erreurs judiciaires. C’est un sujet très complexe»</em>, dit-il.</p>
Évoquant l’erreur judiciaire, des ténors du barreau disent non
<p><em>«La France, l’Allemagne ou l’Angleterre ont aboli la peine capitale. Dans le passé, il y a eu tellement d’erreurs judiciaires dans le monde ou même à Maurice. Il faut donc bien peser le pour et le contre avant de parler de réintroduction ; il ne faut pas se laisser mener par les émotions.»</em> Me Yousuf Mohamed, <em>Senior Counsel</em> (SC), est catégorique. Il dit non à la peine de mort et estime que, dans le cas de la policière tuée, si un procès est intenté, il se peut que les membres du jury, qui ont suivi ces événements, se laissent guider par leur état d’esprit. Il trouve ce drame regrettable mais il estime qu’un jugement ou une condamnation ne doit pas reposer sur des sentiments.</p>
<p>Me Mohamed cite l’exemple de personnes qui se laissent guider par la révolte et revient sur l’agression de Me Hisham Oozeer, qui devait représenter le suspect Hashimkhan Hyderkhan mardi, mais qui se serait fait tabasser par des policiers devant la <em>Criminal Investigation Division</em> (CID) de Rose-Belle. <em>«Ce n’est pas une raison pour agresser un avocat dans l’exercice de ses fonctions et je trouve étrange qu’il n’y ait pas eu d’intervention policière pour empêcher ce dérapage.»</em> Sollicité par l’express, Me Antoine Domingue, autre SC, soutient, pour sa part, que c’est le Parlement qui décide de cette loi constitutionnelle. Il va plus loin pour dire que cette peine n’est pas prévue dans un cas de meurtre mais dans celui d’assassinat, c’est-à-dire, un meurtre avec préméditation.</p>
<p>Même son de cloche chez Me Imtihaz Mamoojee qui décortique le terme <em>«assassinat».</em> Il abonde dans le même sens que Me Mohamed SC sur l’erreur judiciaire. <em>«La loi humaine et la justice humaine ne sont pas infaillibles. Du coup, il ne faut pas céder à l’hystérie collective à chaque crime atroce»,</em> note-t-il. L’avocat ajoute que la peine de mort n’est pas la panacée pour guérir tous les maux de la société<em>. «Le mal est profond et il faut la bonne volonté de tous pour sortir de ce guêpier ! Mais il vaut mieux sauver un coupable que condamner un innocent !»</em></p>
<p>Alors que l’assassinat contient deux éléments, la préméditation et l’affût avec intention de tuer <em>(NdlR, lying in wait), </em>Me Mamoojee avance que, dans le cas de la constable Raghoo, la poursuite ne pourra jamais établir la préméditation. <em>«La préméditation implique ‘tuer quelqu’un de sang-froid’ ! Or, dans le cas de la policière, le chauffeur pourra toujours plaider la panique, la peur, entre autres.»</em></p>
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