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Vinod Boolell: «Après l’enquête judiciaire sur la mort de Kistnen, la police devra suivre les directives du DPP»
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Vinod Boolell: «Après l’enquête judiciaire sur la mort de Kistnen, la police devra suivre les directives du DPP»
Dans le contexte de l’enquête judiciaire sur l’affaire Kistnen, l’ancien juge et éminent juriste commente les différents aspects et implications d’une telle enquête qui retient l’attention de tous, ainsi que d’autres sujets d’intérêt national…
Suivez-vous le déroulement de l’enquête judiciaire sur le décès suspect de Soopramanien Kistnen ?Qu’en pensez-vous ?
Bien sûr que je la suis. C’est une bonne chose que le Directeur des poursuites publiques (DPP) ait ordonné cette enquête car il y a trop de rumeurs et de spéculations autour de ce décès.
Quelle est l’importance de cette procédure dans ce genre d’affaire où l’enquête de la police est absente ou alors jugée incomplète ?
Une enquête judiciaire est une enquête effectuée quand il n’y a pas d’accusé. Elle a lieu dans le cas d’un suicide, homicide ou mort après l’attaque d’une bête ou quand il y a eu un accident ou quand le décès serait causé par une machine quelconque ; aussi quand le décès est survenu dans des circonstances où l’on peut raisonnablement penser que quelqu’un a commis un crime ou un délit ; ou alors quand il s’agit d’une mort en prison ou quand la personne était sous la responsabilité de la police.
Les enquêtes judiciaires donnent l’occasion aux magistrats de jouer un peu le rôle de juge d’instruction en encadrant ou en recadrant les enquêteurs, en allant sur le terrain et en réclamant des images CCTV ou le relevé d’appels téléphoniques. N’est-ce pas une méthode à privilégier afin de garantir des enquêtes indépendantes et de fond ?
Nous n’avons pas le système de juge d’instruction à Maurice. Lors de l’enquête judiciaire, des témoins seront interrogés. Comme cette enquête est une sorte d’exercice de fact-finding, le magistrat en charge a toute la latitude pour poser des questions et ordonner des investigations supplémentaires ou la production de preuves qui peuvent être sous la forme de documents. Il peut aussi convoquer des témoins et même visiter les lieux qui pourraient permettre d’établir la cause du décès. Ce genre d’enquête ne peut être conduite que dans les cas prescrits par la loi car toutes les autres enquêtes sont faites par la police ou une autre institution.
Les conclusions de cette enquête judiciaire seront remises au DPP sans être rendues publiques. Celui-ci demandera-t-il à la police de faire ou de refaire une enquête ? Supervisera-t-il l’enquête policière ? Si oui, quelle différence avec une enquête de la police sans enquête judiciaire préalable ?
Oui, une fois l’enquête judiciaire terminée, la magistrate soumettra au DPP son rapport ainsi que tous les documents récupérés durant l’enquête. Le rapport peut conclure à un suicide, un accident ou autre mésaventure, un homicide ou une mort naturelle. En l’absence de conclusions précises, le rapport pourrait contenir ce qu’on appelle «an open conclusion», due au manque de preuves. Une enquête judiciaire ne conclut pas à une culpabilité de quelqu’un. Toutefois, s’il est prouvé que le décès a été causé par un acte criminel, la police enquêtera à la demande du DPP, qui décidera de la justesse d’engager une poursuite ou non.
Est-il possible que tout s’arrête lors de la nouvelle enquête policière tout comme à la suite d’une commission d’enquête ?
Tout dépend de la conclusion de l’enquête judiciaire et des preuves recueillies.
Je veux dire que, même si le magistrat a conclu à un homicide, est-il possible que la police range le rapport dans un tiroir ?
Non. Car la police est tenue de suivre les directives du DPP et de procéder à une enquête approfondie.
Les éléments de preuves et autres témoignages recueillis au cours de l’enquête judiciaire pourraient-ils être utilisés contre un accusé ou en sa faveur lors d’un procès au criminel ?
Non. Les preuves ou témoignages recueillis durant l’enquête judiciaire ne pourraient être utilisés contre une personne qui a témoigné devant le magistrat. C’est à la police de rechercher des preuves.
Pensez-vous que l’on devrait avoir recours plus souvent à la procédure d’enquête judiciaire concernant des affaires impliquant des «high profiles», du moins ?
Les enquêtes sont du ressort de la police, sauf pour les crimes financiers qui tombent sous la responsabilité de l’ICAC. w Une enquête judiciaire peut-elle se substituer à l’ICAC ? Non, l’ICAC enquête sur des crimes financiers suivant les procédures établies sous la Prevention of Corruption Act. Une enquête judiciaire n’est concernée que par des situations de mort d’homme, comme décrites plus tôt.
N’est-il pas temps que l’on songe à instituer un système de juge d’instruction puisque, comme on l’a vu dans certains cas, la police ou l’ICAC n’est pas à même de démarrer une enquête et encore moins de la boucler dans un délai raisonnable ?
C’est une question qui mérite réflexion. Cependant, nous ne pouvons copier aveuglément les procédures existant ailleurs. Certaines enquêtes sont complexes. Je ne peux commenter sur la durée des enquêtes de la police ou de l’ICAC en l’absence de données…
Le ministre au cœur de l’enquête judiciaire ne voulait pas se présenter dans le box des accusés. Pourquoi d’après vous ? Est-ce juste symbolique ?
Je ne veux pas commenter ce cas précis. Cependant, ayant été procureur, magistrat et juge à Maurice et à l’étranger, tout ce que je peux vous dire c’est que tout accusé doit se mettre dans le box des accusés, sauf en cas de force majeure.
Est-ce normal que le Premier ministre donne les conclusions de sa propre enquête sur Yogida Sawmynaden alors qu’il y a une enquête judiciaire, une enquête de l’ICAC et une autre de la MCIT ?
Pas de commentaire. Chacun prend la responsabilité de ses actes et de ses propos.
Passons à autre chose : pourquoi accorde-t-on un délai de 21 jours pour loger des pétitions électorales si la Cour suprême prend autant de temps pour les écouter ensuite ?
Déjà plus d’un an qu’elles ont été logées… Beaucoup d’actions ont été entrées pour contester les résultats des dernières élections. La Cour suprême a beaucoup d’affaires à traiter, pas seulement celles ayant trait aux élections…
Le comportement du speaker fait l’objet d’une plainte en Cour suprême. En termes de séparation des pouvoirs, jusqu’où le judiciaire peut-il empiéter sur le législatif ?
Le législatif, l’exécutif et le judiciaire agissent indépendamment les uns des autres. La cour ne s’ingère pas dans les travaux du Parlement. Cependant, dans l’affaire de Navin Ramgolam en 1993, feu le juge Lallah a statué que la cour pourra intervenir pour faire respecter la Constitution. Et en 1998, cette même Cour suprême a conclu que «le Parlement ne peut se cacher derrière ses privilèges et immunités pour violer la Constitution qui est l’essence même de son existence».
Les trois branches du pouvoir restentelles dans leur rôle, selon vous ?
Oui, jusqu’à preuve du contraire.
Et la presse, 4e pouvoir ou contre-pouvoir ?
La presse a son rôle à jouer comme dans toute démocratie. Il est du devoir de la presse de diffuser des informations et des idées sur des questions d’intérêt public. La presse doit avoir la liberté de remplir ce rôle dans les limites de la loi. Certes, la presse informe le public sur des questions d’intérêt public. Mais il y a un nouvel aspect du journalisme aujourd’hui. C’est le journalisme d’investigation qui permet de mettre au grand jour des sujets qui sont dissimulés comme des infractions graves, la corruption politique ou des actes répréhensibles des entreprises. Dans cette mesure, le rôle de la presse est très important. Rappelez-vous ce qu’a dit Thomas Jefferson, le troisième président des États-Unis. Il préférerait des journaux sans gouvernement plutôt qu’un gouvernement sans journaux.
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