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Scott Muir, International Relations and Media Specialist, Washington, DC: “Ties between Washington, DC and London will be less special”
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Scott Muir, International Relations and Media Specialist, Washington, DC: “Ties between Washington, DC and London will be less special”
Scott Muir, notre correspondant aux Etats-Unis, habite et travaille à Washington, DC. Comme des millions à travers le monde, il a été choqué de voir la prise d’assaut du Capitole par des partisans déréglés de Donald Trump. «This was an epic security failure», s’exclame-t-il. Spécialiste des relations internationales, il revient sur la fin mouvementée de l’ère Trump et les attentes liées à la transition entre ce dernier et Joe Biden.
Qui l’eût cru : le Capitole, temple de la démocratie américaine, envahi et saccagé. Est-ce une tentative de coup d’État ?
Cela y ressemble en tout cas. J’ai été choqué par le manque général de sécurité autour du Capitole. Les forces de l’ordre ont été prises de court par les partisans chauffés à blanc par le discours de Donald Trump et de sa clique. On se croirait au temps de la guerre de Sécession (1861-1865). Il faut remonter loin en arrière, lorsque les Britanniques ont attaqué et incendié ce joyau architectural de la capitale, pour revivre de tels événements, qualifiés par l’intelligentsia de Washington, DC, de terrorisme domestique. Dans cette zone sensible de Washington, DC, il y a environ 16 unités de police différentes, y compris une police spéciale du Capitole. Aucune d’entre elles ne prévoyait la prise du Capitole par des masses de partisans pro-Trump, survoltés après un discours de division de Trump. Des images circulent montrant des policiers affectés au Capitole enlever des barricades pour laisser entrer la foule de manifestants en colère. Il s’agit d’un grave échec de sécurité qui ne fait pas honneur au pays.
Je pense que si les manifestants du mouvement Black Lives Matter avaient envahi le Capitole, il y aurait eu une réponse sécuritaire bien plus musclée. Il y aurait eu encore plus de sang et de chaos (NdlR : les événements de mercredi ont provoqué cinq morts jusqu’ici). Il faut aussi relever la parfaite maîtrise des réseaux sociaux de la part des pro-Trump qui se sont mobilisés pour marcher sur le Capitole. Ils représentent une menace directe à la démocratie. Heureusement que Twitter, l’outil de prédilection du 45e président des Etats-Unis, a enfin réalisé qu’il faut censurer de manière permanente tous les Trump qui incitent à la haine et à la violence. La condamnation est quasi-unanime. Trump a été bien trop loin. Ce sera la première fois qu’un président fera face à une deuxième procédure de destitution du congrès; cette fois-ci pour incitation à insurrection. Quelle infamie...
Dans moins de dix jours, le président Donald Trump quittera la Maison Blanche et Joe Biden interviendra. Qu’est-ce que cela signifie pour les États-Unis ?
Tout d’abord et avant tout, cela signifie un retour à un style de gouvernement «normal». Les Américains ne seront plus inondés de tweets incendiaires du président, les médias seront à nouveau les bienvenus lors des points de presse quotidiens, et il devrait y avoir une baisse spectaculaire de la controverse et des scandales qui détournent l’attention de la gouvernance. Plus de la moitié des Américains s’attendent également à ce que le contrôle démocrate sur la Maison Blanche et le Congrès se traduise par de réels progrès sur les questions environnementales et raciales.
Malheureusement, cela signifie également le début de la résistance de Trump où il agit en tant que président en exil pour ses partisans enragés qui pensent qu’il reviendra un jour ou du moins veulent qu’il continue d’influencer la politique. La nation est plus profondément divisée que jamais sur la politique, la culture et même la science fondamentale. Ainsi, il n’y aura pas de retour à la normale pour la société américaine dans son ensemble, car des dizaines de millions d’Américains pensent que Biden et les démocrates ont «volé» une élection «frauduleuse» à Trump. Ils ne font confiance qu’à leur chef et à ceux qu’il approuve, et comme on l’a vu à Washington, DC cette semaine, sont prêts à se battre en son nom.
L’histoire retiendra aussi que Donald Trump aura été un “one-term president”. Qu’est-ce que cela signifie ?
Trump sera le quatrième président qui aura fait un mandat unique depuis la Seconde Guerre mondiale et le premier en près de trente ans. Il est rare, ces derniers temps, qu’un titulaire ne soit pas réélu. L’implication est claire : une majorité d’Américains se sont lassés de son comportement excessif, de son langage abusif et de ses stratégies de division. Beaucoup ne croyaient pas non plus qu’il aurait pu effectivement mettre fin à la pandémie du coronavirus.
Ce n’est qu’après les incidents au Capitole, et sous la pression populaire, que Trump a concédé la défaite… A-t-il mis à mal le processus électoral ?
Le processus électoral américain fonctionne bien et, en fait, est plus adaptatif et efficace qu’auparavant, comme on l’a vu pendant cette pandémie. La participation des électeurs à un niveau record et la transparence électorale s’est avérée meilleure que jamais. Le refus du président de concéder n’est que le reflet de son caractère, de sa mentalié, et ne devrait pas remettre en cause le système électoral américain éprouvé.
Depuis l’élection de Joe Biden, il est ce qu’on appelle un “Lame Duck President”. D’ailleurs le Congrès a choisi de contourner son veto sur un projet de loi sur les dépenses de défense...
Trump est un président “canard boiteux” dans le sens où il ne peut plus influencer la législation au Capitole – d’où ce besoin de saccager les lieux. La dérogation bipartite à son veto sur le projet de loi sur les dépenses de défense, une première dans l’histoire de sa présidence, a démontré que de nombreux républicains n’étaient pas disposés à mettre en péril la sécurité nationale en bloquant les dépenses du Pentagone afin de satisfaire les envies personnelles de Trump.
L’invasion des chambres du Congrès par ses partisans zélés cette semaine a complètement détruit ses liens avec les législateurs. Cependant, le pouvoir qu’il conserve en tant que POTUS (President of the United States) jusqu’au 19 janvier (NdlR : Joe Biden prêtera serment le 20 janvier; Trump a juré qu’il ne sera pas présent à la cérémonie !) comprend le pouvoir d’accorder le pardon présidentiel à ses copains, d’émettre des décrets avec des conséquences réelles...Un véritable danger.
Assez parler de Trump, en souhaitant que les institutions sauront le contenir jusqu’au dernier jour. Regardons l’avenir si vous le voulez bien. Que peut-on attendre d’une présidence démocrate avec le retour de Joe Biden à la Maison Blanche ?
Ce sera un changement drastique de poli- tique. D’abord et avant tout, une présidence Biden signifie un abandon de l’isolationnisme américain et un retour à un engagement constructif avec le monde. Le multilatéralisme sera adopté. L’administration Biden tend déjà la main au monde pour confronter des défis communs tels que le coronavirus et le changement climatique. Les problèmes de sécurité dans le monde seront solutionnés de concert avec les alliés traditionnels des États-Unis. La nouvelle administration rejoindra l’accord de Paris sur le climat, restera au sein de l’OMS et respectera les alliés de l’OTAN.
Des questions telles que les droits de l’homme et la promotion de la démocratie auront un statut élevé dans les relations de Biden avec les partenaires locaux et internationaux. Bien sûr, certains craignent qu’en donnant la priorité à ces questions démocratiques, la nouvelle administration puisse s’aliéner certaines nations qui préféraient le Business Style du précédent président américain.
Faites-vous surtout référence aux partenires transatlantiques, d’autant que la nouvelle administration aura à conjuguer avec une Europe post-Brexit et à une Grande-Bretagne qui clame avoir retrouvé sa souveraineté…
On s’attend à ce que Biden donne la priorité aux relations avec l’UE plutôt qu’aux relations avec le Royaume-Uni. D’un point de vue pragmatique, c’est parce que l’Amérique doit ramener les pays de l’UE (dont beaucoup sont membres de l’OTAN) à nouveau à bord pour affronter des adversaires existants et émergents à travers le monde. Il y a des rumeurs à Washingto, DC, selon lesquelles Biden pourrait faire l’un de ses premiers voyages à l’étranger à Bruxelles ou à Berlin. On verra bien.
D’un point de vue personnel, Biden est farouchement Irlandais-Américain et a averti Londres d’éviter de bouleverser l’accord du vendredi saint car les relations commerciales transatlantiques pourraient en souffrir. Le nouveau président américain n’aimerait pas Boris Johnson, qu’il considère un peu comme un Trump britannique, et a indiqué que le Royaume-Uni n’obtiendra pas d’accord commercial américain avant au moins 2022. Les liens entre Washington et Londres resteront cordiaux comme toujours, mais peut-être la «relation spéciale» sera légèrement moins spéciale…
Qu’en est-il des relations US avec l’Iran, et le Moyen-Orient en général, quiont été exacerbées par et sous Trump ?
La préférence de Biden pour les approches multilatérales sera affichée lorsqu’il tentera de rejoindre l’accord nucléaire avec l’Iran. Aux États-Unis, le nouveau président devra faire face à une opposition significative de la part de nombreux législateurs et de puissants lobbies pour rejoindre l’accord. Cependant, il estime que le dialogue et un régime de contrôle et d’inspection finiront par dissuader Téhéran d’obtenir une arme nucléaire au lieu d’insister sur une stratégie de «pression maximale», comme prônée par l’administration Trump, et qui a été marquée par des assassinats et des sanctions. Bien sûr, Biden affrontera les activités malveillantes de l’Iran dans la région du Moyen-Orient, tout comme ses prédécesseurs, car c’est la politique US à long terme qui pose problème.
Pour de nombreux alliés de l’Amérique dans la région du Moyen-Orient, l’accent mis par la nouvelle administration sur les droits de l’homme et la promotion de la démocratie sera certainement un problème. Les nouveaux responsables de l’administration Biden ont déjà évoqué la détention de prisonniers politiques dans plusieurs pays et laissent entendre qu’elle pourrait refuser l’aide et bannir les ventes d’armes aux pays qui ne respectent pas les libertés politiques ou qui violent les libertés religieuses, ou les droits des minorités. Il est probable que Biden et le Congrès contrôlé par les démocrates fassent un effort concerté pour forcer la fin de la guerre au Yémen. Aussi, bien que Biden ne soit pas aussi proche d’Israël que la précédente administration, les liens entre Washington, DC et l’État juif devraient rester solides car le soutien américain au pays est, ne l’oublions pas, inscrit dans la loi américaine.
Et les pays africains, qualifiés de “shit hole countries” par Trump, peuvent-ils aussi éspérer un traitement plus respectueux ?
Pas de doute ! Biden adoptera certainement un ton plus respectueux que son prédécesseur lorsqu’il discutera de l’Afrique et de ses enjeux (sécuritaires, commerciaux, diplomatiques, sanitaires, entre autres). Le 46e président s’est, du reste, engagé à mettre fin à «l’interdiction musulmane» de Trump dès son premier jour de fonction, ce qui sera, sur le continent, une bonne nouvelle pour la Somalie et le Soudan. Biden souhaite aussi aider à résoudre les problèmes régionaux tels que les désaccords sur le barrage du Grand Ethiopian Renaissance et contribuer à la lutte contre le coronavirus sur le continent. De vastes programmes d’aide américaine à des pays comme le Kenya, le Nigéria, la Tanzanie et l’Éthiopie (que Trump a menacé de couper) seront probablement maintenues. Bien que Biden puisse conditionner l’aide future à Addis-Abeba avec sa volonté de mettre fin à son conflit interne en cours. Les relations stratégiques des États-Unis avec l’Afrique, cependant, continueront à se focaliser sur la lutte contre le terrorisme et la sécurité humaine. Les programmes de formation avec les militaires qui luttent contre l’Etat islamique et les affiliés d’Al-Qaïda sur le continent seront bien financés afin que les intérêts de sécurité américains soient respectés.
Dans l’océan Indien, Biden anticipera les relations principalement à travers le prisme de la sécurité maritime d’une part et pour contenir les puissances émergentes d’autre part. Il y a des appels à Washington, DC, pour que le nouveau président fasse de la politique maritime indo-pacifique une priorité au Conseil national de sécurité afin de garantir des eaux libres et ouvertes dans la région. Biden devra renforcer ses liens avec les pays riverains et les États insulaires de l’océan Indien et du Pacifique pour revigorer la stratégie américaine de pivot vers l’Asie. Il reste à voir si Biden acceptera ou non de discuter avec Maurice sur un bail à long terme pour Diego Garcia pour son utilisation continue en tant que base militaire américaine, contournant effectivement le Royaume-Uni et donnant de facto la souveraineté à Port-Louis sur les Chagos.
Verbatim
<p><em>« 1. I do think that if Black Lives Matter protestors or some other group had laid siege to Congress there would have been a harsher security response. Who knows, panicked police may have discharged their weapons in that case and there would be even more blood and chaos. Separately, I was impressed at how successful the pro-Trump supporters were in harnessing social media to mobilize for the big day. They effectively planned this rally online for a month and coordinated lodging and meet-up points in Washington and, of course, shared outrageous conspiracies to motivate each other to travel from far-flung locales. They are not going away. MAGA zealots should be considered a credible threat over the near-term. </em></p>
<p><em>2. From a personal perspective, Biden is proudly Irish-American and has warned London to avoid upsetting the Good Friday Agreement or transatlantic trade ties may suffer. The new American president is said to dislike Boris Johnson, who he views as a British Trump, and has indicated that the UK will not get a US trade deal until at least 2022. Ties between Washington and London will remain cordial as always, but perhaps the ‘special relationship’ will be slightly less special. </em></p>
<p><em>3. Trump is a lame duck president in the sense that he can no longer influence legislation on Capitol Hill. The bipartisan override of his defense-spending bill veto, the first ever during his presidency, demonstrated that many Republicans were not willing to jeopardize national security by holding up Pentagon policy and spending in order to satisfy Trump’s personal demands to increase the amount of coronavirus stimulus checks, muzzle tech firms and block the renaming of military bases named for Confederate leaders.»</em></p>
<p>(NdlR : Ci-dessus des citations «in his own words» de Scott Muir, dont l’entretien a été traduit et édité en français.)</p>
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