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Abolition de l’esclavage - Le Morne: célébration faste vs dure réalité des villageois
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Abolition de l’esclavage - Le Morne: célébration faste vs dure réalité des villageois
Embouteillage sur l’artère principale, présence de marchands saisonniers en bordure de route, une grande foule… Bref, on se serait cru dans la capitale. Mais ce n’était pas le cas. «Cette ambiance de Port-Louis va disparaître dans une heure, soit à la fin du programme protocolaire», nous confie une villageoise qui revoit cette même scène sous ses yeux année après année. Comme elle, ils sont nombreux à n’avoir pas fait le déplacement pour assister aux célébrations du jour en face de l’école primaire. Si des habitants sont de sortie, c’est principalement «pou get mouvman», si ce n’est pour s’affairer à leurs tâches habituelles.
L’on aborde l’un d’eux, Remilene Ramalingum, qui a servi comme conseiller du village pendant 15 ans. Pour lui, ce jour représente certes, «enn gran zafer», mais il déplore que, quand on parle du 1er février, on parle uniquement de «sa gro rosla» en référence à la montagne du Morne. «Inn bouz lil Moris pou profit nou vilaz enn sel zour. Get komié bis inn vini (NdlR, il y avait, en effet, des dizaines, à savoir ceux de Mauritian Bus Transport, qui dessert le nord, ceux d’United Bus Service et des individuels). Les années suivant l’inscription de la montagne du Morne, soit en 2008, les villageois participaient aux célébrations. Mais après, en voyant que personne n’écoutait leur cri d’aide, zot inn dégouté.»
Il explique cette déception. «On croyait qu’on avait finalement vu la lumière, mais c’était de courte durée. Ce qu’on cherche pour notre village, on ne l’obtient pas. Toutes nos demandes tombent dans les oreilles de sourds. On a toujours des chaînes autour du cou, des mains et des pieds.» Il déplore surtout le manque d’infrastructures, à l’instar de toilettes sur la plage publique. «C’est malheureux qu’on habite un village qui soit reconnu par l’UNESCO, et mondialement, mais qui n’est pas dotée de toilettes publiques», ironise-t-il.
Plus loin, Clara Fanny décrie surtout le manque d’implication des habitants dans ces célébrations. «Comme vous voyez, la majorité des personnes sont des visiteurs (NdlR : beaucoup de groupes de troisième âge ont fait le déplacement pour l’occasion). Les villageois ne se sentent pas concernés. Ce qui explique leur absence. Ne serait-ce que des activités pour des enfants à côté de l’endroit où se tient la commémoration. Déjà qu’il y a un manque accru de loisirs dans le village. Kan get zot, zot dan delo ou devan televizion. Ce même argent qui a été utilisé pour la commémoration aurait pu servir pour réaliser des projets dans le village.»
On emprunte l’avenue Jasmin pour aller à la rencontre de squatteurs qui occupent ces terres depuis plus d’une dizaine d’années. Pas d’asphalte, pas de lampadaires. En revanche, on trouve une… fontaine portant une plaque commémorative sur laquelle est inscrite ‘Jasmin’. C’est à partir de cette fontaine que la cinquantaine de familles qui habitent ces lieux sont approvisionnées en eau. Mais elle n’est pas potable, apprendon. «Mais on n’a pas le choix. Bann-la kan vinn gét», zot dir délo-la prop. On a entrepris beaucoup de démarches, en vain. Quelquefois, la fourniture est interrompue. Ceux qui ont les moyens achètent des bouteilles d’eau, mais ce n’est pas le cas pour tout le monde. Auparavant, des camions citernes nous approvisionnaient en eau, mais depuis que cette fontaine a été installée, elles ne viennent plus», nous confient des habitants.
L’un d’eux nous dira que ses voisins et lui ne sont pas considérés comme des Mauriciens. «Fer onté pou dir sa, mé nou pe viv kouma dir a laz de pier. Mo ankor pe baign ek lamok. Ce n’est que lorsque je me rends chez ma mère ou ailleurs que j’arrive à prendre une douche. Kiena si donn nou delo ek kouran ? De nos jours, on n’avance que par la technologie. Et pour être dans l’air du temps, vous devez avoir des outils informatiques qui marchent à l’électricité. Apre zot koz sans egal? Sa pa pou nou sa. Mo pa konpran sipa nou pa ekzisté. Mé kan ena eleksion nou ekzisté. Par contre, il y a des développements qui se font dans d’autres parties du village», déclare notre interlocuteur.
Sans compter les facilités infrastructurelles. Un ancien joueur de boxe qui habite la localité dit vouloir partager sa passion avec des jeunes mais encore faut-il qu’il y ait l’infrastructure nécessaire. Quid du village hall et du centre communautaire ? «À chaque fois qu’on cherche à les utiliser, il y a toujours des problèmes. Donc, on ne demande plus. On ne peut pas emmener les enfants et les jeunes au bord de mer pour pratiquer car il y va de leur sécurité. On devait avoir un terrain de foot, un dispensaire, un bureau de poste mais ces projets tardent à sortir de terre. Cependant, lors de l’inauguration de l’expo Eskuli, samedi dernier, le ministre et député de l’endroit, Alan Ganoo, nous a donné l’assurance que nos différents problèmes seront résolus cette année-ci. Espérons-le…»
Exposition la beauté de la région exprimée sur des visages
Alors que les habitants du Morne déplorent l’oubli des autorités à leur égard, Ashok Kallooa (photo), artiste passionné, ne les a pas oubliés. À travers une exposition de 150 photos au village hall de la localité ouverte jusqu’au 9 février, cet ancien syndicaliste et responsable de la formation d’infirmiers a voulu leur rendre hommage. Depuis trois mois, il a immortalisé la vie des habitants du Morne et des villages avoisinants. «J’ai travaillé avec les gens de ces environs pour réaliser ces photos. Nous avons développé une relation exceptionnelle. L’accueil des personnes a été extraordinaire. Un sens que beaucoup semblent avoir perdu.»
À travers ces 150 photographies, il a voulu retracer ce lieu hautement historique. Non seulement à cause des esclaves mais aussi de l’évolution qui s’est enchaînée par la suite. C’est pour cette raison qu’il ne s’est pas uniquement focalisé sur le Morne, mais aussi sur les autres villages voisins qui ont aussi des histoires à raconter. Cette exposition est la deuxième d’une série de trois que l’artiste compte organiser. S’inspirant des esclaves et des coolies, il a réalisé sa première expo, en novembre dernier, sous le nom : Eskuli – Laswer e kreasion. «Cette fois-ci, le thème est Eskuli – Ban Batiser et, en mai prochain, je vais faire une troisième expo appelée Eskuli – Un seul destin. On va retracer le travail et les métiers oubliés en photos.»
Rezistans ek Alternativ réclame une stèle commémorative pour Anna de Bengale
Honorer celle qui a mené la première rébellion des esclaves. C’est avec cet objectif que les membres de Rezistans ek Alternativ ont célébré le 186e anniversaire de l’abolition de l’esclavage au musée Frederik Hendrik, à Vieux-Grand-Port, hier. Un flambeau symbolique a été allumé en son hommage. Stefan Gua, membre du parti de gauche, explique qu’il n’est «pas correcte» de commémorer uniquement «une partie de l’histoire». C’est la raison pour laquelle Rezistans ek Alternativ demande qu’Anna de Bengale soit reconnue à juste titre. «Il ne faut pas oublier que le marronnage est le premier acte de libération à Maurice», a-t-il dit. Autre réclamation : qu’un amendement soit apporté à la Constitution de Maurice, qui permettra de reconnaître toute personne comme un humain. «Inn ariv ler pou débaras nou dé sa klasifikasion kominal-la. Sé enn restan esklavaz. Nou péi napa aparténir a okenn klan ni personn. Li pou tou dimounn parey», a lancé Stefan Gua. Soulignons que le syndicaliste Rashid Imrith a tenu à participer à l’hommage rendu par Rezistans ek Alternativ à Vieux-Grand-Port hier.
Messe pour «guérir la mémoire»
C’est en l’église de Notre-Dame-de-l’Assomption, à Roche-Bois, que le cardinal Piat a célébré une messe comme chaque année pour marquer l’anniversaire de l’abolition de l’esclavage. Plusieurs personnalités étaient présentes. Dans son homélie, le père Alain Romaine a fait ressortir que des recherches sont encore en cours pour permettre d’honorer les ancêtres des descendants d’esclaves à travers le musée de l’esclavage.
La commémoration des Rastafari
Linion Sitwayin et le Groupe Réflexion Emmanuel Anquetil ont voulu commémorer l’abolition de l’esclavage à leur manière. Avec la communauté rasta, ils ont fait un pèlerinage à Trou-Chenille avec un dépôt de gerbes et le nayabingi. «Depuis tant d’années, il y a eu beaucoup d’hypocrisie. Seki koze isi (au Morne) ek kot bann sosiete sosio kiltirel dé langaz diferan. Il est temps de cesser cette hypocrisie. Tout Mauricien a le droit de vivre sa culture à 200 %, la communauté Rastafari aussi», a affirmé Bruneau Laurette.
Cérémonie protocolaire. Un spectacle qui a réuni toute l’assistance
Le moins que l’on puisse dire, c’est que l’ambiance a été particulière en ce jour de commémoration du 186e anniversaire de l’abolition de l’esclavage au Morne. Le décor planté a laissé présager qu’un spectacle haut en couleur serait présenté sur le thème choisi pour cette année : ‘Rezilians’. Et le public a été servi. Tout vêtu de blanc, Désiré François a fait son entrée sur scène et interprété la chanson dédiée à cette région : Le Morne.
Des paroles que tous connaissent et certains ont même poussé à la chansonnette. Ravannes, kayamb (maravanne) et triangle ont eu un effet envoûtant sur l’assistance. De son côté, assis au premier rang, le Premier ministre a suivi le rythme. Dans un premier temps, il a suivi la mélodie en tapant son programme qui se trouvait dans sa main droite avec la paume de sa main gauche. Il a ensuite commencé à taper du pied, montrant son appréciation de la chanson.
Puis, le slameur Stewelderson Casimir a fait son entrée. D’emblée, ses paroles ont su retenir l’attention de l’assistance. «Mo kapav, li kapav, to kapav, nou tou kapav, nou pe koz rezilians.» À force de répéter avec insistance ces paroles, le public s’est laissé entraîner et a suivi les traces du slameur. Et le spectacle s’est terminé par un show de ‘The Prophecy’. Accompagné de la chorale du conservatoire François Mitterrand, le groupe a entonné Nou pou sirmonte. Le tout encadré par les danseurs du SR Dance Group de Stephen Bongarçon.
Cette cérémonie a été marquée par la tenue vestimentaire de certaines personnalités, dont Sooroojdev Phokeer, vêtu d’un polo blanc à motif avec des éléphants et d’un chapeau où l’on pouvait voir des palmiers noirs dans un décor. Les ministres Obeegadoo et Ganoo avaient revêtu des chemises africaines. Ou encore Lady Sarojini Jugnauth qui n’est pas passée inaperçue avec son petit ventilateur portatif à portée de main. Le Père Grégoire, Olivier Bancoult, ou encore la haut-commissaire de l’Inde, Nandini Singla, ont aussi brillé par leur présence.
Par ailleurs, cette année en l’absence d’un invité d’honneur étranger, seuls deux discours étaient au programme des célébrations. Le Premier ministre, Pravind Jugnauth, a mis en garde ceux qui menacent l’harmonie du pays. «En ce moment, il y a des gens qui cherchent à créer une division et amener une instabilité dans le pays. Ils ne respectent pas le souhait de la population.» Il a souligné qu’il est du devoir de chaque Mauricien de veiller sur le «bijou» qu’est la paix.
Il a salué le travail effectué par son gouvernement, sa gestion de la crise du Covid-19. «Dans certains pays, les gens ne peuvent se réunir comme nous le faisons à cause de la pandémie.» Autre point souligné dans son discours, la réforme de l’éducation. «Nous avons amené une réforme qui fait que tous les enfants ont la chance d’aller dans un bon collège. Ils auront même la chance d’aller gratuitement à l’université.»
Revenant sur les projets d’envergure, Pravind Jugnauth a réitéré celui de la construction de 12 000 maisons pour les gens à faibles revenus. Il a terminé son discours en revenant sur l’arrêt du Tribunal international du droit de la mer qui a tranché en faveur de Maurice et rejeté les arguments des Maldives sur la délimitation de la frontière au nord des Chagos. Faisant référence à la manière dont les Chagossiens ont été déracinés de leurs îles, il espère que l’Angleterre va se ressaisir et rectifier le tir. «En tout cas, le gouvernement ne compte pas reculer dans cette affaire.» Le ministre de la Culture, Avinash Teeluck, a lui avancé que 3 000 personnes ont été consultées sur le projet de musée de l’esclavage et ces dernières ont donné un aperçu de comment elles voudraient que le musée soit.
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