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Tega Chinnan: «Que l’argent de la MIC n’aille pas effacer les ardoises»
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Tega Chinnan: «Que l’argent de la MIC n’aille pas effacer les ardoises»
Il a étudié l’hôtellerie et le tourisme à un haut niveau et exerce dans le consulting touristique à Londres. Ce fils du sol jette un regard critique sur l’industrie touristique et donne quelques pistes sur lesquelles on pourrait réfléchir collectivement pour rebondir et sauver ces milliers d’emplois qui sont présentement menacés. Entretien.
Le tourisme mauricien traverse la plus grave crise de son histoire. D’aucuns disent qu’il vivrait même ses dernières heures sous sa forme actuelle…
Difficile de vous répondre par un oui ou un non. Tant de facteurs comptent, à la fois internes et externes. Pour évaluer si le tourisme mauricien se meure ou est simplement en perte de vitesse uniquement, il importe de regarder plusieurs chiffres et de les analyser froidement. En général, l’analyse se fonde sur la sévère baisse du nombre de visiteurs, mais d’autres facteurs comme la baisse des revenus résultant des dépenses du tourisme, les recettes touristiques, une baisse des investissements dans les hôtels ou autres installations liées au tourisme, ou encore la chute du nombre d’emplois directs et indirects. On doit aussi mesurer le tourisme sur le plan qualitatif, en termes d’appréciation perçue de la destination, de la qualité de l’expérience des visiteurs (peut-être mesurée en termes de proportions de repeated guests). Tous ces éléments sont liés les uns aux autres et il faut les analyser de manière holistique. La première difficulté est de décider ce qui représente une baisse ou pas, et un second problème est de savoir comment ce facteur peut être mesuré. Le nombre de visiteurs peut augmenter d’année en an- née, mais d’autres facteurs mentionnés ci-dessus peuvent être en déclin. Ainsi, idéalement, un chiffre plus représentatif que le nombre de visiteurs est nécessaire pour peindre l’image avec précision. Les acteurs touristiques mauriciens savent qu’il y a une stagnation dans les arrivées touristiques depuis des années, bien avant le Covid-19. Une étude menée par Carsen et R Butler en 2011 avait conclu que la destination avait bénéficié du développement touristique haut de gamme, mais le produit mauricien était, lui, en phase de stagnation. En optant pour le tourisme haut de gamme, Maurice a pu indirectement limiter le nombre des arrivées touristiques…
Le Covid-19, le lockdown, les frontières fermées. Ce ne sont donc pas les seules raisons du stade comateux de l’industrie ?
Il y a pas mal de raisons pour expliquer l’état comateux du tourisme mauricien. Il faut savoir que les destinations sont dynamiques, et qu’elles doivent être gérées en fonction. Ainsi, les principales causes du déclin sont pêle-mêle : les attributs et l’environnement ne sont plus attrayants pour le marché. Il y a aussi l’évolution des goûts du marché et les destinations concurrentes qui deviennent plus attrayantes, dans certains cas, en raison des évolutions de l’accessibilité, l’environnement, l’hospitalité, la sécurité, entre autres. Les problèmes inhérents au tourisme mauricien ont été discutés lors de deux assises du tourisme, avec tous les partenaires. Mais ce sont les échecs dans la planification dans le long terme et la mise en œuvre des politiques appropriées et soutenus qui sont souvent les vrais problèmes. Les différents White Papers sur le tourisme, les différents plans de développement stratégique ou les rapports soumis par l’Union européenne sont restés dans les tiroirs. Par exemple dans le National Tourism Development Plan de 2002, il y avait, entre autres stratégies pour la relance du tourisme mauricien, l’introduction d’un plan pour le Land-Use Zoning. Je cite un extrait : «Mahébourg Tourist Zone’ is a south east zone for small scale mixed development. The strategy emphasises to maintain luxury hotels, whilst making environmental protection a priority. Another spearhead of the strategy is to stimulate high quality small hotel development. The philosophy for the ‘South Coast Heritage Zone’ is to maintain a rich environmental reserve of scenery and natural features of the island. This strategy is formulated in order to protect and maintain the rich environmental reserve of scenery and natural features. ‘The South West Nature Zone’ is meant for improvements in ‘green activities’ and not for hotel developments. The ‘Black River Gorges National Park’ is also incorporated in this nature’» et on connaît tous la décision de venir construire un hôtel sur la plage de Pomponette.
Il faut savoir que traiter les symptômes plutôt que les causes du problème est rarement efficace à long terme et ne fait que retarder l’inévitable. Des actions immédiates et divers plans de diversification entrepris à court terme sont rarement couronnés de succès. Pour faire face au déclin, outre les connaissances techniques et la compréhension spécifique par des personnes qualifiées dans le domaine touristique, des politiques appropriées et l’application effective des différentes stratégies doivent être de mise. Mais cela ne peut être entrepris par des nominés politiques qui n’ont aucune connaissance de l’hôtellerie et du tourisme.
Le gouvernement, à travers la Mauritius Investment Corpora- tion (MIC), injecte des dizaines de milliards. Est-ce que cela n’équivaut pas à “throwing good money after bad one” ?
Les aides de l’Etat sont importantes pendant cette pandémie. Cependant, il faut aussi souligner que nos hôteliers ont accumulé des dettes inexplicables malgré la croissance des recettes durant plusieurs années, et ont même bénéfi- cié de la générosité de l’Etat à travers différents plans et avantages fiscaux de différents gouvernements. Il est primordial donc que l’argent de la MIC n’aille pas effacer les ardoises mais contribue à sauver l’emploi. Nombre d’hôteliers ont persisté avec une politique libérale avec l’expansion d’autres hôtels aux Maldives, Seychelles, à Madagascar, en Tanzanie… La réalité est que l’industrie touristique mauricienne n’avait pas anticipé ces forces exogènes qui asphyxient le tourisme actuellement, qui sont arrivées comme un Tsunami.
Aux Maldives, pays desservi par 26 compagnies aériennes, les choses ont repris, Aux Seychelles aussi. Qu’ont-ils compris plus que nous ?
Pour une reprise dans le domaine touristique à travers le monde tout dépendra de la vaccination rate. D’autres contrôles vont être renforcés comme on en a vu avant, lors d’autres crises comme le 9/11, SARS. Aux Maldives et aux Seychelles, leur développement touristique, la géographie, la densité de leur population et même leur système économique sont différents de Maurice. On a tendance à comparer notre croissance touristique avec les Seychelles et les Maldives, mais leur stage de développement diffère du nôtre. Chaque destination passe par son propre processus de développement. Qui est inévitablement sujet à des changements à différents taux de croissance et avec des conséquences différentes.
A Maurice, il y a au total plus de 125 000 emplois (directs et indirects) qui sont menacés. Est-ce à ce point grave?
Le secteur touristique a apporté une grande contribution financière à notre système économique, surtout en devises étrangères. Même la provenance des fonds de la MIC est liée étroitement aux recettes en devises étrangères du secteur, pendant plus de 70 ans. Donc, il est important que le gouvernement puisse soutenir tous les emplois indirects liés au tourisme. Avec l’ouverture des frontières, qu’est-ce qu’on va dire aux tour-opérateurs étrangers? Qu’on n’est pas prêt pour accueillir les touristes, car toutes nos activités liées aux touristes ont fermé leurs portes? L’un des éléments-clés demeure la question du soutien gouvernemental pour l’ensemble de l’industrie.
Comment faire repartir cette industrie qui pèse 25 % du Produit intérieur brut?
Pour faire repartir l’industrie touristique, ce qui pourrait apparaître d’abord être une tâche relativement simple s’avère en réalité complexe. Il faut une approche holistique du secteur et une réorganisation de nos institutions. Le tourisme est avant tout un produit et n’est-il pas temps à Maurice d’avoir un National Tourism Board pour gérer la destination et que le privé puisse aussi financer, chacun selon ses moyens, au marketing qui coûtera plus cher pour des destinations éloignées comme la nôtre?
Il faut aussi rétablir notre image, salie par le naufrage du Wakashio et la gestion hasardeuse de la marée noire subséquente par les autorités. Le tourisme, tel qu’envisagé il y a quelque mois, ne sera pas comme avant. Aura-t-on une guerre de prix et des promotions touristiques entre les différentes destinations? Le Covid-19 a aussi montré que le Smart Tourism est devenu une réalité et que les gens recherchent beaucoup plus d’informations qu’avant. L’innovation technologique et surtout l’agilité seront les maîtres-mots pour l’industrie touristique. Un deuxième axe d’action devrait porter sur la refonte de la destination avec le soutien de la population. Peut-être que nous avons aussi besoin de nous demander si Maurice devrait essayer de ré-créer le passé pour l’avenir…
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