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Jaya Patten: «L’emprunteur perd une partie de son autonomie et de son indépendance politique»
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Jaya Patten: «L’emprunteur perd une partie de son autonomie et de son indépendance politique»
Cet ancien haut cadre de la Banque de Maurice, qui évolue sur le marché du travail international, explique les facteurs entourant la question de l’endettement souverain auprès de sources étrangères.
Quels sont les facteurs pouvant inciter un gouvernement à recourir à des emprunts de gouvernements étrangers ?
La pandémie du Covid-19 a changé la donne en matière de finances publiques et de tolérance de niveau d’endettement plus élevé. Le niveau des emprunts a augmenté considérablement pour financer les plans de relance. Dans les économies développées, les marchés de capitaux ont vu une augmentation des émissions obligataires. Dans les pays en développement et émergents, en l’absence d’un tel mécanisme, les gouvernements se sont tournés vers des institutions internationales comme le Fond monétaire international, la Banque mondiale. Mobiliser les banques internationales via les marchés de prêts syndiqués pour des programmes de relance est souvent difficile. Il est donc plus courant de recourir aux prêts bilatéraux auprès de partenaires amis et alliés. Ces prêts sont accordés à des conditions commerciales, c’est-à-dire, à des taux d’intérêt et à des conditions de marché. Le plus souvent, ce sont des prêts concessionnaires, assortis de taux d’intérêt bonifiés et de conditions généreuses, sous forme de délais de grâce, d’échéances et de facilités de remboursement.
Ce n’est certainement pas par pure générosité que ces prêts sont consentis. Qu’est-ce qui pourrait susciter un tel intérêt de venir en aide au pays demandeur ?
La logique est souvent davantage motivée par la géopolitique que par l’économique. Une chose est sûre, si c’est la géopolitique, cela implique généralement des attaches. Souvent, il s’agit d’accorder en retour au pays prêteur ou à ses entreprises/investisseurs un traitement préférentiel. Alternativement, une preuve d’allégeance en votant d’une certaine manière sur des questions majeures aux Nations unies ou dans d’autres forums. En acceptant de tels prêts, l’emprunteur perd une partie de son autonomie et de son indépendance politique. C’est la raison pour laquelle de nombreux pays africains sont désormais moins enclins à accepter de tels prêts de certains pays, notamment de la Chine.
Quelles sont les implications de telles dettes sur les court, moyen et long termes alors que la roupie ne cesse de rapetisser vis-à-vis du dollar ?
Les emprunts à l’étranger impliquent deux types de risques. Ceux-ci se situent au niveau du taux et au niveau des opérations de change. Cela me rappelle un projet sur lequel j’ai travaillé lorsque j’étais basé à Hong-Kong, conseillant un gouvernement d’Asie du Sud-Est sur la restructuration d’un portefeuille de prêts bonifiés, libellés en yens. Bien que le taux d’intérêt ait été très bas, l’appréciation du yen avait plus que doublé le capital.
Comment éviter de tels risques ?
La création d’une entité chargée tout particulièrement de la gestion de la dette, un Debt Management Office, qui pourrait contribuer à éviter les effets de tels risques.
Quels devraient être les principaux objectifs d’une telle entité ?
Son mandat devrait inclure la gestion des risques associés aux taux d’intérêt, au taux de change, au profil de maturité de la dette et aux politiques d’émission de titres publics. À titre d’exemple, l’Agence France Trésor a pour mission «de gérer la dette et la trésorerie en France au mieux des intérêts du contribuable et dans les meilleures conditions possibles de sécurité». Elle est active à la fois sur les marchés primaires, secondaires et les différents marchés de dérivés. Un certain nombre de pays en développement ont créé de telles entités. Le Fonds monétaire international et la Banque mondiale sont également très proactifs pour susciter l’émergence des compétences requises en la matière. Cela contribue également à la promotion de la transparence.
Y a-t-il une alternative à l’endettement ?
L’endettement est un moteur essentiel de croissance. Un gouvernement doit emprunter de manière responsable. Je comprends les préoccupations concernant «le pourquoi». Cependant, la question la plus appropriée devrait être «à quoi sert l’emprunt ?» Il existe néanmoins toute une gamme d’alternatives commerciales pour lever la dette publique en fonction des besoins, à savoir les dépenses récurrentes, l’investissement en capital, le financement de projets et d’infrastructures. Cela peut se faire par l’émission de titres d’État, c’est le cas quand il existe un marché développé et efficace. Autrement, c’est l’accès aux marchés de prêts syndiqués et de prêts bilatéraux. Pour le financement des infrastructures et des projets, il existe des solutions de financement d’actifs. Cette pléthore de solutions offre une marge de manœuvre importante pour choisir le mécanisme de financement le plus approprié. Il offre également un éventail de prêteurs potentiels et de sources de financement.
Sur quelle justification le recours à l’endettement devrait-il s’appuyer ?
Le challenge consiste naturellement à démontrer que le prêt générera directement ou indirectement les ressources nécessaires pour soutenir le service de la dette et le remboursement du capital.
Le recours à des emprunts comporte des risques. Que faire pour se prémunir contre les revers que ces risques traînent toujours dans leur sillage ?
Pour se prémunir contre de tels revers, les risques doivent être identifiés, mesurés, gérés, surveillés et communiqués. Ce sont les principes de base d’une gestion transparente de risques. Il ne devrait y avoir aucune excuse pour ne pas avoir un tel système en place. L’initiative récente du gouvernement australien, le Transparency Portal, en est un bel exemple. La gestion des finances publiques diffère de celle des entreprises en termes d’alternatives entre dette et fonds propres.
Quel a été l’impact de la crise financière mondiale sur la prédisposition des grandes banques à continuer à soutenir le segment-prêts à des pays ?
Cette crise a contribué à réduire l’appétit des grandes banques à prendre le risque, en particulier les marchés émergents.
Une situation de crise peut provoquer l’émergence de nouvelles pistes ou de voies de sortie. Ce phénomène at-il été observé dans le secteur financier ?
Il y a eu un développement des marchés de la dette privée. Ce sont des fonds privés qui accordent des financements à des conditions commerciales. Le financement mixte ou Blended Finance, offre une source supplémentaire. Il combine les capacités de financement et de partage de risques des institutions de financement du développement et des prêteurs commerciaux. Pour tout bailleur de fonds, un prêt implique la prise de deux types de risques, à savoir un risque de crédit et un risque de liquidité. L’appétit pour ces deux types de risques diffère considérablement entre prêteurs.
Les organismes de développement ont souvent une tolérance pour le risque de crédit mais n’ont pas le bilan nécessaire pour la liquidité. Les prêteurs commerciaux ont la liquidité, mais n’ont pas la capacité de bilan du risque de crédit. C’est un facteur qui permet de créer des solutions de financement structuré, basées sur une bifurcation du risque de crédit et de liquidité entre différents groupes de prêteurs spécialisés. Le temps est sans doute approprié pour développer le marché de la dette publique en devises locales et étrangères. L’émission de titres d’État à court terme, libellés en devises étrangères, pourrait fournir à la banque centrale des réserves de change et aider à éponger l’excès de liquidités sur le marché intérieur. L’un des avantages accessoires est d’offrir un baromètre important pour jauger le sentiment des investisseurs sur le niveau d’endettement viable.
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