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La Constitution à ne pas reléguer aux poubelles de l’Histoire

13 mars 2021, 15:27

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La Constitution à ne pas reléguer aux poubelles de l’Histoire

Un 12 mars confiné. Pour marquer les 53 ans d’indépendance et les 29 ans d’accession au statut de République. Peut-on se proclamer indépendant quand on utilise toujours la Constitution héritée de l’ancienne puissance coloniale? Et si l’histoire était surtout de savoir tirer les leçons du passé…

Être totalement indépendant. Est-ce que Maurice peut se proclamer indépendant alors qu’il utilise toujours la Constitution héritée de l’ancienne puissance coloniale britannique ? Alors que nous marquons aujourd’hui le 53e anniversaire de l’Indépendance et les 29 ans de l’accession au statut de République, les questions (récurrentes) autour de la Constitution, sa révision en profondeur, l’avènement éventuel d’une deuxième République, restent posées.

 Distinguo. L’article premier de la Constitution proclame que Maurice est un État et démocratique. «Il y a d’une part les critères objectifs d’indépendance. Au niveau des institutions, l’exécutif, le judiciaire etc. sont indépendants», explique Milan Meetarbhan, juriste constitutionaliste, ancien ambassadeur et auteur d’un ouvrage critique intitulé Constitutional Law of Mauritius, paru en 2017.

Le professeur Stanley De Smith (1922-1974), auteur de notre Constitution.

Mais, se demande le spécialiste, «Maurice s’est-il donné les moyens de revoir son régime constitutionnel ?» Milan Meetarbhan rappelle qu’il y a eu, en 53 ans, une série d’amendements à la Constitution. Dont certains «très controversés et sans grande consultation».

 Il cite en exemple le sort du défunt Economic Crime Office (ECO), l’ancêtre de l’Independent Commission against Corruption (ICAC). «Contrairement à l’ICAC, l’ECO était prévu dans la Constitution. Mais à la suite de certaines enquêtes concernant des ministres, la Constitution a été modifiée avec un préavis de 24 heures.» Cela pour supprimer l’ECO, «comme c’était la seule façon de stopper les enquêtes».

Réformer la Constitution est un exercice normal dans les démocraties, notamment avec l’apparition de nouveaux droits fondamentaux. «Dans les années 1960, on ne parlait pas encore des droits liés aux nouvelles technologies.» Milan Meetarbhan affirme qu’il faut revoir la Constitution mais la clé, c’est comment s’y prendre. «Ce n’est pas parce qu’un gouvernement a la majorité de trois quarts qu’il peut convoquer le Parlement et voter des amendements sans des consultations préalables, ni débat public.»

Cependant, le juriste ne lie pas la fin du processus de décolonisation à la révision de la Constitution. «On parle de décolonisation surtout en référence aux Chagos. C’est différent. Une partie du territoire mauricien est toujours sous le joug colonial. Mais je ne pose pas le débat de la réforme constitutionnelle dans les mêmes termes. C’est simplement une étape. Il faut y réfléchir.»

Milan Meetarbhan n’est pas de ceux en faveur d’une deuxième République. «Ce qui implique parfois l’idée de tout recommencer.» Il est pour une révision constitutionnelle «indépendante et dépassionnée», en examinant avec soin ce qui a fonctionné et ce qui n’a pas marché. En tenant compte de l’évolution du monde. «Il ne faut pas tout rejeter en bloc, condamner la Constitution et le régime actuel.» Avec ironie, il rappelle qu`à l’époque des 20 ans de l’Indépendance déjà, il avait évoqué la création d’un comité des sages en vue d’une éventuelle révision constitutionnelle.

Si c’est «aberrant» d’avoir hérité de la Constitution comme l’un des «last orders in council» des Britanniques, Rajen Narsinghen, Senior lecturer de la faculté de droit à l’université de Maurice, rappelle que cela a été ratifié par l’Assemblée législative, qui n’était pas encore l’Assemblée nationale. «Aberrant» aussi, parce que nombre de pays ont adopté une nouvelle constitution après la lutte pour l’indépendance. Cela aurait pu avoir été l’œuvre d’une «assemblée constituante avec des Mauriciens et des experts étrangers».

Avec pédagogie, le chargé de cours rappelle qu’une constitution est une charte de la nation approuvée par la nation. Cela par le biais d’une assemblée constituante, dont les membres peuvent être élus. Ou alors ce sont des membres représentatifs qui sont nommés. «Le gouvernement qui souhaite réviser la Constitution ne peut pas regrouper seulement des gens d’un certain courant.» Il devrait faire appel également aux «petits partis politiques et ONG crédibles», estime Rajen Narsinghen. Une fois la nouvelle Constitution écrite «pour être en accord avec la démocratie, elle doit être ratifiée par le peuple».

Brin d’histoire avec le pédagogue. Rajen Narsinghen ex- plique que le colonial secretary de l’époque «avait envisagé un référendum mais, dans les échanges de correspondances, il y a eu des craintes que cela n’amplifie le communalisme à Maurice». Voilà pourquoi, selon le chargé de cours, les élections de 1967, à la veille de l’Indépendance, étaient un «référendum implicite».

En l’état actuel, même si le peuple n’a pas eu son mot à dire, «la conférence constitutionnelle de Lancaster House en 1965, qui a regroupé les leaders des principaux partis politiques de l’époque, était une assemblée constituante implicite. Il y a eu des débats. La Constitution est un compromis». Le chargé de cours cite l’exemple de la Constitution en Inde qui était «un compromis historique».

Chez nous, c’est le professeur Stanley Alexander De Smith qui a agi comme Constitutional Commissioner. Dans un article qu’il a écrit en 1968 (Mauritius : Constitionalism in a plural society), il explique les «particularités de notre Constitution, qu’on ne retrouve pas ailleurs dans le Commonwealth. Ni à Trinidad et Tobago, ni en Jamaïque etc.», précise Rajen Narsinghen. Parmi celles-ci : les pouvoirs du gouverneur général. «Jules Koenig et d’autres avaient plaidé à l’époque, mettant en garde contre un éventuel Premier ministre qui deviendrait trop puissant. Le gouverneur général de Maurice avait eu des pouvoirs qu’il n’avait pas dans d’autres anciennes colonies britanniques. Avec le temps, cela s’est avéré. Le PM est devenu hyper puissant.»

Pour amender la Constitution, il faut passer par la sacrosainte majorité de trois quarts au Parlement. «Quand les pères fondateurs ont écrit cela, ils se basaient sur le modèle westminstérien du bipartisme. À l’époque, on a raisonné en se basant sur le Parti travailliste et le Parti mauricien social-démocrate (PMSD), avec des petits partis qui se colleraient aux deux grands. A l’époque, on n’avait pas envisagé un score de 60-0 ou 58-2 aux élections.» Rajen Narsinghen trouve «malsain et dangereux» que la section de la Constitution concernant la majorité de trois quarts concerne à la fois la «majorité politique et celle nécessaire pour changer la Constitution».

Il résume ainsi les deux points de vue «extrêmes». D’une part, ceux qui disent que la Constitution est un legs colonial, «mais je pense que c’est un peu exagéré». Et d’autre part, ceux qui rappellent que des Mauriciens ont participé aux débats et que cela a été ratifié par le Parlement. «Mais après 53 ans, il faut penser à une nouvelle Constitution.»

Le changement informel en marche

Un groupe informel baptisé For a new Constitution se penche depuis un certain temps déjà sur les amendements à apporter à la Constitution. Rajen Narsinghen – qui en fait partie – cite parmi les autres membres, l’historien Jocelyn Chan Low, le syndicaliste Jack Bizlall, Milan Meetarbhan et l’ancien ministre Joseph Tsang Man Kin. «Nous avons produit un document de réflexion largement basé sur l’histoire.» Une présentation était imminente, «mais l’université de Maurice y a opposé son veto». Prochaine étape, les citoyens et partis politiques seront invités à déposer. Pour sa part, le Mouvement Premye Me avait déjà proposé un document dans ce sens.

 

Sommes-nous devenus plus dépendants?

Qui dit indépendance politique, dit indépendance économique. Que ce soit pour les produits manufacturés, l’alimentation, les finances et les investissements, la main-d’œuvre qualifiée ou non. Comparé à 1968, le pays est-il devenu plus dépendant de l’étranger? Bien sûr, nous parlons d’économie ouverte, mais est-ce à l’avantage de notre économie et de nos citoyens?

«De quelle indépendance parlons-nous», se de- mande Nalini Burn, socioéconomiste, «quand après l’indépendance, nous avons continué le même système économique visant à fournir en sucre d’abord les Anglais puis l’Union européenne quand l’Angleterre s’y est jointe?» Kee Chong Li Kwong Wing, économiste et ex-président et directeur de la State Bank of Mauritius (SBM) Holdings, rappelle que le pouvoir colonial faisait produire le café au Kenya, le thé au Sri Lanka, le coton en Inde et la canne à Maurice et à la Jamaïque pour subvenir à ses besoins.

Après l’indépendance, nous avons conservé le système qui s’est ensuite heurté à la fin des accords préférentiels venant de l’Union européenne. L’ex-directeur de la SBM Holdings estime que pour se dire indépendant, il faut avoir le pouvoir souverain de décision, pratiquer ses propres valeurs et choisir son modèle de développement, «or, nous avons failli sur tous les trois points». Il explique que nous dépendons de plus en plus dernièrement des nouvelles puissances néocoloniales. «Nous sommes même plus inféodés que nous ne l’étions aux puissances européennes.» Nalini Burn identifie carrément ces puissances néocoloniales: la Chine et l’Inde. Pour elle, ces pays sont véritablement indépendants alors que nous, nous leur sommes dépendants. «Est-ce indépendant que d’aller mendier des sous à ces nouvelles puissances?» s’interroge Kee Chong Li Kwong Wi.

Et nos valeurs? «Nous sommes devenus plus communaux, castéistes, intolérants et surtout corrompus», martèle Kee Chong Li Kwong Wing. «Nous avons reculé à un tel point que je me demande si nous ne serions pas mieux sous les Britanniques qui favorisent les valeurs comme la discipline, le fair-play et la méritocratie.» Qu’est-ce qui a changé depuis 1968? Nalini Burn : «Au tour maintenant du clientélisme politique de s’aggraver et de devenir ce qu’il est aujourd’hui; l’utilisation de l’appareil d’État et l’adoption de mesures libérales comme pour les projets public-privé ou sous-traitance, mais au profit des ‘copains et copines’.»

Elle souligne que sans indépendance économique, il n’y a pas d’indépendance politique. L’autosuffisance alimentaire a été mise aux oubliettes «même après l’expérience du Covid, et la fermeture des frontières». Un étranger qui connaît bien Maurice se demande ce que le gouvernement a fait depuis le dernier confinement et la fermeture des frontières «alors que tous les pays réfléchissent sur la façon de fermer les frontières sans que la population ne meure de faim. À Maurice, nous dépendons pour tout, même pour les produits de base et les équipements médicaux».

L’économiste Pierre Dinan tempère. «Il faut plutôt parler d’interdépendance au lieu de dépendance économique. Cependant, rien ne nous empêche de tendre vers l’autosuffisance alimentaire en favorisant l’agriculture moderne.» Et concernant les produits manufacturiers, il ne faut pas, dit-il, laisser entrer des produits du dumping qui tuent nos entreprises.