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Photos pornos sur les réseaux sociaux: cette terrible impression d’impunité
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Photos pornos sur les réseaux sociaux: cette terrible impression d’impunité
Plus de 4 000 membres sur plusieurs groupes pour partager, monnayer des photos et vidéos de femmes, voire d’enfants. Cela ne se passe pas uniquement ailleurs. L’affaire Telegram a pris une ampleur incroyable en une semaine. Sur ces groupes, on ne parle pas seulement de jeunes, mais d’hommes adultes et aussi de mineurs.
Nous avons fait une petite incursion sur l’un des groupes lundi 22 mars et avons constaté que la plupart des photos et vidéos partagées proviennent de proches des victimes. Comme le groupe était public (il a été désactivé mercredi soir), on n’a pas besoin de s’y joindre pour voir le contenu et les conversations.
Sans aucune gêne, des hommes ont envoyé des photos ou vidéos de leur femme ou de leur copine, la plupart de ces dernières mineures. Il y avait même la vidéo d’une petite fille, qui n’avait pas plus de dix ans qui se déshabillait, entre autres.
Certains membres demandaient des paiements pour les photos envoyées, alors que d’autres partageaient des clichés de femmes qu’ils avaient connues. Certains étaient aussi là pour se venger de leur ex. Et d’autres uniquement des voyeurs ou des demandeurs du numéro ou du profil Facebook des victimes.
Yeux bandés
Dans certaines vidéos, l’on peut constater que les femmes ne savaient pas qu’elles étaient filmées. Elles avaient les yeux bandés. Dans d’autres cas, la caméra était cachée.
À mercredi soir, bien que l’affaire était déjà devenue virale et la police alertée, le groupe était encore actif et certains membres continuaient à envoyer des photos en affirmant que rien ne leur arriverait. D’autres, sous des pseudos, proposaient de créer d’autres groupes privés sur la même plateforme ou sur d’autres réseaux sociaux.
Mais Telegram n’est que le sommet de l’iceberg. Cette affaire a permis de découvrir que des groupes du même genre existent actuellement sur d’autres réseaux sociaux, WhatsApp et Facebook notamment. Car des groupes de partage de photos et vidéos de femmes sans leur consentement ne datent pas d’hier…
Messenger
En octobre 2018, l’express avait été mis au courant de ce genre de pratique sur la messagerie instantanée Messenger. Le groupe s’appelait : «Foto ek Video Lokal». Avec le temps, d’autres ont été découverts sur la même plateforme avec des noms assez similaires.
Le procédé et les victimes étaient les mêmes : des petites-amies qui ont fait confiance à leurs copains en envoyant des photos intimes ou des femmes et filles filmées consciemment ou à leur insu, pendant des relations sexuelles.
Sur le groupe récent de Telegram, il y avait encore des photos de femmes déjà partagées il y a des années sur d’autres groupes.
«Linn pran mo foto sanse pou gard pou li pou li gete kan mo mank li»
Raina (nom d’emprunt) fait partie de ces victimes. La jeune femme, âgée de 24 ans aujourd’hui, raconte que depuis 2018 ses photos traînent sur les réseaux sociaux. Aujourd’hui, mariée et maman d’un petit garçon de cinq mois, elle a fondu en larmes lorsqu’elle a appris que des photos d’elles faisaient toujours le tour de la Toile. «Gramersi mo misie kone depi avan ki mo ex ti partaz mo foto kan mo ti pli zenn sinon mo pa kone kouma mo ti pou kapav afront sa-la.»
Elle raconte que les photos ont été prises quand elle avait 17 ans par son copain de l’époque. «Nou ti sorti ansam an 2014, mo premie kopin sa. Nou ti pe zwenn souvan pou gagn relasyon et à deux reprises linn pran mo foto sanse pou gard pou li pou li gete kan mo mank li.»
Toutefois, lorsque Raina a tenté de rompre un an plus tard, le jeune homme, âgé de 21 ans à l’époque, a montré les photos à d’autres personnes pour se venger. «Dabor linn avoy bann fotos la mo bann kouzins par mail. Apre mo pa kone kisanla ankor linn avoye, me en 2018 ki mo foto ti koumans vinn viral. Enn bann dimounn mo pa kone ti pe avoye lor enn bann group lor Messenger.»
Depuis 2018, au moins une personne l’informe pour lui dire que ses photos sont toujours partagées sur un groupe. Son époux a essayé de contacter son ex pour lui demander à combien de personnes il avait envoyé ses photos, mais des proches du jeune homme ont indiqué qu’il a fait un séjour en prison et que depuis sa sortie, on ne le voit plus.
Que cela ne cesse jamais
La plus grande peur de Raina est que cela ne cesse jamais. «Vous vous imaginez si ces photos continuent à se partager jusqu’à ce que mon fils ait grandi ? Certains membres de ma famille ne me parlent plus à cause de cela», confie-t-elle.
«J’ai été obligée à tout raconter à mon époux dès que je l’ai connu. Il m’a toujours soutenu. En 2020, nous sommes même allés porter plainte ensemble à deux reprises quand les photos ont été partagées sur des groupes sur Facebook. Premie fwa, la polis inn dir mwa pou enketr et deziem fwa, inn dir mwa pa pou kav fer nanier paski sanse pena okenn prev ki se mo ex kinn partaz sa. Mon abandone lerla.»
D’ailleurs, en 2018, l’express avait aussi fait part aux autorités du partage de photos et captures d’écran des groupes, mais trois ans après aucune réponse.
C’est d’ailleurs ce sentiment d’impunité qui a poussé la page Starter Pack Moris à poster des photos et preuves de certaines personnes connues, entre autres, qui sont sur des groupes comme ceux de Telegram. La page a même dû être désactivée quelques jours à cause de représailles par certains qui affirment «enquêter» sur le sujet.
Représailles
Jenssy Sabapathee, celle qui a été la première à rendre public l’affaire de Telegram, a d’ailleurs fait l’objet de représailles de l’un des «enquêteurs» en question. Ce policier, affecté à la Cybercrime unit, qui était très actif sur certains des groupes de Telegram, aurait fait des montages photos de femmes nues avec le visage de Jenssy Sabapathee.
Il les aurait ensuite partagées pour se venger car Jenssy Sabapathee était au courant des «plaisirs cachés» du policier. «En voulant aider les victimes je suis moi-même devenue une victime et cela ne veut pas dire que je vais lâcher l’affaire. Il ne me fait nullement peur qu’il soit de la police ou pas.»
D’ailleurs que fait la police de tout ce qui se passe ? Et quid des preuves contre des policiers ? Contacté, l’inspecteur Shiva Coothen du Police Press Office a affirmé qu’une enquête est en cours. Une parmi des centaines en fait car il a confirmé qu’il y a des enquêtes depuis des années déjà et que c’est «quelque chose qui prend du temps». «Mem pou bann polisié la kan lanket fini si zot koupab pou ena sanksion.»
Mais pourquoi l’enquête prend autant de temps, alors qu’en moins d’une semaine en 2018, une jeune femme de 27 ans avait été arrêtée pour avoir humoristiquement posté une photo d’un ministre habillé sur Pornhub ? «Li pa parey… kitsoz Moris deor pa parey», a répliqué l’inspecteur agacé.
Et lorsque nous lui avons rappelé que ces plaintes ont été faites à Maurice, il a répété qu’il y avait une enquête avant de nous dire au revoir…
Jean-Pierre Senelle, psychologue spécialisé en psycho-traumatisme: «Un pourcentage des hommes sur ces groupes peuvent être dangereux pour la société et les femmes…»
Comment peut-on catégorisé ceux qui s’abonnent à ce genre de groupe ?
Tous ceux sur ce genre de groupe ne peuvent pas être catégorisés de la même manière. Mais il faut être clair que même s’ils ne sont pas tous dangereux, faire partie de ce genre de groupe en lui-même n’est pas un comportement normal. Toutefois, sur un millier d’hommes, il peut y avoir les plus inoffensifs comme des voyeurs, des personnes qui se sentent isolées allant jusqu’aux revanchards, entre autres.
Mais les plus dangereux commencent par ceux qui partagent ou font des photos de femmes sans leur consentement, allant même jusqu’au harcèlement, à ceux qui partagent des contenus à caractère pédophile. Ce genre d’hommes sont des prédateurs sexuels. C’est pour cela qu’il est très important d’avoir une enquête poussée sur ces cas car un pourcentage des hommes sur ces groupes peuvent être des dangers pour la société, les femmes et les enfants…
Est-ce que partager des photos ou vidéos de femmes sans leur consentement peut être considéré comme un ‘viol technologique’ ?
En effet. Partager des photos ou vidéos intimes d’une personne est une agression sexuelle. C’est la violation de l’intimité et c’est permettre à d’autres de s’incruster dans l’intimité d’une personne. L’agression sexuelle ce n’est pas que le viol. Dès que quelqu’un va à l’encontre du consentement d’un individu, par l’intimidation, entre autres, c’est une agression.
Ce genre d’expérience peutil causer un traumatisme chez les victimes ?
En tant que psycho-traumatologue, je peux vous dire que oui. Toutes agressions génèrent des traumatismes. Pas tous de la même manière certes. Tout dépend de leur état d’esprit, de santé ou de vie. Car il ne faut pas oublier que partager des contenus intimes d’une personne comme-ça, c’est toucher l’individu dans son identité. Certaines prendront la faute sur elles,d’autres vont se sentir trahies et abattues. Tout cela, ajouté à un sentiment d’impunité si elles ont porté plainte et que rien n’a été fait.
Que suggérez-vous pour les victimes ?
Tout d’abord, leurs proches doivent comprendre que les abandonner ou les juger n’aideront pas. Elles ont besoin d’en parler. De retenir les services d’un professionnel de santé si elles sentent qu’elles touchent le fond. C’est très important et à ne pas prendre à la légère.
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