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Déconfiner oui, mais après ?

31 mars 2021, 15:49

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Déconfiner oui, mais après ?

Pravind Jugnauth a enfin lâché le morceau le 23 mars dernier au moment de sa déclaration à la télévision. Il a concédé que le pays comme la population doit apprendre à vivre avec le virus. Une opinion qui rejoint celle de beaucoup d’opérateurs économiques et d’observateurs de la société, estimant qu’avec l’avènement des vaccins et une population vaccinée à 60 %, l’urgence sanitaire doit descendre d’un cran pour que l’économie, en salle de réanimation depuis le premier confinement, puisse enfin respirer.

Car, les experts sont convaincus : l’état de la trésorerie du pays ne peut encore soutenir financièrement d’autres confinements. Les deux confinements, combinant treize semaines de quasi-inactivité économique, ont coûté au pays plus de Rs 65 milliards de manque à gagner. Alors même que le ministère des Finances, par le biais de la Mauritius Revenue Authority, a jusqu’ici décaissé Rs 18 milliards depuis 2020 pour financer les plans d’aide au chômage, tant pour les salariés du privé que pour les travailleurs indépendants au nombre de 225 000.

Renganaden Padayachy peut faire preuve de bonne volonté pour aider les opérateurs économiques et les ménages mauriciens afin d’éviter des licenciements économiques massifs. Mais la générosité a des limites, sachant très bien que les revenus courants de l’État ont été réduits comme une peau de chagrin pendant l’année fiscale 2020-21. Avec notamment des principaux secteurs porteurs de croissance et générateurs d’emplois, comme le tourisme et toutes les activités annexes, la manufacture ou encore le Global Business, en mauvaise posture.

Confrontée à une contraction du PIB de 15 % en 2020, l’économie ne croîtra que de 2 % cette année, selon les spécialistes en s’appuyant sur l’effet économique du second confinement dont la levée sera graduelle. Alors que le point d’orgue sera évidemment l’ouverture des frontières qui théoriquement devrait intervenir au plus tard le 30 juin 2021. Date à laquelle la campagne de vaccination aura pris fin et l’immunité collective de la population sera atteinte.

Déficit budgétaire

 Le tandem Jugnauth-Padayachy n’a certainement pas droit à l’erreur pour favoriser un déconfinement graduel du pays et permettre ainsi un soft re-opening de l’économie. Et ce même s’il ne peut sûr que les touristes vont se bousculer au portillon pour venir séjourner chez nous. Toutefois, les hôteliers estiment qu’il faut se mettre en ordre de marche pour prendre avantage de cette ouverture même s’ils sont conscients que les principaux marchés émetteurs de touristes comme la France, l’Italie, l’Allemagne ou encore plus près de chez nous l’Afrique du Sud, subissent déjà une troisième vague épidémique avec des périodes de lockdown qui s’enchaînent.

Par ailleurs, la vente par le groupe Sun Resorts de son établissement hôtelier Kanuhura Resort & Spa aux Maldives à Leisure Oceans Private Limited est sans doute symptomatique d’une profonde crise d’endettement à laquelle tous les groupes hôteliers sont confrontés. Alors même qu’ici et là des échos se font entendre quant à la mise en receivership de certaines sociétés hôtelières financièrement asphyxiées opérant au sein de puissants conglomérats.

Pour le moment, la Mauritius Investment Corporation (MIC), filiale de la Banque de Maurice, incorporée l’année dernière pour venir à la rescousse des entreprises systémiques dans le tourisme et la manufacture, soulève toujours des interrogations. Plus particulièrement quant à sa rationalité d’intervenir financièrement par le biais d’achat d’obligations dans deux secteurs considérés à risque.

L’économiste Rama Sithanen a plus d’une fois tiré la sonnette d’alarme. Il confiait à l’express récemment que dans le présent contexte, la MIC ne peut justifier ses investissements dans ses deux secteurs. «Ces derniers étaient déjà en mauvaise posture avant la pandémie. Leur situation n’a fait qu’empirer après la crise sanitaire doublée de la crise économique. Investir dans l’actionnariat de ces sociétés serait une mauvaise décision stratégique car il sera difficile de récupérer à terme ses investissements. Au contraire, il est presque certain que la MIC en perdra énormément.» D’autant plus qu’elle continue opérer dans la plus grande opacité, incapable de percer le mystère entourant l’identité des sociétés ayant bénéficié de ses milliards de roupies, sauf celles cotées en Bourse. De même, selon Renganaden Padayachy, le montant déboursé au 8 mars par cette agence de financement s’élève à près de Rs 2 milliards.

À quelques semaines de la mise en branle de la machinerie budgétaire, le ministre des Finances se trouve face à une tâche herculéenne. Si l’année dernière, il a pu compter sur la manne de Rs 60 milliards de la BoM pour équilibrer son exercice budgétaire 2020-21, sa marge de manœuvre risque d’être plus étroite cette année. Car le Fonds monétaire international (FMI) a déjà rejeté cet exercice comptable du Trésor public, qualifiant la contribution de la BoM Tower de financement du déficit budgétaire au lieu d’un revenu de l’État.

Résultat des courses : le déficit budgétaire sera au terme de l’année fiscale de 2021 de 11,7 % du PIB, selon la projection du FMI alors que Renganaden Padayachy croyait dur comme fer qu’il avait réussi l’exploit de présenter un budget équilibré. Sous la surveillance des agences du FMI et de Moody’s, le locataire du Trésor public pensera deux fois avant de se livrer à des pratiques budgétaires hors des normes internationales.

Les grands axes budgétaires de 2021-22 déjà définis et discutés avec son équipe de techniciens, Renganaden Padayachy peut toujours changer de braquet pour son prochain exercice budgétaire. Cela, en recourant à ce qui reste des Rs 60 milliards de la BoM ainsi que des dépenses d’investissements (capital expenses), suivant le gel de certains projets d’infrastructures. Mais est-ce suffisant pour vivifier l’économie ?

Face à l’urgence économique, maintenant que la crise sanitaire est prise en compte par la campagne vaccinale, le ministre des Finances ne doit pas gérer l’économie au quotidien. Il doit faire preuve de leadership pour se projeter dans le monde d’après en s’appuyant sur un plan de relance ambitieux, quitte à s’inspirer de celui de Joe Biden – toutes proportions gardées – pour redynamiser l’activité économique. Il est attendu sur ce terrain…