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Santé publique: machine grippée

4 avril 2021, 18:00

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Santé publique: machine grippée

Un hôpital fermé. Infirmiers en quarantaine. Le service du SAMU d’un autre établissement hors service. Infirmiers positifs. Des départements entiers, dont la radiologie et les soins néonatals de l’hôpital Candos à terre. Des dialysés positifs. Des blouses blanches réticentes à se faire vacciner. Une clinique fermée... Les faits sont là : le système est infecté. Assistons-nous au crash de notre système de santé ?

Il ne passe pas par quatre chemins. «Un hôpital a été totalement fermé, et ce n’est pas n’importe lequel. Nous parlons de Souillac», tonne d’emblée Lormus Bundhoo, ancien ministre de la Santé. Il rappelle que cet établissement avait été transformé, en 2014, en centre de quarantaine et de soins pour… l’Ebola. À l’époque, l’épidémie faisait rage sur le continent africain. «C’est un endroit qui était sécurisé. Aujourd’hui, non seulement l’infection s’est propagée là-bas, mais c’est même devenu un cluster. Asterla, ferm ou lizié ek pensé ki pé passe dan lezot lopital…»

La propagation ne s’arrête pas là. Le ‘départ de feu’ était dans l’unité de dialyse. Unité où les microbes devraient avoir plus de mal à entrer et où le protocole, même en temps normal, doit être strict, voire militaire. «C’est une unité qui accueille des patients déjà fragiles. Puis, les équipements sont sensibles, donc, la salle doit être aseptisée. Après, lorsqu’on parle de transfusion sanguine, on ne peut pas prendre de risques», fait valoir l’ancien élu de la circonscription no 6 (Grand-Baie – Poudre-d’Or). L’ancien ministre est catégorique : le fait que le cluster de Souillac comme on l’appelle, ait pris ‘naissance’ dans une unité très sécurisée d’un hôpital destiné à contenir les épidémies est un signe clair : «Sistem-la pa pou krash, linn fini krash.»

«Les signes précurseurs sont là. Maintenant, il est temps d’agir et de prendre les décisions qui auraient dû déjà avoir être prises…»

Retour en arrière. Pour mieux comprendre. Le 26 mars dernier, une infirmière affectée à l’unité de dialyse au New Souillac Hospital est testée positive. Résultat : plusieurs cas positifs détectés, d’autres patients placés en quarantaine. Sans compter les décès... Un proche de l’infirmière, qui fait partie de l’équipe du SAMU de l’hôpital Nehru à Rose-Belle, est testé positif. Puis, c’est au tour d’une attendant travaillant à la clinique Muller (ex-Lorette). À l’hôpital Victoria, un employé de l’unité de radiologie et une attendant de l’unité néonatale sont testés positifs également. Plusieurs infirmiers qui ont été en contact avec leurs collègues et les patients sont placés en quarantaine. Le nombre de cas ne cesse d’augmenter. L’inquiétude et les questions aussi…

Le Dr Vasantrao Gujadhur s’interroge aussi. Même si contrairement à l’ancien ministre, il estime que le système de santé n’est pas encore à terre, il affirme toutefois que celui-ci s’essouffle. Et nous allons droit dans le mur. «Tout d’abord, il faut identifier le problème. Pour cela, moi je me pose une question. Qui gère le ministère de la Santé ? Les directeurs et fonctionnaires qui sont là pour le faire, ou les conseillers du PMO ?» L’ancien directeur des services de la santé publique se demande en outre si ce sont les Drs Zouberr Joomaye et Catherine Gaud qui prennent les décisions sur la gestion, la quarantaine, le contact tracing, la vaccination, les soins, la définition des ‘décès par Covid-19’, entre autres. «Si c’est le cas, les fonctionnaires qui connaissent leur boulot ne font pas leur travail convenablement. Ils ne peuvent pas décider car les décisions sont déjà prises à un niveau supé- rieur. Forcément, cela ne va pas marcher.»

Pour prouver que le système actuel ne marche pas, justement – qu’il rampe même – le Dr Gujadhur cite l’exemple des zones rouges. Le fait de décréter que tel ou tel endroit est une zone rouge vise à contenir un problème et avec le temps, l’étau se resserre autour du virus. «Mais là, nous voyons non seulement l’apparition d’autres zones rouges, mais aussi des cas qui apparaissent partout dans l’île. À ce rythme, notre R-Rate (NdlR, qui permet de comptabiliser le nombre de personnes infectées par un patient positif) va dépasser 1, et tout le monde sait que dès que ce chiffre dépasse 1, c’est la catastrophe.»

L’autre problème qui se pose si les décisions ne sont pas prises par le directeur de la Santé et les fonctionnaires : les conditions de travail. Le Dr Gujadhur fait ressortir qu’à plusieurs reprises, les autorités ont blâmé les infirmiers pour la propagation du Covid-19 dans les établissements de santé, mais la faute ne peut aucunement leur être imputée. «La question qu’il faut se poser est : les infirmiers sont-ils bien équipés ?» Selon lui, demander à un infirmier de respecter la distanciation physique n’est pas logique. «Pa kapav fer pikir a enn met» ironise-t-il. D’où le fait que les équipements sont importants. Mais ce n’est pas tout. «Prenez la salle de dialyse de Souillac. Est-ce que quelqu’un s’assure qu’il y ait au moins un mètre entre les lits ? Et dans les autres hôpitaux ? C’est trop facile de blâmer les fonctionnaires lorsque les mauvaises décisions prises en amont produisent de mauvais résultats. La, pe badinn ek lasante».

Justement, le personnel hospitalier dans tout ça, qu’en pense-t-il ? Médecins, infirmiers, attendants et autres sont-ils suffisamment équipés pour faire face à la pandémie ? Ram Nowzadik, président de la Nursing Association, affirme pourtant que oui. «Nous avons les masques, face shields, les gants. Quant aux Personal Protective Equipment (PPE), tous les infirmiers n’en ont pas besoin. Dans les flu clinics, ils sont équipés.» Et il rappelle que le risque zéro n’existe nulle part.

Il dresse une liste de mesures prises pour éviter au maximum les contacts : les infirmiers ne peuvent plus passer d’unité en unité. Le système de présence électronique avec l’empreinte digitale a été suspendu et des marquages au sol ont été placés. De plus, tout le personnel des hôpitaux, incluant l’équipe non-médicale, est soumis à un test PCR tous les 10 jours. «Les infirmiers malades reçoivent des soins. Il y en a d’autres en quarantaine. Après la période de 14 jours, ils devront s’auto-isoler encore sept jours avant de reprendre le travail. Quant aux infirmiers en service dans ces centres, ils suivent le même protocole.» Une infirmière actuellement en quarantaine confirme. Niveau protection, il n’y a pas de souci. «Mais vous savez, après, il faut aussi voir si le personnel s’est fait infecter à l’hôpital ou hors du lieu de travail. Tout le monde ne prend pas les mêmes précautions. C’est cela le souci. Vous ne pouvez pas savoir à quel point il est stressant de travailler dans ces conditions…»

Le Dr Vinesh Sewsurn, président de la Medical Health Officers Association (MHOA), souligne quant à lui qu’à l’époque où le gouvernement affirmait que le pays était Covid-safe, il est normal que les équipements de protection ne soient pas les mêmes. «Le masque et la distanciation étaient suffisants.» Aujourd’hui, c’est le retour des PPE et autres combinaisons de protection. Mais au-delà de ça, le médecin estime qu’il y a des décisions urgentes à prendre pour éviter que le système de santé publique ne s’effondre. «Les signes précurseurs sont là. Maintenant, il est temps d’agir et prendre les décisions qui auraient déjà avoir été prises…»

Lesquelles ? Les mêmes que l’année dernière. D’ailleurs, il rappelle que ce n’est pas la première fois que le pays fait face à cette situation. L’expérience précédente aurait dû avoir servi de leçon. Le président de la MHOA préconise d’abord un «skeleton staffing», qui avait fait ses preuves en 2020. Cela aidera à constituer une réserve en cas d’infection du personnel. «Cela ne veut pas dire que seule une partie du staff va travailler. Ce sera une rotation sur trois ou quatre jours.»

Pour parvenir à ce résultat, il faudrait, comme l’année dernière, fermer les départements non-essentiels des hôpitaux, comme le unsorted out-patient department, décentraliser les visites de routine vers les dispensaires ou les repousser et demander à la population de se rendre dans les hôpitaux uniquement en cas d’urgence. Le Dr Sewsurn insiste sur le fait que la méthode avait fonctionné l’année dernière et il n’y a pas de raison pour que cela ne soit pas le cas cette fois.