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Balkrishna Kaunhye: «Quand on a des convictions, on ne baisse pas les bras»

29 avril 2021, 21:30

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Balkrishna Kaunhye: «Quand on a des convictions, on ne baisse pas les bras»

Face au boycott publicitaire, à la menace de la liberté de la presse en pleine pandémie et crise économique, comment survit et pourquoi résiste la presse indépendante ? Le «Chief Executive Officer» de «Top FM» nous éclaire…

RSF a évoqué les misères que fait subir ce gouvernement à l’express et à Top FM dans ses explications relatives à la chute de cinq places de Maurice dans le classement 2021 sur la liberté de la presse à travers le monde. Est-ce difficile d’être à la tête d’un média libre et indépendant à Maurice ?

Définitivement, c’est difficile et très compliqué à la fois ! Ce n’est pas pour autant qu’il faille faire des compromis sur les grands enjeux auxquels le pays et la population sont confrontés. Le nerf de la guerre reste les finances. Cela, les politiciens en ont bien conscience. D’ailleurs, on a vu ce que la presse écrite indépendante dans le passé, surtout l’express et Top FM, récemment, ont dû endurer, c’est-à-dire un boycott publicitaire de la part de toutes les organisations contrôlées par le gouvernement. Cela fait définitivement mal ! D’autant que le marché publicitaire dans le secteur des médias à Maurice est extrêmement limité. Et, dans le cas de Top FM, l’impact est conséquent, car nous sommes un média gratuit. Nous ne percevons pas de redevances, contrairement à la radiotélévision nationale.

Ce n’est pas tout. Il faut aussi faire face à des actions arbitraires menées à travers les institutions de l’État. On en a eu des actions que je considère répressives, surtout de la part de l’Independent Broadcasting Authority (IBA) et de la Mauritius Revenue Authority (MRA). Là où le bât blesse, c’est lorsqu’on reçoit des coups en dessous de la ceinture. Par exemple, mes proches et certaines personnes qui ne sont pas directement concernées avec Top FM sont en train de payer les conséquences. C’est une vendetta quoi !

Cependant, nous mettons un point d’honneur à rester un média indépendant. Nous le payons chèrement ! La population doit en être consciente ! Les félicitations de nos auditeurs, des internautes et du public en général, qui nous touchent beaucoup, ne permettent pas, à elles seules, de faire tourner la boîte.

Quel est le sens du combat de Top FM ? Quels sont vos chevaux de bataille ?

Top FM s’est inscrite d’abord comme un média du peuple et pour le peuple. Nous défendons les intérêts de la population. Nous sommes pour la justice et aux côtés des opprimés et de ceux qui sont dans le besoin. Nous sommes la voix des sans-voix et l’espoir de ceux qui sont confrontés à des injustices. Quel que soit le pouvoir en place. J’étais loin d’imaginer qu’un jour, Top FM allait elle-même subir l’oppression et être victime d’injustices pour avoir été indépendante et avoir fait la lumière sur des scandales obscurs qui gangrènent le pays à plusieurs niveaux… même au plus haut.

Après avoir assisté durant un peu plus de deux ans à la croisade menée contre Top FM, je suis arrivé à la conclusion suivante : ce que cherchent la population et le pays pendant des années ne pourra pas se faire unique- ment par un ou deux médias indépendants. C’est le fondement même de notre société et la façon dont le pays est géré qui devraient être revisités, et même révolutionnés. C’est un changement de mindset qu’il nous faut. Un pays qui ne laisse pas épanouir son peuple et qui ne crée pas d’opportunités est voué à l’échec. Et cela, peu importe les compétences et les voix qui bouillonnent à l’intérieur.

Pour qu’on devienne cette terre d’opportunités, j’estime qu’il faut une indépendance totale des institutions, dans le respect des droits et des procédures et sans interférences obscures. Je pense que si la première ligne d’un programme électoral, quel que soit le parti politique, n’a pas trait à l’indépendance des institutions, ce n’est pas la peine pour moi de poursuivre la lecture.

Pour ce qui est de nos chevaux de bataille, ils demeurent toujours le combat contre l’injustice, la voix des sans voix et l’intérêt du pays par-dessus tout et (il est désormais temps d’ajouter) une réelle indépendance, des institutions «indépendantes» pour une meilleure Maurice. C’est à la fois ma bataille personnelle.

Combien de procès le gouvernement a-t-il institué contre Top FM ?

Il faut faire la nuance. Nous avons des réclamations qui avoisinent le milliard de roupies. Ce sont des institutions contrôlées par le gouvernement et les proches du pouvoir qui ont initié plusieurs procès contre Top FM et moi, notamment. Il y en a une dizaine, allant du scandale des moto-écoles jusqu’au procès engagé par la Mauritius Telecom en passant par l’Economic Development Board et celui du Premier ministre pour Rs 500 millions.

Avez-vous également initié des actions légales contre le gouvernement ?

Nuance encore une fois. Nos actions sont dirigées contre des institutions appartenant ou contrôlées par le gouvernement, sauf une visant un proche du pouvoir pour complot. Pour être plus précis, nous avons une action initiée contre Cellplus, filiale du Mauritius Telecom, pour rupture de contrat. Nous réclamons une somme de Rs 25 millions à l’opérateur de téléphonie. Nous avons, en cours de préparation, une autre action contre une banque contrôlée par l’État. Nous réclamons cette fois Rs 200 millions, encore une fois pour rupture de contrat. Cette affaire a pris du temps parce que Top FM a dû faire face à quatre suspensions de sa licence par l’Independent Broadcasting Authority, qu’elle conteste par voie de révision judiciaire en Cour suprême.

Je prépare actuellement une action légale contre la Mauritius Revenue Authority et ses officiers. Les actions en justice contre les décisions de l’IBA et la MRA sont principalement pour que d’autres ne subissent pas les mêmes actions arbitraires que Top FM et moi-même avons dû subir.

Comment faites-vous pour garder la tête hors de l’eau en étant à la fois un contre-pouvoir et une entreprise subissant les contrecoups du Covid-19 ?

C’est dur. Nous faisons d’énormes sacrifices. Quand on a des convictions et que l’on croit dans le bien-fondé de ses actions, on ne baisse pas les bras. Dans l’intérêt supérieur de leur pays, certains n’ont pas hésité à donner leur vie. Donc, nous pouvons bien consentir aux sacrifices que nous faisons pour une meilleure île Maurice, terre d’opportunités qui, pour l’instant, fait fuir sa propre jeunesse et ses cerveaux vers d’autres cieux. J’ai foi en Dieu et en mon guide, Lord Krishna. Je fais mon travail, je laisse le reste entre les mains du Tout-puissant.