Publicité
Inondations: la source du problème
Par
Partager cet article
Inondations: la source du problème
Ce n’est pas un bug dans la matrice. Nous assistons réellement à la même triste histoire chaque année pendant la période pluvieuse. La météo annonce des averses, le pays est à l’arrêt, les maisons inondées et la population remontée. Les annonces passent, les lois sont votées et, pourtant, il n’y a que très peu de changements sur le terrain. Cependant, à chaque fois, le mot «drain» revient à la mode et est balancé à tout-va. Mais est-ce la solution idéale qui mettra un terme à ce problème ? Ou est-ce qu’il faut une autre approche ? Les experts donnent leurs avis.
Les habitants de Cottage et Fond-du-Sac vivent dans la peur à chaque fois que la station météorologique annonce des averses. Entre 2018 et 2020, ils ont été victimes de montées des eaux à plusieurs reprises. À peine remis d’une inondation qu’ils étaient à nouveau sinistrés. Mais cette fois-ci, si plusieurs autres régions qui n’ont jamais connu de tels drames auparavant ont été inondées, cette partie de l’île a été épargnée. La raison avancée : des drains ont été construits. En janvier de cette année, les travaux à Fond-du-Sac avaient été complétés à 87 % et ceux de Cottage étaient parvenus à un stade avancé aussi. Ces infrastructures ont rempli leur fonction et après plusieurs années, les intempéries n’ont pas affecté ces régions. Mais ailleurs, les drains n’ont pas changé grand-chose.
En février, Bobby Hurreeram avait affirmé que les problèmes d’inondation sont du passé à Mare-Tabac car il y a des drains. Sa déclaration n’a pas empêché l’eau de monter et faire basculer la vie de plu- sieurs habitants du village. Ailleurs, Teena Jutton, PPS des circonscriptions nos11 et 12, a assuré que des projets de drains sont déjà prévus dans ces régions.
La politique essuie les critiques
Cependant, le problème est loin d’être le manque de drains à travers l’île. D’ailleurs, ce problème n’est pas nouveau, comme le fait ressortir le Dr Zaheer Allam, urbaniste et Chairman du Youth Environment Council. «Nos politiques de développement et de construction sont dé- passées. C’est la base du problème et c’est ça qu’il faut revoir. Lorsque le contexte change, la politique doit s’adapter.» Par exemple, la National Development Strategy date d’une ère pré-réchauffement climatique extrême et est actuellement en révision. Cependant, il estime que les changements apportés doivent prendre en considération le contexte global et non régler simplement un seul problème. «Il faut que la politique de construction s’adapte non seulement au climat, mais aussi à la culture, aux traditions et au mode de vie. C’est un sujet complexe et le changement ne se fera pas du jour au lendemain», précise le Dr Zaheer Allam.
Sommes-nous donc condamnés à subir les caprices de la météo jusqu’à ce qu’une politique de construction cohérente soit dégagée ? «Dans le court terme, des infrastructures physiques peuvent aider mais cela ne résoudra pas le problème dans son ensemble.» Dans la foulée, il rappelle que le travail visant à mettre à jour la stratégie en matière de développement a déjà commencé avec les assises de l’environnement et le forum sur le logement organisés par les ministères de tutelle l’année dernière et pour lui, c’est un pas dans la bonne direction.
Mais le Dr Vasantt Jogoo, urbaniste et consultant environnementaliste à la Banque mondiale, a un avis tout à fait opposé. Pour lui, le problème, c’est justement les hommes politiques. «Nous avons des personnes qui ne comprennent pas grand-chose à la technicité de ce problème. Leur priorité est ailleurs», fustige-t-il. Il est catégorique. Tant que la «race des politiciens» ne change pas, le pays sombrera sous l’eau à chaque pluie. «On parle de plans d’aménagement. Mais savez-vous combien ont été faits et prennent la poussière dans les tiroirs ? Puis, le temps que le plan prend pour être complété, il est déjà caduc lorsqu’il est finalisé», ironise l’expert.
Pour soutenir ses dires, il revient sur la récente sortie de Kavy Ramano au Parlement contre le secteur privé. Pour rappel, le ministre de l’Environnement avait été interrogé sur l’abattage des arbres endémiques à Chamarel. Après avoir affirmé que le gouvernement est très soucieux de la protection de l’Environnement, il a ajouté que le secteur privé, pour ses projets, a aussi abattu beaucoup d’arbres. «Mais le ministre doit savoir que c’est son propre ministère qui donne les permis pour ces projets, non ? C’est l’illustration même du problème. Nous avons des techniciens compétents, mais ils sont mis à l’écart et tout est centralisé au gouvernement», fait valoir dit le Dr Vasantt Jogoo.
Cette politique qui a autorisé le développement sauvage a permis l’urbanisation de 25 % du territoire mauricien, fait ressortir le consultant de la Banque mondiale, ce qui est énorme par rapport à d’autres pays. «On a récemment appris que des Rs 21 milliards de Foreign Direct Investment, Rs 16 milliards étaient investies dans l’immobilier en 2019. Il est impossible d’arrêter cette tendance de smart cities et autres gated communities et je répète, pour réguler la construction, il faudra une volonté politique.»
Les constructions non réglementées, avance, pour sa part, Joanna Bérenger, ont permis la destruction des zones humides et des forêts, dont le but est d’absorber l’eau de la pluie. D’ailleurs, elle souligne que c’est pour cela qu’elle a soulevé le problème de Chamarel au Parlement mardi dernier. Pour la députée mauve, une des manières de gérer les inondations est de mettre en place un système de Natural Flood Management. «Il faut forcément attaquer le problème de façon holistique», dit-elle, rejoignant les propos du Dr Zaheer Allam. Selon elle, il faut absolument que cela soit pris en considération dans la National Development Strategy qui est en préparation.
Les drains
Pour en revenir aux drains, les avis ne divergent pas. Les drains, qui font partie des infrastructures physiques, sont une solution à court terme, réitère le Dr Zaheer Allam. Un drain, explique Joanna Bérenger, prend l’eau d’un endroit pour le transporter à un autre alors que la solution serait de trouver un exutoire pour le surplus d’eau et non déplacer le problème. Et même le design des drains doit être revu, rappelle, de son côté, le Dr Vasantt Jogoo. «Il faut recalculer la dimension. Maintenant, si nous pensons à des drains plus larges, cela veut dire qu’il faut plus d’espace. Nous revenons donc, encore une fois, à la politique», insiste-t-il. «Nous n’y échapperons pas : sur le long terme, il faudra absolument passer par une nouvelle politique d’urbanisation.»
Solution certes. Mais qui s’occupe des drains désormais, se demande Osman Mahomed, ancien Chairman de Maurice île durable. Selon lui, il y a un cafouillage énorme sur ce point. Selon le député, depuis que la Land Drainage Authority (LDA) a été mise sur pied, personne ne sait si c’est cette instance ou les collectivités locales qui doivent entretenir les drains. Résultat des courses : les débris et déchets s’accumulent dans les drains, qui sont bouchés et ne servent à rien. Des millions qui partent dans l’eau. «Ce problème était prévisible. Je l’avais dit dans une conférence de presse en décembre dernier. C’était évident qu’un tel cafouillage allait conduire à cette situation. C’est le résultat d’une politique décousue, de l’incompétence et d’un mismanagement», fustige-t-il. Revenant sur la LDA, qui a été créée il y a quatre ans, Osman Mahomed se demande où en est le Masterplan, annoncé depuis des années. Un mél au directeur de la LDA sur cette question est resté sans réponse.
Le cauchemar des bouteilles en plastique
Ce sont les bêtes noires de tout le monde : ceux qui nettoient les drains, les écologistes, les poissons dans la mer et on en passe. Les bouteilles PET sont passées à travers les filets de la loi interdisant le plastique à usage unique. Au Parlement le 20 avril, Kavy Ramano concédait, face à Osman Mahomed, que les embouteilleurs avaient pour obligation de collecter les bouteilles en plastique. «Mais c’est avec regret que je le dis, nous avons constaté que de ces 125 millions à 130 millions de bouteilles en PET, il y a seulement 40 % qui sont collectées par les différents embouteilleurs et les 60 % qui restent sont malheureusement abandonnées dans la nature et moi je considère que cela est quelque chose d’inacceptable», avait dit le ministre. «Il suffit de quelques bouteilles seulement pour boucher des drains et créer une situation catastrophique.» Pour lui, il est primordial de trouver une solution à ce fléau.
L’éducation de la population
Osman Mahomed rappelle que l’urbanisation sauvage a été tolérée par les autorités. «Il suffit d’une petite rampe sur un canal pour qu’il soit rendu inutile. L’eau, qui ne peut plus le suivre, est déviée et s’accumule ailleurs. Rien n’a été fait pendant des années contre l’urbanisation sauvage», déplore-t-il.
Cependant, le Dr Zaheer Allam, lui, avance qu’en marge d’une refonte des politiques d’urbanisation, il faut faire un appel à la population, lui demander d’être plus responsable. «On ne parle pas uniquement de pollution ou de construction sur les rampes. Par exemple, les bâtiments dans le buffer zone des rivières sont une réalité. Cela contribue aussi grandement aux problèmes.»
Une nouvelle «smart city» en gestation ?
L’annonce parue dans la presse cette semaine en a fait tiquer plus d’un. On apprend qu’une compagnie va soumettre une demande pour une «outline planning permission» pour le développement d’une smart city à Poste-Lafayette. La demande sera soumise au Conseil de district de Flacq. Sauf que cette smart city ne figure pas sur la liste des smart cities de l’Economic Development Board. De plus, la compagnie qui a soumis la demande est spécialisée en «general retailer foodstuff» et a été incorporée en octobre 2020. La crainte des habitants de la région et des écologistes est que ce projet de développement, encore flou, touche aux réserves de Bras-d’Eau et de Mare-Sarcelle.
Après le traumatisme des inondations récentes, les habitants de la région voient ce projet d’un mauvais œil. Nous y reviendrons.
Publicité
Les plus récents