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Covid-19 et confinement: dur dur d’être un enfant…

3 mai 2021, 20:30

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Covid-19 et confinement: dur dur d’être un enfant…

«Mon enfant souffre de difficultés de langage et d’apprentissage. Depuis deux ans, il est scolarisé dans une institution française privée. Avec le confinement, il a perdu tout ce qu’il avait appris et tout progrès accompli. L’an dernier, il ne reconnaissait plus les lettres. Il y a eu aussi moins d’autonomie. Hélas, il n’y avait aucune continuité à travers Zoom comme l’école n’était pas préparée à cela», déplore Cécilia, maman de trois enfants, dont l’une, âgée de dix ans, a des besoins spéciaux. En revanche, les parents devaient envoyer des vidéos à l’école, illustrant une activité physique, entre autres. Cependant, aucun suivi académique n’a été effectué, poursuit-elle. 

S’y rajoutent les cinq mois et demi où ses enfants étaient confinés à la maison en 2020. «Comme nous travaillons et avons d’autres enfants, c’est difficile. De plus, nous n’avons pas forcément un dispositif informatique pour chaque membre de la famille. Avec la fermeture de l’établissement scolaire, mon enfant a énormément régressé avec les longues vacances françaises. Avec le système, elle change de classe mais n’a pas le niveau. Aujourd’hui, ma fille ne peut même pas lire les syllabes», renchérit-elle. 

Rebelote pour 2021 avec la deuxième vague pandémique, car la reprise scolaire prévue le 8 mars 2021 n’a pu se faire avec le reconfinement. Cette fois-ci, quatre sessions, d’une durée de 40 minutes chacune, via Zoom, ont lieu chaque semaine. Selon elle, ces séances se focalisent sur les mathématiques avancées, une dictée avec un vocabulaire que les enfants en difficulté d’apprentissage ne peuvent décoder et la lecture syllabique. «Vous appelez ça des classes en ligne ? Déjà que nous payons l’école plus cher que les autres enfants. La régression est considérable. L’enfant a besoin de contact humain pour se développer. Maintenant, il faut tout recommencer à zéro. Il aurait fallu que les écoles rouvrent», s’insurge-t-elle. 

D’ailleurs, précise-t-elle, en France, les institutions médico-éducatives (IME), qui accueillent des enfants en difficulté, porteurs de handicap, entre autres, ont continué à fonctionner. La mère de famille cite une association d’autisme qui a assuré la thérapie aux enfants l’an dernier. «Pourquoi à Maurice, l’école privée ne se réinvente-t-elle pas ? En France, les établissements privés restent ouverts pour ces enfants à besoins spéciaux. Il faut demander aux parents et pédagogues avant de décider de fermer les établissements», indique-t-elle. La continuité de la scolarité aurait ainsi permis d’éviter la perte de connaissances et de socialisation. 

Outre les enfants sujets à des troubles d’apprentissage, ceux des cycles réguliers subissent également l’impact du confinement et du chamboulement scolaire. Sooryadanand Meetooa, président de l’Education Officers’ Union, confirme que les enfants ont été déconnectés face aux deux confinements. «Il y a des cas où ces derniers sont vraiment démotivés. Par exemple, les examens du School Certificate et Higher School Certificate, annulés le 28 avril à cause des pluies torrentielles, devraient être reprogrammés. Les étudiants se sont sacrifiés, se sont préparés pour ces épreuves. Ils ne peuvent être pénalisés. D’autant qu’on ne sait sur quoi sera basée cette considération spéciale de Cambridge.» Il constate parallèlement un déclin inévitable résultant du Covid-19 en termes de développement intellectuel, psychologique et académique. 

La rupture du contact avec ses enseignants et autres élèves de son âge, un facteur déterminant dans l’apprentissage, pèse lourd dans la balance. Déjà, constate Sehenaz Hossain Saeb, directrice du Centre d’éducation et de développement pour les enfants mauriciens (CEDEM), les enfants n’évoluent qu’auprès de leurs parents et proches durant le confinement. «Ils sont privés de leurs amis et enseignants. Cela impacte leur psychologie. Si on ne les encadre pas, ils s’exposent à une mini-dépression couplée à la colère et la frustration. Les enfants sont agités, font des bêtises, etc.», déclare-t-elle. Sur le plan cognitif, les cours virtuels et via la télévision nationale pendant le confinement de 2020 n’ont pas forcément trouvé preneurs. Car la tablette et le téléphone sont davantage perçus mentalement comme un dispositif de loisirs plutôt que d’apprentissage, observe-t-elle. Ce qui va au détriment de l’assimilation des connaissances. 

D’ailleurs, Sylvette Paris-Davy, directrice de l’institution Bethléem, affirme que le cerveau de l’enfant a besoin d’être nourri par la continuité scolaire et la relation tissée avec son cocon familial et amical. «La socialisation est vitale dans la vie de l’enfant. À l’école, il quitte progressivement la sphère familiale, apprend au fil de ses interactions avec ses petits camarades et trouve ses repères. Son intelligence s’éveille par rapport à son vécu», souligne-t-elle. Pour sa part, le Dr Oomandra Nath Varma, directeur du Mauritius Institute of Education (MIE), indique que le soutien des pairs et la socialisation sont des moments importants, sinon les plus cruciaux de la vie d’un enfant. «Les pairs sont des modèles immédiats. Les enfants, en particulier les adolescents, voient le soutien des pairs comme un mouvement vers l’autonomie et la liberté. Les pairs fournissent des modèles de comportement plus immédiats.» Pour lui, c’est un fait que les enfants ont manqué cette socialisation dans une large mesure. «Cela pourrait avoir créé un certain degré d’anxiété chez les enfants qui sont sensibles à leurs amis dans le cadre de leur vie sociale.»

L’importance de la camaraderie dès le plus jeune âge est également évoquée par Suttyhudeo Tengur. Pour le président de la Government Hindi Teachers’ Union, cet élément apporte un réconfort et favorise le partage des problèmes, entre autres, et le développement de l’affection entre les enfants. «Une telle absence crée un déséquilibre dans la vie des petits. À Maurice, la durée des confinements rajoute à l’anxiété des enfants, dont une bonne partie était en période d’examens. Habituellement dans les écoles, ils peuvent compter sur le soutien mutuel. Hélas, cela n’a pas été possible avec la fermeture des établissements.» Revenant sur l’apprentissage, il indique que les écoles prônent une interaction physique avec les enseignants et l’usage de tableaux mais elles ne sont pas adaptées au basculement virtuel. «Pour cela, il faudrait une plateforme dédiée. Les outils privilégiés l’an dernier ont privé les élèves d’interaction et de connaissances.» 

Peut-on rattraper ces pertes cognitives, développementales et de socialisation ? Nos interlocuteurs répondent par l’affirmative. Toutefois, la tâche sera ardue pour un tel rattrapage qui s’avère impératif, indique Sooryadanand Meetooa. Pour la directrice du CEDEM, bien qu’une récupération totale ne soit pas plausible, il faudra maximiser sur l’école en présentiel. Quant à Sylvette Paris Davy, elle affirme qu’il faudra rétablir les repères perdus en renouant la relation avec les auxiliaires et permettre aux petits de s’impliquer, d’explorer et de vivre des actions concrètes favorisant ainsi l’apprentissage. 

D’ailleurs, comme l’affirme Rita Venkatasawmy, Ombudsperson for Children, il y a aussi du positif découlant des deux confinements. «Face aux difficultés, les petits ont développé des valeurs comme la résilience, l’assimilation des gestes barrières, entre autres. Au premier confinement, j’ai reçu divers témoignages d’enfants qui confirmaient n’avoir pu suivre les programmes scolaires télévisés et les cours en ligne. Néanmoins, ils ont renoué des liens avec les voisins avec lesquels les parents échangeaient des produits alimentaires. Cela a amélioré les relations entre adultes et créé d’autres avec les enfants de ces derniers», affirme-t-elle. Des petits se sont même initiés à la lecture durant la pandémie, ajoute-t-elle. 

De plus, poursuit le Dr Oomandra Nath Varma, le fait que les médias sociaux soient un moyen d’interagir avec les pairs, peut combler l’écart en socialisation des enfants, à condition qu’ils se trouvent dans des domaines propices à un développement positif.  «Aujourd’hui, les enfants trouvent des moyens d’interagir, même virtuellement. Ce qu’ils pourraient manquer, c’est la proximité physique. Néanmoins, il s’agit d’un fait nouveau que même ces petits devraient apprendre à affronter et qui devrait dans une certaine mesure être comblé par d’autres moyens», déclare-t-il. 

Le pédagogue distingue une opportunité dans cette distanciation qui peut permettre aux enfants de développer une plus grande autonomie et moins de dépendance excessive de leurs pairs. «Nous devrions voir la nouvelle normalité et le fait qu’aucune tranche d’âge n’a été épargnée. Ce qui est nécessaire, c’est la capacité à s’adapter», conclut-il.