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Agalega: l’omerta sur l’accord Inde-Maurice brisé par les images satellites
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Agalega: l’omerta sur l’accord Inde-Maurice brisé par les images satellites
C’est cette année que doivent initialement prendre fin les travaux portuaires et aéroportuaires à Agalega. Sauf que ni l’Inde ni Maurice n’avait prévu la pandémie du Covid-19 et ses aléas dans leur plan. Retard dans la livraison ou pas, la transformation d’Agalega est, elle, déjà une réalité pour les habitants mais aussi aux yeux du monde grâce aux images satellitaires.
Entre s’occuper des cent volailles de la bassecour familiale avec son père, Arnaud, dans leur village Vingt-Cinq et une partie de pêche à la vieille, Ryan Poulay, 14 ans, ne manque pas l’occasion de faire du vélo en ces vacances scolaires.
Sauf que l’adolescent n’a plus le loisir de pédaler où il veut comme c’était le cas avant l’ouverture du chantier d’Afcons, sur l’île du Nord, à Agalega. «Mes amis et moi avions l’habitude de nous rendre jusqu’à La Fourche. Maintenant, les Indiens ne nous laissent pas nous approcher de la piste. Il y a aussi des panneaux affichant les zones interdites», se désole Ryan.
Pis, il assiste, le cœur lourd, à l’abattage des cocotiers au cœur de son île.
«Avan, kan nou pase, nou tiabitie trouv pie koko bien. Bann-la pe koup preske tou pou zot fer batiman. Zot ankor pe koupe ek inn ariv ziska nou laplenn. Mo sagrin kan mo trouv sa.»
Plus tard, lorsqu’il sera adulte, Ryan veut gagner son pain en tant qu’éleveur. Le fait que le gouvernement mauricien vienne de bloquer le projet d’élevage de bovins de son père est loin de le décourager. Par contre, l’élève en Grade 9 au collège Medco (l’unique établissement secondaire à Agalega), où il se plaît le plus à apprendre l’anglais et le français, ne dirait pas non à un poste à l’aéroport d’Agalega.
Ce qu’il sait, c’est que les Indiens qu’il croise chaque jour sur leur route pour la boutique du village où ils achètent leurs provisions, «pe fer developman». Ni plus ni moins. Il espère simplement que la nouvelle piste d’atterrissage permettra d’évacuer plus rapidement les malades de son île faute d’un hôpital approprié où les soigner. Par-dessus tout, «so zil», il ne veut la quitter pour rien au monde. Encore moins être déporté comme cela a été le cas pour les Chagossiens afin que des militaires américains puissent prendre leurs quartiers à Diego Garcia.
Fin des travaux
En tout cas, une chose est sûre. Agalega qui compte quelque 250 habitants, occupe de plus en plus l’actualité internationale. Les images satellitaires publiées par The Interpreter (NdlR, une publication du Lowy Institute basé à Sydney, en Australie), le 2 mars, et qui montrent le chantier d’envergure en cours avec une piste d’atterrissage s’étalant déjà sur la moitié de l’île du Nord ainsi que le développement du port sur la côte nord, n’ont pas échappé aux yeux du monde.
Les travaux démarrés en 2019 par les entreprises indiennes Afcons et Rites engineering consultancy au coût de Rs 3 milliards (87 millions de dollars) pour développer l’accès aérien et maritime d’Agalega devraient initialement prendre fin cette année.
Sauf que ni l’Inde ni Maurice n’avait prévu la pandémie du Covid-19 et ses aléas dans leur plan. Retard dans la livraison ou pas, la transformation d’Agalega est, elle, déjà une réalité pour les locaux mais aussi aux yeux du monde grâce aux images satellitaires.
La reproduction de ces images, mais surtout la déduction de Samuel Bashfield, dans son article y annexé soulignant qu’«Agalega is a glimpse of India’s remote island military base», s’enchaînent dans la presse internationale. Pendant ce temps ni Port-Louis ni New-Delhi n’a apporté de démenti.
L’accord entre les deux gouvernements a beau demeurer un secret d’État et le projet être exempté de l’Environmental Impact Assessment, depuis 2018, des sources de la marine indienne qui se sont confiées à The Hindu, quotidien en anglais respecté à Chennai, ont confirmé leur implication dans le projet.
Un fonctionnaire indien a fait savoir à la même publication que «contrairement aux bases militaires gérées par d’autres pays, le modèle indien est une «soft base»». Précisant ceci : «We don’t bar locals from moving through any Indian-made project. So these governments get more control over their domain, without diluting their sovereignty.»
Pour sa part, l’étudiant doctorant au National Security College de l’Australian National University (ANU) Samuel Bashfield écrit que l’Inde considère «sa nouvelle base Agalega comme essentielle pour faciliter les patrouilles maritimes et aériennes dans le sud-ouest de l’océan Indien, et comme un avant-poste de renseignements».
Mais surtout, qu’elle constituera un point d’étape important pour la nouvelle flotte indienne P8I, qui a récemment effectué sa première patrouille conjointe avec la France depuis La Réunion voisine.
Toujours selon lui, Agalega facilitera également les patrouilles maritimes au-dessus du canal du Mozambique, désormais un passage très fréquenté par les grands navires commerciaux, notamment les pétroliers. La marine indienne pourra aussi observer les routes maritimes autour de l’Afrique australe, qui représente aujourd’hui une part importante des importations d’énergie de la Chine.
Gérard Lesage, ancien administrateur : «Deux autorités au contrôle»
Gérard Lesage, 66 ans, n’a jamais coupé contact avec l’archipel. «C’est ma deuxième batterie», souligne d’emblée celui qui a été Resident Manager d’Agalega à l’époque où l’archipel était encore desservi trois fois l’an par «le vieux Mauritius».
À l’époque, le bateau débarquait des passagers et le cargo à l’île du Nord avant de mettre le cap sur Assomption (NdlR, cette île des Seychelles où les Indiens prévoyaient d’installer une base militaire, avant que les Dalons de l’opposition sous le leadership de Wavel Ramkalawan n’y mettent un frein, était déjà associé à Agalega depuis ce temps-là), pour aller chercher du guano.
Gérard Lesage, qui a été recruté tour à tour par Rogers, qui s’occupait de la gestion des îles au départ, puis par l’Agalega Corporation et pour finir par l’Outer Islands Development Corporation (OIDC), a été storekeeper, accounts officer avant d’être promu Resident Manager. Nous sommes alors dans les années 1978 à 1981 et 1991 à 1992.
Gérard Lesage se remémore d’un Agalega où l’alcool (hormis le bacca) était un luxe. Où les femmes n’avaient pas l’obligation de venir à Maurice pour accoucher, vu qu’il y avait toujours une sage-femme dans l’archipel. D’un Agalega où comme administrateur, il pouvait également agir comme représentant de l’état civil pour signer les actes de naissance, mariage et autres.
À souligner aussi que c’est à la suite de son expulsion manu militari, en 1981, après la circulation d’une pétition, qu’une présence policière avec 30 éléments en permanence, y est alors introduite. Cette pétition dressait une série de réclamations des Agaléens pour de meilleures conditions de vie, dont le droit de vote qui sera enfin accordé 19 ans plus tard, soit en 2000.
Priorité : relier les deux îles
Notre interlocuteur est affirmatif. «Le luxe amène le recul. L’argent, les voitures ont été introduits. Mais la priorité est ailleurs. J’aurais demandé à l’entrepreneur qui devrait être retenu pour construire un Refugee Centre à l’île du Sud de faire un pont de 1,5 km reliant la pointe nord à celle du sud pour une communication permanente.»
Une telle infrastructure carrossable est plus urgente que le Refugee Centre que l’OIDC projette de construire. Elle sera plus bénéfique aux gens qui tombent malade et qui nécessitent des soins entre autres facilités sanitaires inexistantes au Sud mais disponibles à l’île du Nord. Elle aidera aussi au transport de marchandises en cas d’urgence ou de marée sèche.
Île poubelle
Concernant les développements portuaires et aéroportuaires d’envergure, il s’étonne que les Agaléens ne puissent toujours pas agrandir la maison qu’ils occupent alors qu’Afcons construit en ce moment un bâtiment d’au moins quatre étages (ce qui devrait être la tour de contrôle).
Il déplore aussi le fait que l’île du Nord est devenue une île poubelle. «Avec le millier de travailleurs indiens à l’île du Nord, je vous laisse deviner la quantité de déchets que cela occasionne. Tout ça sans un système de tout à l’égout adéquat.»
Dans un tout autre registre, notre interlocuteur ne manque pas de faire ressortir qu’Agalega, qui a vu une augmentation de sa population avec l’arrivée des travailleurs indiens, n’a toujours pas de douaniers pour contrôler ce qui rentre et sort de l’archipel. «Je me demande si le sergent en charge de la police ou si le Resident Manager saurait si un mort est balancé à la mer, par exemple.»
«Pas de tyrolienne à Agalega»
En tout cas, pour lui, il est clair que ce n’est pas le père Noël qui va atterrir sur cette piste de 3 kilomètres, avec les bras chargés de cadeaux. D’autant qu’une telle infrastructure n’a pas été aménagée à Rodrigues qui a tout un potentiel touristique déjà en place. «Il n’y a pas de tyrolienne à Agalega à ce que je sache», ironise-t-il.
Pourtant, Gérard Lesage se souvient que lorsqu’il administrait l’archipel, le gouvernement mauricien veillait jalousement sur sa souveraineté car, à l’époque, la proche collaboration de la Seychelles Islands Corporation et l’administration Agalega n’était pas au goût de tous, puisque les Seychellois étaient davantage aux petits soins des Agaléens que les Mauriciens.
Celui qui affirme n’avoir jamais entendu parler d’un quelconque intérêt indien pour l’archipel sous son administration, a eu vent de l’existence de deux autorités en ce moment à Agalega. L’OIDC puis les Indiens.
À savoir qu’Afcons, outre sa main-d’œuvre, a notamment son dispensaire avec des appareils plus sophistiqués que le centre de santé destiné à la population locale. «La dernière fois, quand des Agaléens ont refusé de débarquer le bateau qui avait accos té, Afcons a envoyé sa propre équipe pour le faire.»
Toutefois, il dit avoir aussi été informé des conditions déplorables dans lesquelles les Indiens sont appelés à travailler. «C’est de l’esclavage moderne. C’est quasiment du 24/7 où tout est permis. Jamais des Agaléens ne vont accepter de travailler à ce rythme !»
La stratégie de la marine indienne réorientée depuis 2015
“Ensuring secure SEAS: Indian Maritime Security Strategy”. Cette publication de la marine indienne datée d’octobre 2015 est claire sur l’importance de l’océan Indien pour la Grande péninsule.
Les raisons pour lesquelles l’Inde interagit plus activement avec les États côtiers de l’océan Indien et fait de la sécurité maritime la pierre angulaire de ses initiatives de politique étrangère régionale s’y trouvent aussi. Elle explique que des développements ont nécessité une révision de la stratégie de 2007 de la marine et la promulgation de cette édition de suivi intitulée Ensuring Secure Seas : Indian Maritime Security.
Trois développements significatifs de la dernière décennie qui affectent la sécurité maritime de l’Inde et le rôle de sa marine sont avancés. Le premier est le changement radical qu’a connu l’environnement géostratégique mondial et régional au cours de cette période.
Le passage d’une vision du monde euro-atlantique à une vision indopacifique et le repositionnement de la puissance économique et militaire mondiale vers l’Asie ont entraîné d’importants changements politiques, économiques et sociaux dans la région de l’océan Indien et ont eu un impact tangible sur l’environnement maritime de l’Inde.
Deuxièmement, le calcul de la sécurité de l’Inde et des menaces a considérablement changé au cours de cette période. Outre les menaces et les défis persistants de nature «traditionnelle», l’environnement de sécurité maritime de l’Inde est devenu encore plus complexe et imprévisible aujourd’hui, avec l’expansion de l’ampleur et de la présence d’une variété de menaces «non traditionnelles».
Sécurité marine
Les attentats terroristes de 2008 à Mumbai, par exemple, ont exigé une réévaluation des perceptions de la sécurité et la marine s’est vue confier la responsabilité de la sécurité maritime globale de l’Inde, y compris la sécurité côtière et en mer. Cela a nécessité une réorientation de son organisation, de sa philosophie opérationnelle et de ses plans de développement des forces.
Troisièmement, un point de vue national sur les mers et le domaine maritime a été adopté et reconnu plus clairement d’autant que la sécurité maritime est pour l’Inde un élément essentiel du progrès national et de l’engagement international.
Extraits de l’accord Inde-Seychelles de 2018 : présence militaire armée et en uniforme…
Le 16 juin 2017 à l’Assemblée nationale, Pravind Jugnauth a déclaré que le plan initial consistant uniquement à moderniser la piste d’atterrissage à Agalega a été revu. Ce changement ressemble au cas seychellois pour l’installation des infrastructures militaires à l’île de l’Assomption, puisque l’accord initial signé en mars 2015, à Victoria, a également été modifié en janvier 2018.
Il est vrai que le projet indien sur l’île de l’Assomption n’est plus d’actualité depuis mars 2018, après une pression citoyenne et le refus de l’opposition d’alors sous le leadership de Wavel Ramkalawan (aujourd’hui président des Seychelles) de valider, au Parlement, le projet tel qu’il se présentait.
Les changements apportés à l’accord Inde-Seychelles en janvier 2018 méritent donc qu’on s’y attarde en sachant qu’Agalega est pour le moment la seule option non compromise pour la Grande péninsule dans la région. D’autant que le gouvernement mauricien s’obstine à ne pas rendre public l’accord, s’appuyant sur une clause de confidentialité tout aussi secrète.
Rappelons que c’est un internaute, se présentant sous le pseudonyme de Partu Kote, qui a rendu public sur YouTube l’accord Inde-Seychelles (2015 et 2018) pour l’installation des infrastructures militaires sur l’île de l’Assomption. Tout comme une lettre secrète envoyée à l’Inde et une vidéo de 9 minutes et 20 secondes intitulée « The mother of all cons, Assomption, The Case of a nation being lied to» et qui montre les plans des installations.
Selon ces extraits de l’accord de 2018 entre l’Inde et les Seychelles, l’on note que provision est notamment faite pour :
- Le droit à une présence du personnel militaire armé indien dans l’île, à condition que le gouvernement seychellois soit tenu informé du type d’armes et de munitions dont il sera muni.
- Les militaires déployés seront autorisés à porter l’uniforme des forces armées indiennes.
- Le gouvernement seychellois facilitera l’entrée et la sortie des militaires indiens ainsi que leurs navires et avions sur l’île. Les documents officiels indiens seront aussi exemptés de vérifications douanières.
- Les aménagements restent la propriété des Seychelles mais ils seront administrés et gérés conjointement par les deux pays.
Dix éléments divulgués au Parlement
16 juin 2017. Répondant à une «Private Notice Question» (PNQ) du leader de l’opposition Xavier-Luc Duval, le Premier ministre, Pravind Jugnauth, qui venait de rentrer de mission en Inde où le dossier Agalega avait été à nouveau au centre des discussions, a notamment affirmé que :
La nouvelle piste qui remplace l’initiale de 1 300 mètres de long, fera 3 000 m. Ce qui équivaut à trois fois celle de Rodrigues. Une aire associée pouvant accueillir des aéronefs de type B737-900 (47,1 mètres de long et 12,5 mètres de haut et entre 180 et 215 passagers) et Airbus 321 (44, 51 mètres de long et 212 sièges) est aussi prévue.
La nouvelle jetée permettra l’accostage des navires de 149 m de long et de 9 m de tirant d’eau.
D’autres infrastructures associées, telles que des tours pour le contrôle du trafic maritime et aérien, un hangar, un terminal passager, une unité de dessalement, ainsi que des systèmes d’électricité, d’eau et d’assainissement, seront construits. l Le projet est financé, géré et développé par l’Inde.
Le plan initial ne prévoyait que la modernisation de la piste d’atterrissage. Toutefois, sous le mandat des Jugnauth à compter de décembre 2014, l’ensemble du projet a été revu, avec comme argument officiel, le développement à très long terme d’Agalega.
Agalega aura un aéroport. Il ne sera pas comme le terminal de Plaisance, mais il y en aura certainement un.
Les installations seront sous le contrôle des autorités suivantes : la jetée sera sous la responsabilité de la Mauritius Ports Authority alors que le Department of Civil Aviation, ainsi que la police mauricienne, seront responsables de l’aéroport.
L’accord Maurice-Inde comprend aussi la sécurité maritime et les objectifs connexes suivants, à savoir la surveillance et le contrôle continus de la zone économique exclusive de la République, la lutte contre la piraterie et le terrorisme, le contrôle du braconnage et de la pêche illégale, la lutte contre les stupéfiants et le trafic d’êtres humains, la fourniture de services hydrographiques, la promotion du développement économique, y compris les initiatives de l’économie bleue.
La présence des troupes, garnisons à Agalega n’est pas interdite. Il leur suffit d’avoir le feu vert des autorités mauriciennes.
«Quand le moment sera venu, celui qui, (...) demandera une permission – ce n’est pas seulement une question indienne – elle sera examinée par les autorités compétentes et s’il y a des questions qui concernent la sécurité et d’autres questions, le gouvernement décidera. Maintenant, la question de savoir qui sera là en permanence, bien sûr, nous avons un aéroport, nous avons un port maritime, ils seront tenus par des officiers mauriciens et quel que soit l’accord que nous voulons avoir avec un gouvernement ou une autre partie, eh bien, nous déciderons en temps voulu.»
Par ailleurs, le 8 mai 2018, dans une réponse écrite suivant une question parlementaire d’Adrien Duval, la vice-Première ministre et ministre des Collectivités locales et des îles éparses d’alors, Fazila Jeewa-Daureeawoo, affirme que l’accord signé entre Maurice et l’Inde au sujet d’Agalega est confidentiel, y compris la clause de confidentialité.
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