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Pascal Lagesse: «Il faut séparer la culture du culte religieux»
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Pascal Lagesse: «Il faut séparer la culture du culte religieux»
Comment vivent les artistes en temps de Covid-19 ?
Je pense que les artistes mauriciens sont souvent perdus, Covid-19 ou pas. Le Covid est venu exacerber une situation qui dure depuis toujours. L’artiste est obligé de redoubler d’ingéniosité pour exister à Maurice. Mettre en place un projet artistique est un parcours du combattant.
Avec cette pandémie, une majorité d’artistes se retrouvent sans revenu et ne voient pas le bout du tunnel. Je pense surtout aux chanteurs et musiciens qui n’ont pas de lieux pour se produire et aux artisans qui vivent du tourisme. L’artiste est en attente de jours meilleurs (comme chacun d’entre nous) bien que l’après-Covid promette d’être encore plus difficile, car les mécènes et les sponsors seront alors en voie de disparition. Que l’express puisse offrir aux artistes visuels un lieu où ils pourraient exister aux yeux du public est formidable, en attendant de pouvoir faire de vraies expositions.
Quelle est votre expérience personnelle ?
Personnellement, c’est d’un point de vue émotionnel que je suis touché par le Covid qui crée autant d’incertitude et de détresse pour un grand nombre de Mauriciens. J’arrive néanmoins à peindre avec des hauts et des bas et j’accumule lentement les toiles dans un coin de l’atelier en attendant que viennent des jours meilleurs.
Comment faire pour sortir de l’impasse culturelle et artistique ?
Voilà une question passionnante. Pour commencer, je pense (comme beaucoup d’autres avant moi) qu’il nous faudrait avoir un ministère des Arts et de la culture et un ministère du Culte religieux. Séparer la culture et le culte religieux est une priorité pour plus de transparence au niveau des allocations des aides de l’État aux artistes. Si j’avais voix au chapitre, j’aurais proposé que le ministre des Arts et de la culture (du Patrimoine culturel en ce moment) puisse, comme le ministre de la Justice, ne pas obligatoirement être élu. Les gouvernements auraient alors la possibilité de choisir des ministres qui connaissent leur sujet.
Avant de se demander comment sortir de l’impasse culturelle et artistique, il faudrait peut-être analyser pourquoi nous sommes dans une telle impasse. Des réalités sont là au sujet de l’art à Maurice. Quand une pièce de théâtre est jouée, un concert en salle donné, un maximum de 1 500 à 2 000 personnes se déplacent. Si c’est un grand concert au J&J ou dans un stade, il peut y avoir jusqu’à 10 000 personnes. Et l’on parle alors d’un grand succès. Pour une exposition de peinture, s’il y a 1 000 visites, c’est un miracle. Quand un livre est publié, si l’auteur vend 3 000 exemplaires, il jubile.
Mais nous sommes une population de 1,27 million de personnes ! Sur cette population, il doit y avoir seulement 10 000 à 15 000 personnes qui se déplacent pour un événement artistique. Pourquoi est-ce qu’on n’arrive pas à attirer plus de gens ? Nous avons pourtant des spectacles de qualité.
Il faut sans doute voir tout cela dans un ensemble. Pour que les gens se déplacent, il faut avoir un système de transport adéquat. Quand un spectacle se passe de nuit à Port-Louis, il est difficile pour des personnes de sortir d’un village côtier et faire le trajet aller-retour par le transport public. Il faudrait peut-être décentraliser les salles de spectacles ? Une utopie quand on pense au Plaza et au théâtre de Port-Louis qui sont toujours fermés.
Nous sommes en 2021 et nous n’avons pas de musée national pour les arts mauriciens, pas de musée de la littérature mauricienne, entre autres. Les politiciens de tous bords n’ont jamais eu la volonté de faire de la culture un moteur économique. C’est une des raisons pour laquelle nous nous trouvons dans cette impasse. Singapour a construit son «garden by the bay» en 2012 et a attiré 13,71 millions de visiteurs en 2019.
Il est urgent d’investir dans la culture et dans les lieux culturels, car, dans une cinquantaine d’années, nos plages auront été emportées par le réchauffement climatique et il sera trop tard pour réagir. Il est urgent d’introduire l’enseignement de la culture mauricienne (art, littérature, cuisine, musique, dance, etc.) dans nos écoles. Il est urgent de construire des musées aux normes internationales pouvant accueillir des expositions du monde entier. Il est urgent de créer de nouveaux jardins botaniques aussi beaux que Pamplemousses. Il est urgent de faire des salles de spectacles et des salles d’exposition dans les quatre coins de l’île. Il est fondamental de ne plus prendre les artistes pour acquis ou pour des assistés, mais comme de vrais acteurs de l’économie.
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