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Catherine Leclezio: «Le gouvernement gagnerait en faisant preuve d’une approche plus empathique»

23 mai 2021, 13:56

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Catherine Leclezio: «Le gouvernement gagnerait en faisant preuve d’une approche plus empathique»

Pour de nombreux Mauriciens et résidents bloqués à l’étranger ou qui l’ont été après la fermeture des frontières en mars 2020, la page Facebook Mauritius in Quarantine leur a été d’un soutien non négligeable. Entrevue avec celle qui est à l’origine de ce groupe qui compte, en huit mois, 17 500 adhérents.

Bloquée à l’étranger après la fermeture des frontières en mars 2020, vous avez pu regagner Maurice au bout de plusieurs mois. Racontez-nous.
Mes racines sont profondément ancrées à Maurice, même si j’ai grandi en Afrique. En 2016, je suis revenue à l’endroit où je suis née et je vis maintenant avec mes quatre chiens à quelques mètres d’un champ de canne à sucre, dans le village de Beaux-Songes.

En mars 2020, je me suis rendue en Afrique du Sud pour un voyage médical de trois semaines et suis restée bloquée jusqu’au dernier rapatriement du 6 septembre.

Le voyage retour ressemblait à un film sur l’holocauste : escaliers sombres, halls d’aéroport vides, fonctionnaires masqués rassemblant des passagers silencieux. Nous avons reçu des instructions, mais aucune information - un monde bizarre et déprimant.

J’ai voulu partager mes expériences et fournir une plateforme permettant aux passagers d’échanger des informations vitales. C’est ainsi qu’est née la page Facebook Mauritius in Quarantine (MIQ). Jamais, dans mes fantasmes les plus fous, je n’aurais pu m’attendre à la croissance que ce groupe a connue en huit mois.

Quel est le bilan chiffré de Mauritius in Quarantine huit mois après sa création?
Voici les statistiques : 17 500 membres, dont 60 % de femmes. La majorité des membres ont entre 25 et 44 ans ; ils viennent de 99 pays, les cinq premiers étant Maurice, la France, l’Afrique du Sud, le Royaume-Uni et le Canada. Ensemble, ces membres ont visité le site 260 000 fois au cours des 28 derniers jours, soit en moyenne 9 300 visites par jour. Ces chiffres prouvent que la plate-forme est arrivée à point nommé.

Rétrospectivement, le succès de MIQ était une évidence. Nous rassemblons constamment des informations pertinentes sous un même toit, alors que chaque département gouvernemental fournit ses instructions respectives sur une pléthore de sites Web peu connus.

Aujourd’hui, votre page n’est pas uniquement une plate-forme de renseignements sur la quarantaine à Maurice comme à ses débuts?
J’ai lancé MIQ pour échanger des conseils sur la quarantaine, mais notre mission s’est élargie pour inclure des critiques d’hôtels et des informations sur la propagation du virus, le confinement, les vaccins, les vols et le soutien aux patients Covid-positifs.

Nous sommes devenus un groupe passionné et une communauté bienveillante, et de nombreux membres se sont noués d’amitié après la quarantaine ou se sont entraidés en privé. La plupart de nos membres actifs contribuent au groupe même après avoir atteint leurs objectifs.

Vous ne pouvez pas être la seule à administrer un groupe de 17 500 membres dont la majorité attendent des réponses concrètes sur leur rapatriement ?
Je ne fais pas tout toute seule. Je suis régulièrement sollicitée pour des offres d’aide. Depuis la Suisse, Mme Khadidja Malleck m’aide en effectuant des recherches en ligne et en rédigeant en alternance avec moi les rapports Covid. Un médecin clarifie des sujets liés aux vaccins, un professeur d’université donne son avis sur les visas d’étudiants. En arrière-plan, une équipe aux multiples talents se démène pour faire connaître les réalités des résidents bloqués. Karusha Nizelin, imperturbable agent de voyage de Durban, gère les voyages complexes des passagers sud-africains.

Mon soutien constant, dont je sollicite régulièrement les connaissances et les capacités de recherche, et qui tient les spammeurs à distance, est ma nièce Laura Leclezio. Elle a été ma coadministratrice vedette depuis le début et continue de m’aider bien qu’elle soit rentrée au Royaume-Uni.

Comment et avec quelles autorités, opérez-vous ?
WhatsApp est un outil magique. Notre premier contact avec les autorités a été la Dr Catherine Gaud. Je lui ai demandé conseil au nom de membres qui souffraient des conditions non optimales des centres de traitement. Elle a toujours fait preuve de compassion et a pris des mesures immédiates. Les patients du Covid ne nous approchent plus, j’espère que c’est parce que les services se sont améliorés.

L’adjoint au Premier ministre, M. Steven Obeegadoo, a été d’un apport constructif et m’a donné deux contacts clés au ministère du Tourisme.

Au sein de l’Economic Development Board, M. Maheshwar Oudit est une source d’attention constante, et un médiateur pour les résidents et les détenteurs de permis. Samina de JJ Accounting, un cabinet privé de comptabilité et de délocalisation, me fournit des contacts. M. Arvind Bundhun et Mme Jennyfer Suntoo de la MTPA cherchent à obtenir des remboursements auprès des hôtels récalcitrants. Mme Suntoo est proactive et transmet des informations précises.

Récemment, nous avons mis la main sur des fonctionnaires des Affaires étrangères qui ont travaillé sans relâche pour que les détenteurs de permis prennent les vols de rapatriement prévus les 22 (aujourd’hui, NdlR) et 24 mai. J’ai l’intention de rencontrer tous nos alliés pour les remercier en face à face «quand ce sera fini».

Comment vous organisez-vous pour gérer ce groupe avec toutes les demandes pressantes des membres?
Mes enfants et leurs familles sont à l’étranger, mais je me promène dans les champs tous les matins, avec mes quatre chiens. Le groupe m’occupe de 7 heures le matin à 20 heures, et je reçois entre 30 et 40 messages privés par jour. C’est fatigant, mais j’avais prévu de faire du bénévolat dans mon village, et bien que MIQ soit une communauté virtuelle, elle m’a apporté le sens que je cherchais.

Mon nouveau blog, mymauritiuslife.com, reste en attente pendant que je travaille sur MIQ, mais je vais chercher un lien entre les deux pour pouvoir éventuellement monétiser le blog. No hard work is ever lost.

Quelles sont les réalisations les plus marquantes que vous retenez ?
Ma plus grande récompense est inattendue, la coopération naturelle entre des individus d’horizons divergents, qui ont mis leurs souffrances et préjugés de côté pour voir les autres sous un jour nouveau. Au cours des premiers mois, les cyber-trolls se sont acharnés à semer la discorde ; ce n’est plus le cas, place maintenant à une camaraderie que l’on ne trouve que lorsque des communautés diverses font face à un ennemi commun.

Chaque jour, des gens s’efforcent de surmonter l’adversité. Ce sont les histoires personnelles qui me ravissent : un vieux couple qui retrouve sa terre natale ; une fille qui arrive au chevet de son père pour lui dire adieu, une famille réunie. J’ai soutenu une mère et son fils, positifs au Covid, envoyés dans un centre de loisirs après leur arrivée à l’aéroport. Elle était désemparée, ne connaissant pas le pays.

Compiler une liste des personnes à rapatrier est un travail acharné mais qui sert à apporter un coup de pouce au comité interministériel, et je pense que nous l’avons bien fait. La plupart du temps, je reçois dix à quinze noms ; le chiffre de 840 à aujourd’hui, comprend des Mauriciens qui sont déjà chez eux. J’essaie aussi de faire passer les étudiants, car ils sont sans défense.

Les efforts de Nathalie Baissac Daruty et d’un groupe de Mauriciens bloqués à La Réunion m’ont donné la chair de poule. Nous avons travaillé ensemble, en échangeant des contacts et des informations, et en tant que facilitateurs dans l’ombre. Je suis euphorique à l’idée que plus de 40 personnes trouveront le chemin du retour le 24 mai.

Quid des coups durs ?
Nous avons essayé en vain de proposer des solutions créatives pour rapatrier plus de 200 citoyens et résidents mauriciens bloqués en Afrique du Sud. Ma lettre au comité interministériel demandant leur rapatriement avec une quarantaine supplémentaire est tombée dans l’oreille d’un sourd. Ils ne peuvent entrer à Maurice qu’après avoir passé 15 jours dans un pays tiers. Beaucoup n’ont pas les moyens de séjourner ailleurs et de payer une quarantaine de 14 jours à leur arrivée à Maurice. Bien que certains parviennent à rentrer chez eux en passant par Zanzibar, le Zimbabwe, l’Éthiopie, l’Égypte, la Namibie, les Seychelles, le RoyaumeUni et le Kenya, la plupart sont bloqués depuis décembre 2020.

Je pense qu’un vol commercial en provenance d’Europe et un autre de Dubaï, une semaine sur deux, permettraient de rapatrier tous ceux qui vivent ici, avec de la place pour les détenteurs de visas Premium. Savoir que le gouvernement vous soutient éloigne le désespoir et réduit le niveau d’anxiété élevé qui prévaut chez les résidents bloqués. Le gouvernement gagnerait un soutien considérable s’il pouvait planifier, mieux communiquer et faire preuve d’une approche plus empathique envers tous.