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Kadress Pillay: «L’équipe de SAJ avait des compétences diverses et solides»

9 juin 2021, 18:32

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Kadress Pillay: «L’équipe de SAJ avait des compétences diverses et solides»

Il existe des phénomènes qui vont transcender la mort de sir Anerood Jugnauth comme le miracle économique que le pays a connu au début de son mandat en tant que leader de l’Alliance gouvernementale en 1983. Kadress Pillay qui a abandonné son poste de directeur de l’Audit pour se joindre à la politique raconte comment le pays a su s’extirper du marasme économique dans lequel il se trouvait et manifeste sa foi dans la réalisation d’un deuxième miracle économique à condition de prendre les moyens appropriés.

Le mot miracle est plutôt réservé au monde religieux et spirituel. Comment SAJ est-il parvenu à ravir ce terme qui est à des milliers de kilomètres du monde des affaires ? 
Le mot miracle n’est certainement pas une usurpation mal placée ou superflue. Il a pour but de signaler la réalisation d’un parcours jamais réalisé par le pays dans le domaine de l’économie. Nous sommes sortis du statut d’un pays à vocation mono-culture vers un pays qui a laissé son empreinte dans le domaine industriel. Il s’agit d’un ensemble de facteurs dominés par une motivation, une force et un élan en vue de pousser le pays sur la voie de sa modernisation, un parcours qui n’a pas été rendu possible jusqu’ici avec l’organisation de grèves par des mouvements syndicaux. A partir de 1984, une nouvelle dynamique et une nouvelle motivation vont voir le jour. C’est un environnement tellement dynamique pour le secteur industriel que ses effets vont provoquer également l’émergence de petits industriels mauriciens du secteur du textile et dont les produits seront vendus sur le marché local de même qu’auprès de petits acheteurs européens de produits du secteur du textile mauricien. C’est du jamais vu. 

Comment SAJ s’y est pris pour sortir le pays d’une crise socioéconomique sans précédent ? 
Il fallait réunir les compétences appropriées pour réaliser la difficile mission qui l’attendait. Sir Anerood Jugnauth disposait de tout un ensemble de compétences diverses qui soutenaient le Premier ministre dans sa tentative de sortir le pays de l’ornière dans laquelle il se trouvait. Il s’agissait entre autres de Vishnu Lutchmeenaraidoo, Khader Bhayat, Anil Gayan, Satcam Boolell, sir Gaëtan Duval. Un atout qui ne faisait que renforcer les qualités de leadership de sir Anerood Jugnauth. Il fallait assurer dans une large mesure la continuité d’un travail qui a déjà été mis en route par le gouvernement qui en 1982 a pris les rênes du pays après l’écrasante victoire de 60/0. Nous nous sommes dit que, tout étant énorme, la nature du défi qui se présentait à nous, il fallait commencer un travail concret pour créer le momentum qui allait redessiner les contours de l’avenir de ce pays. Et c’est à ce moment précis qu’on va réaliser qu’il y avait une panique à Hong Kong vu qu’il se trouvait en face des conséquences d’un accord de retrait des Britanniques au profit de la République Populaire de Chine. Les Hongkongais, Britanniques dans leur culture commerciale et économique, étaient pris de panique et cherchaient un pays susceptible de leur offrir les facilités d’installation appropriées. Ce qui se passait à l’époque à Hong Kong même si cela est arrivé avec des années de retard était un phénomène prévisible. Il était extrêmement difficile d’imaginer voire d’envisager une cohabitation pacifique entre deux cultures fondamentalement opposées en se disant qu’une telle situation n’allait pas déboucher sur une confrontation aux conséquences fâcheuses. C’est une circonstance qui a incité le nouveau gouvernement à mettre en place un vaste projet de mission. L’objectif étant d’inciter les investisseurs hongkongais à la recherche d’un pays d’accueil de regarder dans la direction de Maurice. Les destinations identifiées pour cette mission furent Hong Kong, Macao, la Corée du Sud et Tokyo.

«L’investissement conséquent dans l’apport des technologies innovantes est une condition indispensable pour s’offrir un deuxième miracle.»

Quel a été le principal objectif de cette importante mission composée de ministres et des hauts responsables du secteur privé ? 
Le principal objectif de cette mission a consisté à présenter Maurice comme la prochaine destination idéale pour les projets d’investissement de ces pays du continent asiatique. Cette mission a débouché sur l’émergence d’un groupe d’investisseurs désireux de tenter l’aventure sur le sol mauricien. Il fallait cependant leur donner le statut de résident permanent et c’est dans ce contexte que SAJ a voulu qu’ils sachent que le choix de la destination mauricienne sera accompagné d’une garantie qu’ils seront traités comme des Mauriciens à part entière. Pour ces investisseurs en provenance de Hong Kong tout particulièrement, leur principal objectif était moins de se faire de l’argent que de trouver une place où il leur serait possible pour eux-mêmes et les membres de leur famille respective d’évoluer paisiblement. Lorsqu’ils se sont rendus sur place, ils se sont rendu compte que les conditions tant souhaitées étaient bel et bien existantes sur place. 

Quels étaient les secteurs d’activités industrielles pour lesquels ils avaient manifesté un grand intérêt ? 
Leur intérêt portait principalement vers le secteur du textile considéré comme le créneau porteur pour la bonne et simple raison qu’à Maurice, le coût de la main-d’œuvre était relativement très bas par rapport à ce qu’il était à Hong Kong. Le pays disposait d’un flot de jeunes dont l’accès à l’éducation était devenu possible après l’introduction par feu sir Seewoosagur Ramgoolam, d’un système gratuit de l’éducation. Les jeunes avaient, pour la grande majorité d’entre eux, complété le cursus en cours sur le plan du secondaire. Ils étaient suffisamment équipés tant mentalement qu’intellectuellement et étaient capables de s’adapter dans un nouvel environnement de travail dans un laps de temps record. Il y avait le quota de produits en direction de l’Europe que les conditions existantes ne permettaient pas toujours au pays d’honorer. Ce qui signifie que les industriels hongkongais qui sont venus s’installer à Maurice étaient en présence d’un quota illimité en provenance des pays du continent européen. Alors que dans leur pays d’origine, ils étaient parvenus quasiment à la mise à exécution des commandes découlant de l’attribution du quota du marché américain qui leur avaient été préalablement attribuées. Ils ne disposaient pas des mêmes possibilités que celles détenues par les industriels basés à Maurice par rapport aux pays européens. Parallèlement à cette nouvelle forme d’intérêt pour revendiquer une place dans l’environnement industriel du pays, le pouvoir politique était géré par un gouvernement motivant dont la direction était dirigée par un Premier ministre/leader qui, dès qu’il allait se rendre compte de la pertinence de l’action dans laquelle un ministre s’est engagé, allait lui donner carte blanche pour atteindre les objectifs qu’il s’est fixés. Ce sont autant de facteurs qui ont permis à l’économie nationale d’effectuer le décollage tant souhaité que la dynamique que cela a créée dans le pays lui a valu le terme flatteur de miracle économique.

«Quel autre modèle économique pour le pays à part un marché économique deux fois plus libre que celui dont on dispose ?»

Si nous osons prendre comme référence pour le futur tant le règne politique de sir Anerood Jugnauth que son impact sur la vie économique de ce pays, le terme qui va meubler son absence ce ne sera ni plus ni moins que le miracle économique. Et si on devait pousser cette logique dans son dernier retranchement, la situation actuelle avec ses nombreux incertitudes et défis détient-elle les éléments pour qu’un deuxième miracle économique se produise ? 
Rien n’est impossible. Cependant il faut avoir les pieds bien sur terre. Nous faisons actuellement face à une situation extrêmement complexe. La raison est que nous nous trouvons dans le cadre d’une nouvelle phase de développement d’une économie axée sur le service. De nouveaux facteurs constitués par des éléments associés à l’avènement de nouvelles technologies ou bien les technologies émergentes ou innovantes sont entrés en jeu. Mon attention porte plus particulièrement dans la direction de l’intelligence artificielle ou encore en direction du bitcoin qui sert d’unité monétaire numérique dans un réseau où le transfert dans le cadre de l’utilisation de cette monnaie innovante peut s’effectuer de pair à pair sans le recours à une autorité centrale telle une Banque centrale. Le défi pour les têtes pensantes qui se penchent sur l’architecture à venir de l’économie nationale va consister à mettre en place les structures requises susceptibles de favoriser l’émergence d’une nouvelle adhésion aux atouts des technologies innovantes en veillant avec force que le système de notre éducation nationale est également intégré dans ce vaste mouvement de changement. 

La nature de la situation actuelle nous pose bien des défis. Oublions pour un moment le rôle que le secteur du textile a joué jusqu’ici et continue de jouer encore sur la scène économique. Certaines usines avant-gardistes ont énormément investi dans l’acquisition de nouvelles compétences dans le but précis de leur permettre de maîtriser la gestion des équipements dont la fabrication s’inspire de l’apport des technologies innovantes. Avec un marché garanti pour leur produit, ce type d’usines seront en mesure de survivre. Une situation qui suggère que nous sommes forcément appelés à nous orienter davantage vers des créneaux susceptibles de nous permettre de réaliser un nouveau miracle économique. 

Quelles sont alors les conditions que le pays devrait s’imposer dans le but de s’offrir une nouvelle dynamique économique ? 
Il n’y a pas quatre chemins pour atteindre les rives d’un nouveau miracle économique. L’investissement conséquent dans l’apport des technologies innovantes est une condition indispensable pour s’offrir un deuxième miracle. Je cible tout particulièrement l’intelligence artificielle. Le remplacement des humains par des robots avec la contribution de l’intelligence artificielle est une réalité inévitable. La globalisation fera le reste. Quel autre modèle économique pour le pays à part un marché économique deux fois plus libre que celui dont on dispose pour le moment et où il n’existera aucune tentative pour contrôler tant soit peu le fonctionnement des opérateurs du privé ? Le défi de ce gouvernement consiste à respecter totalement la liberté des acteurs du secteur privé afin de permettre au génie mauricien de dévoiler tout le potentiel dont il est en mesure de manifester. Je souhaite ardemment que la perte nationale occasionnée par la mort de SAJ va provoquer une réflexion en profondeur portée sur les grandes valeurs qui ont constitué les assises même de son parcours politique et qui lui ont valu de recevoir le titre de père du miracle économique mauricien, de tirer les leçons de cette expérience et de tout mettre en œuvre pour leur réadaptation en vue de favoriser un nouveau départ pour le pays.