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Changement climatique - Grande île, grande famine: urgence d’un soutien régional
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Changement climatique - Grande île, grande famine: urgence d’un soutien régional
Des enfants au visage creusé, émacié… au regard vide. Des petits décharnés par manque de nourriture. À Madagascar, où la famine fait des ravages, ces scènes de désolation brisent le cœur. Pour survivre, des habitants n’ont d’autre choix que de manger des criquets ou encore de la boue. La situation, provoquée par plusieurs années de sécheresse, est insoutenable, déplore David Beasley, le directeur général du Programme alimentaire mondial (PAM) des Nations unies, qui s’est rendu sur place. Des petits en bas âge meurent sous nos yeux, soutient-il. La Grande île souffre d’un manque d’aide humanitaire en raison du confinement lié au Covid-19, notamment. Le monde, en particulier les pays industrialisés, a l’obligation morale d’aider ces personnes qui paient le prix du réchauffement climatique, souligne le patron du PAM. Mais qu’en est-il des États membres de la Commission de l’océan Indien (COI) ? Avec l’Union européenne, la COI dit mettre en œuvre un programme régional de sécurité alimentaire avec l’accent sur la nutrition des enfants de 0 à 5 ans et sur la santé maternelle.
Aggravation de la famine à Madagascar: Vers l’urgence d’un soutien régional
Premier pays à souffrir de la famine en raison du réchauffement climatique selon l’ONU, la Grande île est en crise. Quel est l’impact de ce fléau aux conséquences internationales ? Maurice et les îles avoisinantes sont-elles solidaires ? Face à la détresse de milliers de Malgaches, la faim justifie le déploiement des moyens. Tour d’horizon.
Criquets, boue et feuilles de cactus : c’est ce que les Malgaches doivent ingurgiter pour survivre, indique une récente dépêche de l’Agence France-Presse (AFP). Précédemment, Gail Borgia, une journaliste malgache, a mis en images le calvaire d’une famille contrainte de se nourrir de peau de zébu. Une vidéo, reprise par des médias internationaux, qui a causé émoi, effroi et polémique. Ainsi, dans le sud de Madagascar, la famine fait rage et ne cesse de s’aggraver. La faute au réchauffement climatique et à plusieurs années de sécheresse, a indiqué David Beasley, directeur général du Programme alimentaire mondial (PAM), lors d’une récente visite. Une réalité affligeante de la Grande île à genoux, qui reflète les images d’un film d’horreur, a-t-il déclaré aux médias.
«Le PAM a constaté que la situation perdure dans le sud de Madagascar, notamment à cause de la sécheresse et de l’absence d’infrastructures nécessaires comme l’irrigation, entre autres», explique Françoise Labelle, ambassadrice de Maurice à Madagascar. Elle estime que plus de 700 000 personnes sont impactées par la famine. «Ce problème s’aggrave. Les gens en souffrent encore plus depuis l’an dernier», constate-t-elle. Mais au-delà des frontières malgaches, ce phénomène entraîne de lourdes conséquences régionales et mondiales. Lesquelles ? «Ce que vit Madagascar est une crise sans précédent d’insécurité alimentaire aigüe. Si nous ne prenons pas cela au sérieux, nous risquons de payer le prix fort dans les prochains mois en termes de production et d’importation alimentaires», observe Alain Laridon, ancien ambassadeur en Afrique australe.
Unités de transformation
Selon Bhavish Jugurnath, expertcomptable et économiste, le sud de Madagascar vit sa pire sécheresse depuis 40 ans. «Si une assistance n’est pas apportée d’urgence, il y a un risque que la famine se propage, mettant en péril la vie d’un million de personnes. Rappelons qu’il y a déjà 70 000 enfants victimes de malnutrition. Ces chiffres alarmants augmentent quotidiennement.» Ce phénomène a un impact sur Maurice, qui importait divers produits, dont le thé, le café, des épices, entre autres, d’une valeur de 43,54 millions USD de la Grande île en 2019, selon les données des Nations unies (ONU). Évidemment, la famine qui y sévit a un impact sur ses opérations, confrontées à un faible approvisionnement à des prix plus élevés. Néanmoins, ces denrées peuvent être importées du Sri Lanka et de l’Inde, ce qui nous sauve de la pénurie, estime Bhavish Jugurnath.
Toutefois, une autre menace plane sur Madagascar, qui s’enlise dans la famine : l’investissement étranger grâce à son positionnement stratégique entre l’Afrique et l’Asie. En dépit de récents conflits dans ce pays, des opportunités d’investissements dans l’agro-business, le tourisme, les infrastructures et la technologie, entre autres, ne manquent pas. Tout comme des hectares de terrains inexploités, une des faiblesses de Maurice. À l’inverse, notre île dispose d’expertise, ce qui manque cruellement à la Grande île.
Qu’en est-il du soutien à Madagascar ? Des initiatives ont été prises par l’ONU, le PAM et des programmes d’aide alimentaire, souligne Françoise Labelle. Qu’en est-il de la coopération régionale ? Et Maurice dans tout ça ? «En 2020, des associations caritatives de La Réunion ont organisé une levée de fonds pour cette cause. Pour sa part, Maurice a contribué aux fonds de programmes alimentaires mondiaux», répond notre interlocutrice. Une contribution de 50 000 dollars, précise-t-elle.
Cela dit, des mesures dans la durée sont plus urgentes. Par exemple, le PAM préconise des unités de transformation. D’ailleurs, le don de Maurice va dans ce sens pour la production de manioc, fruits à pain, entre autres aliments. «Hélas, dans le sud de Madagascar, pendant la saison, ces produits tombent et se périment. Il y a donc un certain paradoxe dans cette région», poursuit-elle. D’ailleurs, depuis 2020, un élan de solidarité s’est tissé avec la mobilisation de nos compatriotes mauriciens et ceux basés à Madagascar (voir plus loin).
Que faire davantage à notre niveau ? Françoise Labelle évoque la mise en relation des mouvements locaux aux associations basées à Madagascar. «Quand nous voulons aider, il faut nous assurer que ce que nous offrons va directement aux bénéficiaires», souligne-t-elle. De son côté, Alain Laridon est en faveur du soutien d’agronomes mauriciens à Madagascar. «On pourrait apporter notre savoir-faire. Notre intelligence et notre capital humain sont connus dans la région africaine.» L’économiste déplore que les organisations de soutien alimentaire sont limitées à des demi-journées de rationnement et que certains villages en sont privés intégralement. «C’est là que Maurice peut contribuer par un effort en termes logistiques et humains et pas uniquement d’ordre financier. Cela permettrait d’assurer des approvisionnements réguliers d’aliments en quantité suffisante sur plusieurs mois.»
Nous avons sollicité le Secrétaire général de la Commission de l’océan Indien (COI), Vêlayoudom Marimoutou pour une déclaration sur ces enjeux capitaux. Comme il est en mission à La Réunion, son bureau nous a affirmé que «la situation d’insécurité alimentaire qui prévaut dans le sud de Madagascar est un exemple inquiétant de l’impact du dérèglement climatique sur l’agriculture et les systèmes alimentaires». Il nous a aussi été précisé que la COI intervient à la demande de ses États membres dans des domaines où il y a un besoin de coopération pour réaliser des objectifs communs et met en œuvre des actions de fond pour permettre aux États membres d’améliorer leur sécurité alimentaire à long terme. «Avec l’Union européenne, la COI met en œuvre un programme régional de sécurité alimentaire avec un accent sur la nutrition des enfants de 0 à 5 ans et la santé maternelle. Le programme régional de sécurité alimentaire et de nutrition (PRESAN) avec l’ONU pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) et le Fonds international de développement agricole des Nations unies (Fida) doit aussi permettre de renforcer les filières agricoles et de contribuer à un meilleur équilibre nutritionnel des populations», ajoute la COI. En même temps, l’institution soutient ses États membres dans les mécanismes d’adaptation aux effets du changement climatique pour une meilleure prévision météorologique permettant de mieux planifier les cultures et les méthodes agricoles, conclut-elle.
Ces Mauriciens qui ont le coeur sur la main
Qu’ils soient à Madagascar ou à Maurice, ces Mauriciens ont à cœur ce qui se passe à Madagascar, qui connaît l’une des pires calamités de son histoire. Déjà deux ans depuis que la kere (sécheresse) et la malnutrition sévissent dans le sud du pays et ils amènent dans leur sillage famine et décès. Face à cette détresse, Abdool Nasser Hosenally ne peut rester insensible. Ce Mauricien, responsable de la Société solidarité pauvreté reconnue pour les plans d’aide à travers le pays, n’a pas hésité à s’investir dans un projet pour fournir de la nourriture aux habitants touchés par cette famine. Cela fait déjà plusieurs mois qu’il aide à l’approvisionnement des familles dans l’une des régions touchées, grâce à des Malgaches avec lesquels il travaille. «Il faut surtout avoir confiance dans les personnes avec lesquelles nous travaillons car nous leur donnons l’aide financière et c’est elles qui font le nécessaire pour ces gens.»
Au quotidien, 500 personnes bénéficient de ce plan d’aide. «J’avais proposé de leur offrir deux repas mais elles ont préféré opter pour un seul. Donc, on leur donne le dîner qu’elles prennent assez tôt, soit vers 16 heures.» Toutefois, il confie que le prix des denrées alimentaires ne cesse de grimper. «Tous les jours, nous offrons un bœuf ou des cabris pour le repas. On ne peut pas leur donner uniquement des grains secs à manger avec le riz. Justement, c’est une denrée qui se vend très cher. Un sac de riz se vend à Rs1 400 et nous en avons besoin de trois au quotidien.» Il n’aurait pas pensé qu’à travers son plan d’aide, plusieurs autres pays allaient lui emboîter le pas. Ces derniers ont même pris contact avec lui. «Cette action a pris une dimension internationale.» En effet, l’Égypte, la Turquie et La Réunion ont suivi le pas. «À travers moi, ils ont pu contacter les personnes qui nous aident sur place. Ils envoient leur argent directement aux locaux qui s’organisent pour offrir la nourriture.»
Cette situation alarmante est également suivie par des Mauriciens qui travaillent dans la Grande île. C’est le cas de Ravin Goonmeter, membre du Rotary Club et membre fondateur de la page Facebook Expats Maurice-Madagascar. Ayant fait une incursion dans cette partie du pays, en novembre et décembre 2020 avec les membres du Rotary, Lions Clubs et des entités du gouvernement malgache, il raconte son périple. Trajet possible grâce au gouvernorat de DG Doudou. «Pour accéder à cette partie du pays, il faut compter un vol d’avion de 1 h 30 et plus de cinq heures de route en 4x4 ; au cas contraire, cela fait 15 heures en 4x4 d’Antananarivo à Fort-Dauphin. La route empruntée est en terre battue et il fait facilement 40 degrés à l’ombre.» Cette visite visait surtout à approvisionner les habitants de la région. «Nous avons apporté de l’eau, du riz, du sucre, des grains secs, des compléments alimentaires, et des médicaments, entre autres. Cela devait durer 45 jours et touchait environ 500 familles.»
Toutefois, face à cette situation, le gouvernement malgache a décidé d’élaborer un projet de pipeline pour acheminer l’eau vers ces zones où la sécheresse sévit. «Un projet de dessalement d’eau de mer était envisageable. À travers les clubs rotariens et Lions, nous envisageons aussi d’autres actions qui se concrétiseront à travers des levées de fonds à La Réunion, Maurice et Madagascar. Nos compatriotes faisant partie du groupe de Rotary ont prêté main-forte au RCA Ivandry, sous la direction de Larissa RatsirakaTronc, et d’autres clubs rotariens de Madagascar. « Il y a aussi des clubs du rotary de la Réunion grâce à la participation de Hermann Hoareau qui ont récolté environ 15000 euros (Rs 768 000). D’autres levées de fonds sont prévues.»
Selon ses recherches, aucun Mauricien ne vit dans cette région, où il n’y a pas d’activités commerciales. Sam Jodhun, autre Mauricien vivant à Madagascar, attend que la pandémie se calme pour voir comment aider les habitants du Sud. «Hormis ce problème de sécheresse, il y a aussi celui des Dahalo – voleurs de zébu – que les autorités combattent avec les moyens du bord. Des voleurs brûlent des maisons, tuent ceux qui mettent en travers de leur chemin et volent les denrées offertes par les ONG.» Co-fondateur du groupe Expat MauriceMadagascar, il se dit impuissant , face à toutes ces calamités. «Les autorités gouvernementales disent qu’ils feront le nécessaire, mais ce n’est qu’une fois sur place qu’on en saura plus.» En tout cas, la lutte pour la survie se poursuit dans ces régions du sud de la Grande île.
Une vidéo polémique qui secoue
Cette vidéo, devenue virale, montre des enfants assis autour d’une marmite où bout un peu d’eau et des lanières de cuir. Ce sera leur repas. Des mets indigestes mais qui remplissent le ventre de ces enfants. Cette vidéo, réalisée par la journaliste Gail Borgia, correspondante de France24 et de TV5 Monde, à Ambovombe dans le Sud du pays, montre aussi d’autres personnes bouillir de la peau de zébu avec du sel. En tout cas, sa diffusion a même provoqué une polémique dans la Grande Île, où certains ont jugé que cette vidéo a causé du tort au peuple malgache. En revanche, pour d’autres, ce ne sont que des faits réels diffusés pour montrer la sévérité de la kere (famine) et de la malnutrition qui déciment tout un peuple.
Le réchauffement climatique engendre la famine
Dans un communiqué publié sur le site de l’ONU, le directeur général du PAM, David Beasley, demande à la communauté internationale d’apporter une aide aux 41 millions de personnes menacées de famine, notamment en Éthiopie, à Madagascar, au Soudan du Sud et au Yémen. Selon des études faites, cette famine est liée au réchauffement climatique. Il s’est même rendu à Madagascar pour un état des lieux. Et son constat a été sans appel. «La gravité de la situation a contraint des milliers de personnes à quitter leur domicile à la recherche de nourriture, tandis que celles qui sont restées ont eu recours à des moyens de survie extrêmes, comme la recherche de nourriture sauvage. Cela ressemblait à ce que vous voyez dans un film d’horreur.»
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