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Éclairage: les hommes, plus que les lois, font l’indépendance des institutions

8 juillet 2021, 14:41

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Éclairage: les hommes, plus que les lois, font l’indépendance des institutions

D’une année à l’autre, des questions se posent sur l’indépendance des institutions-phares du pays. Aujourd’hui, la perception veut qu’elles sont soumises aux ingérences de l’Etat, avec à leur tête des nominés qui sont loin de faire l’unanimité.

La décision récente de renouveler le contrat de Navin Beekarry à son poste de directeur général de l’Independent Commission against Corruption (ICAC) a suscité de vives critiques et d’interrogations tant de la part de la classe politique que d’observateurs indépendants et de l’opinion publique. Non pas parce que le titulaire n’est professionnellement pas à la hauteur et ne mérite pas d’être reconduit à ce poste pour un nouveau mandat. Mais tout simplement en raison de la perception populaire que l’indépendance de cette institution est aujourd’hui largement remise en cause de part et d’autre et qu’elle est devenue au fil des années un puissant instrument politique au service de l’État pour couvrir des scandales politico-financiers des régimes qui se sont succédés au pouvoir.

Le Premier ministre, Pravind Jugnauth, peut certes se prévaloir de ses prérogatives pour nommer la personne de son choix à des postes de direction au sein des institutions clés du pays. Comme dans le cas de l’ICAC s’il décide de maintenir Navin Beekarry malgré les récriminations populaires. Mais il aura en revanche demain à expliquer aux institutions internationales, qui nous surveillent comme le lait sur le feu, pourquoi le pays est négativement noté dans des classements internationaux et n’attire plus la confiance de la population et accessoirement celle d’investisseurs étrangers. Car au-delà de la problématique liée à l’indépendance même des principales institutions du pays, la question est plus profonde et relève d’une dissonance entre l’intérêt personnel d’un gouvernement, voire d’un Premier ministre, et plus largement celui du pays.

Croissance

Car il va de soi que pour garantir l’intérêt public, il faut impérativement que l’exécutif laisse opérer des institutions en toute indépendance. D’ailleurs, des études de travaux empiriques des économistes ont montré une forte corrélation entre l’indépendance des institutions et la croissance économique. Car à la base d’une relation saine des institutions, qui sont souvent des instances régulatrices, il y a la confiance et l’image que celles-ci projettent à Maurice et auprès des organismes internationaux. Or, la tentation est sans doute forte de la part des dirigeants politiques de s’ingérer dans le fonctionnement interne des institutions pour se protéger contre des abus, voire des scandales pouvant nuire à leur réputation.

Rajen Narsinghen, juriste et professeur de droit à l’université de Maurice, a raison de nous rappeler à cet effet que des institutions comme la Banque de Maurice, la Financial Services Commission ou encore l’Integrity Reporting Agency sont des instances régulatrices distinctes des corps paraétatiques classiques et d’organismes publics. «Toutes ces institutions insistent sur le principe d’indépendance, d’impartialité et d’intégrité. Je suis tenté de dire indépendant par rapport à qui ? Bien évidemment à l’exécutif qui prône une consolidation de séparation des pouvoirs telle qu’elle est définie dans la Constitution.» Alors même que des institutions internationales comme le FMI, la BM, l’OCDE ou encore le GAFI plaident en faveur de l’indépendance de ces régulateurs à l’échelle mondiale. Et Rajen Narsinghen ajoute que Maurice, reconnaissons-le, s’en est bien tirée, étant jusqu’à tout récemment en tête de pays africains quant aux classements de certains indicateurs économiques.

Or, là où le bât blesse au niveau du fonctionnement des principales institutions du pays, c’est quand certains Chief Executives, ayant des affiliations politiques ou des liens de sang avec certains ministres, ne parviennent pas à prendre la distance nécessaire face à leurs maîtres politiques. Et sont ainsi incapables de distinguer l’indépendance institutionnelle de l’indépendance opérationnelle. Résultat des courses : l’effondrement du système démocratique et la crise de crédibilité internationale à laquelle ces institutions font face. Or, dans le passé, des personnes ayant une sensibilité politique comme Iqbal Rajabalee, Milan Meetarbhan ou même Manou Bheenick avaient été nommés à des postes de responsabilité au sein d’institutions régulatrices et avaient démontré leur indépendance face à leurs ministres de tutelle. Qui ne souvient pas des affrontements entre Manou Bheenick et Rama Sithanen ou encore face à Xavier-Duval ?

En fait, selon un observateur, tout revient à la définition qu’on fait du terme indépendance. «On peut avoir une indépendance de jure traduite dans les lois mais les dirigeants de ces institutions sont serviles, courbant l’échine devant leur maître. En revanche, on peut avoir une institution qui n’est pas totalement indépendante mais elle est dirigée par une personnalité forte.» Il cite l’exemple de la BoM qui s’est retrouvée dans une situation pour le moins délicate malgré son indépendance de jure et en dépit de la compétence collective de son équipe de direction. «On peut se demander comment la garde rapprochée du gouverneur, nommément son First Deputy Governor, ayant un background légal et son Second Deputy Governor, une professionnelle de la finance, n’ont pas su conseiller le patron de la BoM, qui n’a aucune expérience bancaire, sur les différents transferts aujourd’hui contestés par le FMI et qui font toujours polémique sur la place. Cela aurait privé l’institution bancaire d’être traînée dans la sphère publique.»

Transparence

Certes, il n’y a pas que l’ICAC ou la BoM. Statistics Mauritius est revenu au centre de l’actualité suivant «l’ingérence» ministérielle pour en changer en l’espace de 48 heures (voir en page 9) l’estimation de croissance pour 2021. Le document, les National Accounts Estimates postées le 28 juin, a été retiré le lendemain et remplacé deux jours après. Le leader du MMM, Paul Bérenger est monté au créneau samedi pour critiquer cette démarche ministérielle visant à nuire à l’indépendance de cette institution pourtant respectable et crédible. Une démarche qui a entraîné dans son sillage hier la démission du Chairman du Board de Statistics Mauritius, Gilbert Gnany, haut cadre du groupe MCB, dont le nom a été cité par le dirigeant du MMM.

A l’instar de l’ICAC où la perception populaire est que les enquêtes, qui se font toujours attendre, seraient influencées politiquement, comme celles portant sur Alvaro Sobrinho et d’autres personnes politi- quement exposées, il y a nécessairement une exigence de clarté et de transparence de la part des directeurs de ces institutions pour rassurer la population pour qu’il n’y ait pas de perception de tentative de «cover-up». Dev Erriah, avocat d’affaires, ayant présidé dans le passé le board de l’ICTA, se demande s’il ne faut pas réfléchir, comme en France, à la mise en place d’un conseil constitutionnel chargé de choisir des candidats pour diriger les institutions suprêmes du pays. «On a vu ces dernières années un musical chair avec des responsables quittant la direction d’une institution pour une autre et dont le principal critère est leur proximité avec le pouvoir politique. Il faut mettre fin à cette pratique et donner des pouvoirs à un tel conseil, pour nommer ces CEO. Ces derniers peuvent être de la même famille politique que celle du régime en place mais une fois nommés, ils doivent très vite prendre leurs distances vis-à-vis du pouvoir en place pour agir en toute indépendance. Je comprends qu’il faut avoir un grand calibre intellectuel pour réussir cette transition et résister aux pressions. Mais il faut y penser», affirme Dev Erriah.

Quoi qu’il en soit, face aux agences internationales qui ne font pas de cadeaux à chaque fois que les institutionsphares du pays traversent la zone rouge, il y a urgence de redéfinir les critères de nomi- nation, repousser plus loin les affinités familiales ou politiques et choisir les compétences là où elles se trouvent. Il y va de la crédibilité, voire de l’indépen- dance des institutions importantes du pays.