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Éclairage: contenir la colère populaire face à la problématique des prix
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Éclairage: contenir la colère populaire face à la problématique des prix
Au vu de la majoration des prix des produits et de la grogne subséquente des consommateurs, le Premier ministre a décidé de geler des augmentations sur sept familles d’articles jusqu’à décembre. Malgré tout, des interrogations demeurent.
Ne nous voilons pas la face. La décision de Pravind Jugnauth de subventionner les commerçants à hauteur de Rs 500 millions pour gérer la flambée de prix sur sept produits de grande consommation relève autant d’une considération éminemment politique, voire électoraliste, qu’une protection sociale aux économiquement faibles.
Elle s’inscrit dans une démarche beaucoup plus profonde visant à contenir une colère populaire tous azimuts suivant la hausse vertigineuse intervenant dans le sillage du Budget 2021-2022 couplée à une politique monétaire de la Banque de Maurice axée sur une dépréciation accélérée de la roupie. Celle-ci s’est dépréciée de 7 % vis-à-vis du dollar ces trois derniers mois.
En fait, il n’a échappé à personne et encore moins aux dirigeants gouvernementaux que les ménages de toutes les classes sociales confondues mais plus principalement ceux au bas de l’échelle ont vu leur pouvoir d’achat se réduire comme une peau de chagrin ces dernières semaines. Or, il n’y a pas mille raisons : la hausse des cours de matières premières telles que les denrées alimentaires, l’énergie, l’huile, le blé et le maïs qui ont une hausse moyenne de plus de 92 % sur les marchés mondiaux combinée avec l’augmentation de 300 % du coût du fret sur certaines lignes maritimes et le taux de change défavorable du billet vert face à la monnaie locale ont propulsé les prix des denrées de base vers des sommets. Sans compter que certains commerçants sans scrupules y ont participé en faisant saigner à blanc les consommateurs. Une situation qui risque d’être explosive politiquement pour le régime en place tout en mobilisant les syndicats et les associations des consommateurs sur le front social.
Hors de contrôle
Pravind Jugnauth a sans doute eu l’écho de la colère des ménages qui constituent une clientèle électorale non négligeable pour sa formation politique dans des régions rurales. D’ailleurs, il ne peut ne pas savoir que ses élus éprouvent des difficultés sur le terrain pour expliquer et faire comprendre aux partisans et sympathisants hostiles qui ne veulent rien entendre sur la rationalité du mécanisme de prix.
En proposant ce bol d’air frais aux consommateurs dont le moral, selon l’étude de Kantar Maurice, est historiquement au plus bas, avec un indice de confiance de 53 au deuxième trimestre 2021 contre 48 pour la même période l’année dernière, le Premier ministre tente de jouer au pompier pour éteindre le feu de la mobilisation populaire. Il en sait quelque chose pour avoir été principalement ciblé dans la manifestation monstre du 29 août 2020 à Port-Louis après le désastre écologique du Wakashio dans les eaux mauriciennes.
Pour autant, Pravind Jugnauth peut certes marquer des points et prendre le crédit de sa décision d’intervenir pour maintenir les prix de sept produits de base (le lait, les grains, l’huile comestible, la margarine, le fromage, les conserves de sardine et de saumon et les conserves de tomates) tels qu’ils étaient pratiqués dans le commerce en janvier dernier et ce pendant les six prochains mois, soit au 31 décembre de l’année en cours. Toutefois, les spécialistes n’écartent pas l’idée qu’il sera plus d’une fois sollicité dans les mois à venir vu que cette subvention, financée par les contribuables pour stopper des augmentations de 2 à 77 % intervenues sur au moins 35 produits de consommation courante sur une année, risque d’être largement insuffisante pour faire face aux nouvelles augmentations de prix. Et pour des raisons qui sont, selon des commerçants, hors de contrôle des commerçants, soit des importateurs, des distributeurs et autres détaillants.
Qu’adviendra-t-il si les prix de ces sept produits, bloqués jusqu’à la fin de l’année, accusent une nouvelle hausse sur le marché international ? Est-ce que le Premier ministre réajustera le montant de sa subvention en fonction de cette nouvelle donne en compensant les commerçants pour ce manque à gagner ? Des questions que la communauté des affaires se pose, consciente que la situation va se corser avant décembre 2021.
Certes, en attendant que ce nouveau mécanisme de prix soit mis en place et affiné par le ministère du Commerce, les interrogations se posent sur la vente de sept produits dont les prix sont subventionnés par l’Etat. A savoir comment la marge de profit sera répartie entre l’importateur, le distributeur et le détaillant par la Mauritius Revenue Authority qui a la responsabilité de cette activité ?
Astuce commerciale
Des spécialistes s’interrogent aussi sur d’autres problématiques liées au mécanisme de prix, notamment sur la structure de prix appliquée dans les grandes surfaces et qui comprend souvent un prix affiché et un prix promotionnel. «Aujourd’hui, certains commerçants utilisent une astuce commerciale en proposant un prix promotionnel qui est en fait le prix réel, incluant sa marge de profit. Si la politique de subvention de prix est basée sur le prix affiché, le commerçant sera doublement gagnant car il bénéficiera de sa marge de profit normale et celle appliquée sur le prix promotionnel. Du coup, il aura droit à un «super normal profit» au détriment des consommateurs», explique-t-on.
Sans doute, le recours à la State Trading Corporation pour équilibrer le marché, plus particulièrement face aux risques de cartellisation, peut certainement bénéficier aux consommateurs. A l’instar de la démarche du bras commercial du gouvernement de s’engager dans l’importation d’huile comestible si le marché l’exige dans un souci de protéger les ménages.
Au-delà des implications électoralistes de cette subvention de Rs 500 millions, si elle perdure après décembre 2021, il va de soi que la décision gouvernementale vise à conforter les ménages pour qu’ils continuent à consommer. Le ministre des Finances, Renganaden Padayachy a fait de la consommation un levier de croissance et s’appuie sur un PIB nominal pour l’année fiscale 2021-22 s’élevant à Rs 499,8 milliards pour viser des dépenses de consommation de Rs 466 milliards. Ce qui lui ramènera, dit-il, des recettes de la TVA de Rs 39,5 milliards pour la même période, soit 8,5 % sur les dépenses totales de consommation. Un objectif que le ministre juge comme étant réalisable.
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