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Éclairage: la libre concurrence soumise à l’appétit commercial de l’État
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Éclairage: la libre concurrence soumise à l’appétit commercial de l’État
Il n’aura échappé à personne, et encore moins aux commerçants et autres opérateurs économiques, que l’État songe ces jours-ci à élargir son offre de produits de grande consommation en investissant dans l’importation via son bras commercial qu’est la State Trading Corporation (STC). Une démarche qui suscite l’interrogation des institutions du secteur privé d’une part, et la réflexion des observateurs économiques, de l’autre, chacun essayant de comprendre la pertinence d’une telle posture d’un organisme public.
Si initialement, la STC s’est engagée dans l’importation de commodités, dites sensibles, allant des produits pétroliers au riz, communément appelé riz ration, en passant par la farine, soit des produits de base consommés largement par la population, elle passe à l’offensive aujourd’hui en prolongeant cette liste avec le lait en poudre, l’huile comestible et, probablement demain, les médicaments.
La STC justifie ce choix stratégique en s’appuyant sur la défense de l’intérêt des consommateurs. Elle voudrait, dit-elle, protéger la population d’éventuelles pénuries et de prix abusivement élevés, qui pourraient engendrer une crise sociale, comme c’est légion dans beaucoup d’États africains et asiatiques. Elle dit ainsi s’assurer que les marges de profits imposées aux consommateurs soient dans une fourchette raisonnable car la STC n’a pas légalement la vocation de réaliser des profits. Certes oui sur papier… mais pas nécessairement dans la réalité de ses opérations quotidiennes, à l’instar de sa structure de prix défini à la pompe pour l’essence et le diesel qui saignent à blanc les automobilistes.
Face à ce nouveau positionnement de la STC, il faut certes relativiser pour rappeler que cet organisme public n’est pas une récente invention du gouvernement du jour, ni celui d’avant. Sa création remonte à octobre 1982, à travers la STC Act promulguée par l’alliance gouvernementale d’alors, MMM-PSM, issue des 60-0 de juin 1982. Toutefois sa mise à exécution n’est intervenue qu’en 1983. D’ailleurs, la STC devait remplacer la National Trading Corporation lancée en 1981 et qui n’a pas fait long feu. Le modèle de la STC, qui figurait dans le manifeste électoral du MMM en 1982, était calqué sur celui de la Tanzanie où cette structure d’importation était déjà une réalité.
Héritage colonial
Au-delà de cette incursion historique, il faut dire que Maurice n’a pas non plus réinventé la roue ; la STC n’a fait que reprendre une activité commerciale du gouvernement colonial, qui à travers le Department of Supplies importait à l’époque le riz et la farine, deux denrées de base emmagasinées dans le grenier que cette institution coloniale gérait à Mer Rouge dont la STC a depuis repris la charge. Ce qui fait dire à Megh Pillay, ex-General Manager (GM) de la STC, que celle-ci relève volontiers d’un héritage colonial.
On peut certes épiloguer à longueur de journée sur la pertinence du bras commercial du gouvernement d’accroître sa visibilité dans le secteur commercial. Cela dans une démarche visant à contrer les risques de cartellisation de commerçants sans scrupules pour dicter leurs prix aux consommateurs mais, avec comme conséquence, l’élimination d’une concurrence saine sur le marché. Sans doute, la STC n’a pas tort de réfléchir à cette menace quand celleci peut à terme perturber la chaîne de valeurs économiques. Mais entre-temps, il y a eu en 2009 l’avènement de la Competition Commission of Mauritius (CCM), dont le rôle est justement de sévir contre les commerçants malhonnêtes qui s’adonnent à des pratiques commerciales légalement contestables.
Si comme écrit plus loin l’économiste Eric Ng, «L’État devient (…) entrepreneur, non pas pour casser des monopoles, ces marchés étant concurrentiels, mais pour protéger le consommateur… », il faut aussi peutêtre considérer le fait que rien n’empêche la STC, selon Rajeev Hasnah, qui a servi comme économiste et Deputy Executive Director à la CCM, «d’être un acteur économique au même titre que d’autres opérateurs, s’il estime que son rôle peut apporter une flexibilité au niveau des prix (…) aussi longtemps que cette démarche ne s’apparente pas à une concurrence déloyale».
Même si, dans la foulée, des voix discordantes se sont élevées ces derniers jours quand la STC a menacé d’importer des médicaments quand les prix de certains génériques et même originaux ont pris l’ascenseur. La Pharmaceutical Association of Mauritius est montée au créneau pour insister que «toute demande d’importation parallèle irresponsable ou hâtive pourrait non seulement mettre en danger la santé des Mauriciens, mais aussi causer des dommages collatéraux incontrôlables».
Pour autant, le rôle de la STC est discutable et fait débat. Si certains opérateurs privés sont aussi nerveux pour souligner son rôle ambivalent, soit à la fois comme régulateur et opérateur, il faut qu’ils sachent que dans le privé, il y a des créneaux d’activités où le monopole du privé n’est pas près de céder aux sirènes de la libéralisation.
N’empêche qu’il serait mal inspiré de la part de la STC de se montrer agressive sur un marché largement fragmenté et dominé par une multitude d’opérateurs, comme pour le lait. Car il va de soi que trop de compétition nuit forcément à la compétition. En même temps, d’un régime à l’autre, sauf des exceptions rares, des nominés politiques au poste de GM de la STC ont dû plaire aux princes du jour en se livrant à des pratiques commerciales révoltantes, à l’instar de l’importation d’équipements médicaux l’année dernière sous le couvert de l’Emergency Procurement en raison de l’urgence sanitaire. Aussi, face à la colère populaire contre une flambée de prix de certains articles de consommation, la tentation est forte pour la STC de jouer au pompier en prenant le relais pour faire le tour du monde à la recherche de produits alternatifs à des prix défiant toute concurrence. Qui n’a pas oublié le feuilleton du lait Amul, importé de la Grande péninsule… alors qu’on aurait trouvé des arguments économiques rationnels pour convaincre les dirigeants de l’époque que la hausse de prix est souvent liée à des facteurs externes souvent associés à la dépréciation de la roupie.
Quoi qu’il en soit, l’appétit commercial de la STC n’est pas près de s’estomper alors que le débat continuera à enflammer l’opinion publique…
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