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Commerce et consommation: l’offensive de la STC effarouche la concurrence

1 septembre 2021, 22:00

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Commerce et consommation: l’offensive de la STC effarouche la concurrence

Manger n’a pour ainsi dire jamais coûté aussi cher ! À Maurice comme partout dans le monde, les consommateurs se sentent asphyxiés, devant débourser de plus en plus pour leurs besoins alimentaires. Ici, alors que l’inflation sur les 12 mois se terminant en juillet 2021 est estimée à 6,5 %, selon les chiffres de Statistics Mauritius, la situation ne s’améliore guère, malgré la subvention de Rs 500 millions de l’État sur certains produits importés. Face à ce constat, la State Trading Corporation (STC) se voit contrainte d’intervenir pour stabiliser les prix des denrées de base sur le marché local. 

Voyons d’abord la situation mondiale. Selon le Food Price Index de la Food and Agricultural Organization (FAO) des Nations unies, si le prix des produits alimentaires dans le monde semble prendre une meilleure tendance avec un déclin de 1,2 % en juillet comparé à mai, les produits alimentaires coûtaient toujours 31 % plus cher en juillet 2021, comparés à l’année dernière. Les analyses de la FAO démontrent que les prix des produits alimentaires de base, tels que grains, produits laitiers, sucre, huile végétale ou encore la viande, par rapport à la dernière décennie, ont pris l’ascenseur en mai. Si juin et juillet démontrent une légère tendance à la baisse, tout indique que les chamboulements affectant la consommation ne disparaîtront pas de sitôt. Résultat, les gouvernements sortent l’artillerie lourde pour tenter de maîtriser la montée de l’inflation et vont même jusqu’à ajuster leur politique monétaire. 

À Maurice, nous ne faisons pas exception. Le Conseil des ministres a, le 20 août, agréé à l’importation par la STC de 50 tonnes métriques de lait en poudre de la Nouvelle-Zélande et de 95 tonnes métriques d’huile de soja d’Égypte, sur une base pilote. La STC a donc pour mandat l’importation des denrées essentielles dépendant des besoins ; sa responsabilité ne se limite pas qu’à l’importation des produits pétroliers, du riz et de la farine. «Notre objectif est clair, la STC intervient sur le marché quand nous constatons un manquement dans l’offre. Nous importons pour éviter des pénuries et stabiliser les prix du marché. Nous avons lancé nos appels d’offres et avons déjà des propositions. Cet exercice, sur une base pilote, vise aussi à tester le marché. Avant même de démarrer nos importations, l’on peut constater une baisse des prix du lait», explique le directeur général de la STC, Rajiv Servansingh.

Si l’organisme va rencontrer les mêmes contraintes, dont les coûts exorbitants du fret, il peut négocier de meilleurs prix avec les fournisseurs et les compagnies maritimes. «Nous pouvons en effet avoir des prix favorables ; cependant, nous ne voulons pas devenir des concurrents dans l’importation. Notre rôle est de mettre en place des stratégies pour stabiliser les prix», confirme Rajiv Servansingh. Résultat, en offrant davantage de produits sur le marché à meilleur prix, la STC incite à la concurrence pour amener des importateurs à réduire leurs marges et proposer des produits moins chers aux consommateurs.

Habitudes locales

Et si le projet pilote s’avère un succès, cela pourrait encourager la STC à diversifier ses importations pour stabiliser les prix. Or, ce n’est pas la première tentative de la STC mais les consommateurs mauriciens ont aussi leurs habitudes. Quelle garantie que ces produits importés trouveront preneurs ? «Nous avons tenu compte des habitudes des Mauriciens et c’est pour cela que nous importons le lait de la Nouvelle-Zélande. Pour l’huile, en important d’Égypte, nous sommes exemptés de la taxe», renchérit Rajiv Servansingh. 

Quid des importateurs? Voient-ils en la STC un concurrent direct ? Pritam Dabydoyal, directeur de P&P International Co. Ltd, importateur de divers produits incluant l’huile comestible, attend que la STC mette ses produits sur le marché, «on leur donne de l’espace pour entrer sur le marché et le stabiliser». L’importateur est d’avis que la STC doit venir avec un plan transparent. «La STC doit connaître la quantité d’huile consommée au quotidien, environ 80 tonnes par jour, et offrir la quantité raisonnable pour stabiliser le marché. Toutefois, elle doit expliquer sa stratégie et ses plans. Nous préférons la transparence pour éviter un monopole.» 

Avec ses données compilées et accessibles, l’État connaît le marché et peut prendre des décisions pertinentes. Si cette flambée des prix ne touche pas les commerçants abusifs, la STC peut offrir une alternative et aider à stabiliser les prix. Pritam Dabydoyal précise que dans la conjoncture, il n’est pas question de concurrence, «la STC veut stabiliser le marché et elle doit agir».

Dans la même veine, Veemarlaine Veerapen, importateur de riz basmati, qui n’en importe déjà plus depuis trois mois, attend de voir le prix de vente des produits importés. «Nous ne pouvons pas importer plus car la marge de profit est trop faible et ne couvre pas les frais. Il nous faut parfois nous endetter pour faire face aux coûts de l’importation.» 

Un autre segment sévèrement impacté est celui des médicaments. Si entre 2008 à 2020 le prix des producteurs est resté le même, une hausse des prix a été notée sur le marché local, due à la hausse du fret et la dépréciation de la roupie. Les prix des médicaments sont basés sur un système d’annotation avec un taux maximal de 35 % sur le coût initial, incluant l’assurance et le fret et une allocation de 2 % sur le prix au débarquement. Dans un entretien à l’express, il y a quelques semaines, la présidente de la Pharmaceutical Association of Mauritius, Yamini Moothoosamy, indiquait que ces 35 % constituent la marge totale du profit entre le coût du producteur et le prix final de vente en pharmacie. 

Rude concurrence

Si la STC importe des médicaments, quel serait l’impact sur les prix de revente ? Le directeur de Premium Health Care Ltd, Avinash Dabydoyal, qui est distributeur et pharmacien, explique que la concurrence est rude mais que le secteur est régulé par le ministère du Commerce. «Le médicament n’est pas comme une commodité, telle que le lait ou l’huile de plusieurs marques. Un médicament agit spécifiquement, notamment pour l’hypertension, le diabète et les maux de tête, entre autres. Il y a des milliers de catégories.» Les pharmacies vendent les marques qui sont le plus en demande et très souvent prescrites par les médecins. «Le client prend le médicament qui marche pour lui. Toutes les marques n’ont pas le même effet, même les génériques.» 

Et si la STC se joignait au marché ? «Si nous avons le médicament à un prix plus élevé, il y a aura deux prix sur le marché et cela peut mettre en péril la chaîne de distribution régulière. La question est aussi comment la STC s’y prendrait pour importer et distribuer des médicaments équitablement dans la centaine de pharmacies dans l’île, sans compter la gestion des produits périmés ? Finalement, les distributeurs peuvent être affectés.» 

En attendant, si la STC peut stabiliser les prix du marché, il ne faut pas oublier la production locale. En l’absence d’économies d’échelle, une hausse même d’un petit pourcentage des produits locaux serait bénéfique, car malgré un coût de production plus élevé, si l’importation subventionnée offre de meilleurs prix de vente, elle ne peut pas créer l’emploi, contrairement à la production locale, surtout quand le déficit commercial se creuse de plus en plus, la note d’importation étant mois après mois plus élevée. L’équation n’est pas simple. Pourtant il faudra bien rivaliser d’idées et élargir nos stratégies, en tenant compte du long terme. Il est clair qu’avec le commerce régional qui est favorisé dans le monde, la production locale y trouvera sa pertinence stratégique.

 


Quid de l’approvisionnement en produits énergétiques?

<p>Il est indéniable que la STC s&rsquo;impose sur le marché d&rsquo;importation des produits pétroliers. Selon le directeur général de <em>Vivo Energy</em>, Matthias de Larminat, compte tenu de la taille du marché, il fait sens que les volumes dédiés au marché local soient mutualisés entre les quatre acteurs présents à Maurice pour bénéficier des économies d&rsquo;échelle et réduire les coûts des produits. <em>&laquo;La STC joue aujourd&rsquo;hui ce rôle d&rsquo;agrégateur de volumes pour les produits gasoil, diesel et HFO. Elle importe également le LPG tout en subventionnant la partie embouteillée.&raquo;</em> Au-delà des imports et subventions, via des mécanismes de compensation, la STC participe également à la réalisation de stocks stratégiques via les points de stockage pour le diesel, le gasoil ou le LPG, en coordination avec les acteurs pétroliers ; stocks stratégiques tampons, stocks essentiels pour faire face à une crise telle que le Covid-19, qui nécessite une flexibilité pour parer aux aléas et incertitudes.</p>

 


Soodesh Callichurn: «Dommage que les importateurs ne jouent pas le jeu de la concurrence et se comportent en cartels»

Soodesh Callichurn, ministre du Commerce.

La STC s’engage à importer certains produits de consommation, tels le lait, l’huile et même les médicaments. Quel est l’objectif de cette décision ? 
Il faut se rappeler que la STC est, institutionnellement, l’agent importateur de l’État pour les produits stratégiques, notamment les produits pétroliers, le gaz ménager, le riz et la farine. Jusqu’à présent, elle s’est concentrée sur ces quatre produits mais à la lumière de la hausse constante des prix depuis mars 2020, l’État lui a demandé d’importer une partie de la demande de lait en poudre et d’huile comestible pour réglementer le marché et permettre à la concurrence de baisser les prix. 

Les produits étant importés par la STC, l’État peut en effet négocier de meilleurs prix dans l’intérêt des consommateurs. Dans quelle mesure la palette des importations peut être élargie ? 
L’intérêt des consommateurs demeure le souci principal de l’État. La STC est consciente de la nécessité de meilleurs prix, mais pas au détriment de la qualité. C’est pourquoi l’exercice d’appel d’offres pour le lait en poudre instantané a été restreint au marché néo-zélandais, d’où provient la quasi-totalité de nos importations de lait en poudre. De la même manière, l’importation d’huile comestible se fera à partir de l’Égypte qui demeure le marché le plus compétitif pour Maurice en raison des tarifs préférentiels pour protéger les membres du COMESA. À travers les offres susmentionnées, la STC s’efforcera de garantir des prix abordables. 

Quid de la concurrence pour les importateurs ? 
Les importateurs se plaignent de la hausse vertigineuse du fret et de l’appréciation des devises étrangères, notamment le dollar américain, l’euro, la livre sterling, le dollar australien et le RMB. Il est néanmoins malheureux que des importateurs, qu’ils soient grands ou petits, ne jouent pas le jeu de la concurrence et passent les augmentations des coûts d’importation presque entièrement aux consommateurs. Ainsi, ils se comportent en cartels. L’entrée de la STC dans l’importation leur rappellera que la compétition est un principe fondamental du commerce et que, s’ils ne baissent pas leurs prix, ils risquent de perdre leur part du marché. Dans un tel cas de figure, il n’est pas interdit de penser que la STC pourrait augmenter son volume d’importations pour satisfaire la demande.