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Les Pandora Papers pour les nuls
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Les Pandora Papers pour les nuls
Dimanche dernier, 600 journalistes du monde, membres du Consortium international des journalistes d’investigation, ont fait éclater ce qu’ils appellent les «Pandora Papers». Cette enquête se base sur 12 millions de documents et révèle les richesses cachées par des puissants de ce monde. «L’express», seul média mauricien à avoir un journaliste membre de l’ICIJ, et ayant ainsi accès à ces documents, y a déjà consacré 3 «cover stories» cette semaine. Les chaînes TV, radio, journaux et médias d’information du monde vous ont également sans doute saoûlés avec cette histoire. Vous avez envie de tout comprendre sans vous noyer dans les détails ? Ceci est pour vous.
Consort quoi ?
Le Consortium international des journalistes d’investigation (ICIJ), qui a initié et chapeauté les Pandora Papers, est une ONG mondiale basée à Washington. Il regroupe 280 journalistes d’investigation, dont Maria Ressa, co-récipiendaire du prix Nobel de la Paix 2021, répartis dans plus de 100 pays et qui collaborent sur des enquêtes communes, sur des thématiques comme la corruption, l’évasion fiscale, l’élite financière, la santé publique, l’immigration.
C’est quoi ces papiers ?
Vaut mieux d’abord comprendre ce que c’est qu’une compagnie offshore, les management companies, les paradis fiscaux, etc. Nous y reviendrons.
C’est quoi une compagnie ou une structure offshore ?
C’est une compagnie, une association, un trust (un regroupement financier dont le propriétaire reste secret), enregistré dans un pays qui n’est pas celui de son opération principale. Maurice comptait 20 000 structures offshore en 2020 ! C’est-à-dire, des compagnies ou des individus qui opèrent aux quatre coins du monde, mais qui ont au moins une filiale ou un trust enregistré ici.
À quoi ça sert ?
À profiter des lois, de la stabilité politique et financière, et de la politique fiscale (taxe) du pays hôte ou encore des accords que celui-ci a signés avec d’autres pays. Si vous estimez, par exemple, que l’avenir de Maurice est incertain, que le pays va s’écrouler économiquement et que vous voulez convertir votre lump sum de retraite en dollars pour les placer dans une structure à Dubaï, vous pouvez. Mais cela coûte beaucoup ; ainsi, si vous n’avez pas des millions de dollars à protéger, ça vaut pas le coup… ni le coût. Autre exemple : saviez-vous que Maurice a pendant longtemps été le plus gros investisseur en Inde en termes de milliards de dollars ? Eh ben oui. Même les multinationales américaines ne faisaient que créer une boîte aux lettres à Maurice pour envoyer leur argent en Inde, via Maurice.
À l’époque, l’Inde ne taxait pas les investisseurs mauriciens qui venaient chez lui, puisqu’ils étaient déjà taxés à Maurice. S’étant rendu compte de cela, New Delhi a révisé son accord avec Maurice. Les Indiens n’allaient pas être le dindon de la farce éternellement, pas vrai ?
L’offshore, bon ou mauvais ?
Comme beaucoup d’autres choses, l’idée est bonne, les intentions étaient dignes, mais tout est parti en vrille quand certains ont commencé à en abuser, puisque la caractéristique primordiale d’une structure offshore c’est LE SECRET ! Un citoyen ne peut pas savoir qui est le bénéficiaire ultime des structures offshore. En revanche, si vous voulez savoir qui est actionnaire d’une compagnie locale, en deux clics c’est disponible c’est le site du Registrar. Sympa, non ?
Seuls les régulateurs savent qui sont les actionnaires et bénéficiaires ultimes des structures offshore. Mais ils n’inspirent pas confiance et ils sont soupçonnés d’être de mèche. Ben oui, c’est donnant donnant. Tu places ton fric chez moi, je ne le dis à personne, j’en prends un tout petit peu (moins que ce t’aurais payé en impôts dans ton pays), et on est tous contents.
Du coup, au lieu d’encourager le business «réel» entre les pays, l’offshore s’est transformé en une économie parallèle où l’on va secrètement cacher son argent dans des structures qui ne pratiquent absolument aucune activité dans le pays hôte. Les fiscs du monde n’y voient que du feu.
Il a été récemment établi que l’argent volé des États, angolais ou encore namibien, a été placé dans des structures et même des banques à Maurice ! Nous avons même eu droit à un trafiquant de drogue recherché pendant 10 ans par les autorités britanniques qui a pu créer un trust à Maurice et blanchir Rs 700 millions ! Si si ! C’est la National Crime Agency de Londres qui l’affirme.
Voilà pourquoi certains pays sont considérés comme des paradis fiscaux. C’est un paradis pour ceux qui veulent payer moins d’impôt dans les pays où ils vivent.
Tu vas nous dire enfin c’est quoi ces Pandora Papers ?
Attendez, il faut d’abord que vous compreniez une dernière chose : les management companies et les cabinets de conseil. Eux ce sont les facilitateurs. Maurice en compte une bonne centaine. Leur travail : conseiller les riches clients, souvent des milliardaires internationaux, qui veulent créer des structures offshore à Maurice, leur offrir des services de management, ou encore agir comme prête-nom pour eux. Oui oui ! C’est tout à fait légal. Une compagnie offshore peut écrire sur papier que Monsieur X est l’unique actionnaire. Mais Monsieur X agit, en fait, pour le compte de Madame Y.
Pandoraaaa, c’est quoiiii ?
On y vient enfin. C’est le nom donné à 12 millions de documents qui ont fuité de 14 management companies et cabinets du monde. Les journalistes de l’ICIJ ont fouillé pendant des mois et ce qu’ils ont découvert est ahurissant. Le nom Pandora Papers a été choisi parce que les journalistes estiment que c’est une boîte de Pandore. (Cherchez boîte de Pandore sur Google, on n’a pas assez de place dans ce journal pour tout vous dire, désolé).
Ils contiennent quoi ces secrets ? Eh bien, on a découvert que le- Président kényan, par exemple, a amassé une fortune de $ 30 millions dans des comptes offshore ! On a dé- couvert que Tony Blair (ex-PM britannique) et son épouse ont acheté une propriété de $8.8 millions en Angleterre. Mais en fait, ils ont simplement acheté la société offshore aux îles Vierges britanniques qui est officiellement propriétaire du bien. Du coup, les autorités immobilières ne savaient pas que Blair avait acheté la propriété. Le couple Blair a ainsi pu éviter de payer $400 000 en taxe immobilière. Elle est pas belle la vie ? Au total 330 politiciens du monde ont été débusqués.
Et des noms mauriciens, il y en a ?
Oui bien sûr. On a découvert que, Sattar Hajee Abdoula et Jaye Jingree, deux proches des finances du MSM, sont actionnaires dans les îles Vierges britanniques.
C’est leur fric à eux non ? C’est quoi votre problème, bande de fouineurs ?
A priori. On l’espère. Mais c’est suspect. Ils sont eux-mêmes des opérateurs du centre financier mauricien, pourquoi donc sont-ils allés si loin dans un paradis fiscal qui a très mauvaise réputation ?
Jaye Jingree a lui même utilisé un prête-nom. Ils ne veulent pas, de surcroît, nous dire les actifs que détiennent ces compagnies. Rappelez-vous, détenir de telles structures coûte cher. Vous pensez que la MRA devrait avoir le droit de savoir ou pas ?
J’ai entendu parler de Regula, c’est quoi ?
C’est la compagnie qui rend les activités de Sattar Hajee Abdoola et Jaye Jingree aux BVI encore plus suspectes. Ces deux-là ont échangé des actions avec Regula, soit pour devenir propriétaires de leurs compagnies ou pour vendre leurs compagnies. Regula a été créée par la Deutsche Bank aux BVI. Les autorités allemandes ont en 2018 débarqué dans la banque à Francfort – comme on mène une perquisition chez un trafiquant de drogue – pour saisir des documents car elles soupçonnaient la Deutsche Bank de blanchir de l’argent ou de faciliter l’évasion fiscale à travers la compagnie Regula ! La banque allemande a payé Rs 900 millions d’amende pour mettre fin à la procédure des autorités !
Sattar et Jingree, c’est tout ?
C’est déjà beaucoup ! Imaginez. Seules les données de 14 facilitateurs ont fuité. Imaginez le tsunami de dilo labou qui se répandrait sur la planète si on obtenait les données des dizaines de milliers de management companies du monde. Avec 14, on a chopé 330 politiciens. Avec une seule (Mossack Fonseca) dans l’enquête précédente de l’ICIJ intitulée Panama Papers, les Premier ministre pakistanais et celui de l’Islande ont dû démissionner. Grâce aux Panama Pa- pers, les gouvernements du monde ont pu récupérer un milliard de dollars en termes de taxe de ceux qui cachaient leur fortune. Avec les Pandora Papers, 17 pays ont déjà annoncé des enquêtes. Le Président chilien fait déjà l’objet d’un contrôle fiscal.
Enfin, pour répondre à votre question, non il y a une quinzaine d’autres mauriciens et une quarantaine de compagnies qui sont bénéficiaires ultimes des structures créées par ces 14 facilitateurs.
Pourquoi «l’express» ne donne-t-il pas tous les noms ?
Comme expliqué, tous ceux qui ont recours à l’offshore ne sont pas des suspects de crimes financiers. Nous prenons le temps d’étudier chaque dossier un à un pour trouver la pertinence de vous le révéler.
C’est tout ?
Non attention. Les documents révèlent aussi comment Maurice a ouvert ses portes financières à des milliardaires voulant fuir le fisc de leur pays et à des corrompus pour créer des structures offshore et même placer leur argent dans des banques mauriciennes. C’est ce que nous reprochent justement les instances internationales comme le GAFI et l’UE.
Est-ce que cela va jouer contre nous dans notre tentative de sortir des listes grise et noire du GAFI et l’UE ?
En principe non. Mais on ne peut pas savoir précisément quel sera l’impact des Pandora Papers sur les instances internationales.
Qui paie les journalistes de l’ICIJ ?
L’ICIJ ne compte qu’une quarantaine d’employés à temps plein qui travaillent comme chercheurs, analystes, data-journalistes, développeurs. Les 280 journalistes membres et les 320 autres ‘invités’ qui ont collaboré aux Pandora Papers ne travaillent pas pour l’ICIJ mais pour les médias de leur pays. Ils ne sont donc pas rémunérés par l’ICIJ.
L’ICIJ doit bien être financé non ?
Évidemment. Sur certaines enquêtes, l’ICIJ organise des ateliers physiques où tous les collaborateurs se retrouvent dans un pays pendant plusieurs jours, et cela a un coût. Il faut payer les employés à temps plein. Il y a ensuite des coûts technologiques. Juste pour digérer, stocker, partager en toute sécurité les 12 millions de documents des Pandora Papers par exemple, il faut compter $20 000. L’ICIJ est donc financé par des dons du public, mais surtout par des fondations et associations. La liste des donateurs de l’ICIJ est consultable sur le site web de l’ONG.
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