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Exploration marine: l’«Offshore Petroleum Bill» ou l’hypocrisie au plus haut niveau de l’État ?

28 octobre 2021, 22:00

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Exploration marine: l’«Offshore Petroleum Bill» ou l’hypocrisie au plus haut niveau de l’État ?

L’utilisation et l’exploitation de pétrole sont de gros producteurs de gaz à effet de serre, responsables du réchauffement climatique. Le Premier ministre va aller à la COP26 quémander de l’argent en certifiant l’engagement du gouvernement à réduire nos émissions de CO2, entre autres. Quelle logique? On apprend que les services d’une société française ont déjà été retenus depuis 20 mois et que quatre permis de «droits de propriété» seront alloués pour explorer et, éventuellement, extraire du pétrole…

Il y a à peine dix jours, le ministre de l’Environnement et du changement climatique prônait l’adoption d’une stratégie en faveur de l’économie circulaire. Mais au Parlement mardi, le même ministre a accueilli à bras ouverts un Offshore Petroleum Bill, qui régularisera l’extraction du pétrole dans nos eaux, tout en rejetant les craintes selon lesquelles cela ne se ferait pas dans le respect de l’environnement. Dans deux semaines, le Premier ministre se rendra à la COP26, à Glasgow, pour réclamer des dons financiers en certifiant l’engagement du gouvernement à réduire nos émissions de gaz à effet de serre et à bannir le charbon d’ici 2030. Pourtant, à l’Assemblée nationale, le même Pravind Jugnauth demande aux parlementaires de voter pour une loi qui, pour nombreux experts, participera à l’aggravation de la crise climatique dont le pays est victime.

Les membres de l’opposition ne sont pas les seuls à dénoncer ce qu’ils qualifient d’«hypocrisie au plus haut niveau de l’État». Les jeunes activistes de l’environnement, ainsi que d’autres citoyens, tentent de faire entendre leur voix à ce sujet, surtout après les interventions de Pravind Jugnauth et de Kavy Ramano. Ces derniers ont levé quelque peu le voile sur ce qui sera attendu si cette loi est promulguée.

D’abord, le chef du gouvernement a expliqué que quatre sites ont déjà été identifiés par la société française CGG, dont les services ont été retenus par le bureau du Premier ministre depuis février 2020… mais la décision n’est révélée que 20 mois plus tard. Ainsi, quatre permis de «droits de propriété» seront alloués pour procéder à l’exploration et, éventuellement, l’extraction du pétrole. Mais cette société spécialisée dans l’exploration du sous-sol n’a pas déterminé s’il y a bien des gisements du pétrole dans ces sites. Même s’il y en a, il n’y a aucune garantie que la quantité sera suffisante pour le commercialiser.

Pour Shaama Sandooyea, activiste pour le climat et les océans, l’exploitation du pétrole dans notre zone maritime relève d’une «privatisation de notre océan». Elle se demande comment le gouvernement compte faire pour bannir le charbon en 2030 alors que, simultanément, il introduit un tel projet de loi. À en croire le chef du gouvernement, c’était le «moment opportun» de venir de l’avant avec le projet de loi car les autorités sont en présence de suffisamment d’informations sur des choses à faire et à éviter après avoir observé d’autres pays qui se sont lancés dans cette voie. Qui plus est, il estime que Maurice dépend grandement du pétrole mais le fait d’en importer pèse lourd dans la balance, surtout avec les dépenses accumulées à cause de la pandémie du Covid-19.

L’autre point sur lequel le Premier ministre s’est attardé : ceux qui obtiendront les permis devront adhérer à des codes de bonnes pratiques et dans le respect de l’environnement. Mais cela a eu le don de soulever davantage d’inquiétudes puisque, visiblement, les autorités s’attendent au pire elles-mêmes. La preuve : elles mettent les bouchées doubles pour se préparer à une éventuelle catastrophe liée à ce projet de loi. Il y aura, par exemple, non seulement une assurance qui couvrira les dégâts encourus dans les zones marines du pays mais aussi une garantie bancaire qui rentrera en jeu si jamais les détenteurs des permis n’arrivent pas à «rectifier les dégâts causés à l’environnement marin».

Padma Utchanah, la présidente du Ralliement Citoyen pour la Patrie, accuse le Premier ministre de «réduire tout un peuple à la bouffonnerie». Elle rappelle notamment l’épisode du MV Wakashio et les leçons qui ne semblent pas avoir été retenues. Qui plus est, un rapport de l’International Energy Agency, publié en mai 2021, avait proscrit l’exploration marine du pétrole, la jugeant non conforme à la lutte contre le changement climatique. Joanna Bérenger craint aussi qu’avec les contradictions notées, l’engagement écologique à l’international soit compromis, surtout à quelques jours de la conférence sur les changements climatiques. Le géomorphologue Prem Saddul partage cette crainte et redoute même que Maurice soit accusé de «greenwashing» par des écologistes sur le plan international.

«Nous consommons plus de pétrole que nous en découvrons»

Selon l’auteur de «L’Indépendance en 2068», Jean-Luc Wilain, la découverte de nouveaux gisements coûte de plus en plus cher. «Elle est clairement en chute libre et ne compense pas la production» et «les recherches donnent de moins en moins de résultats». Dans son livre, le conseiller en stratégie durable compare l’évolution de la production de pétrole et le rythme de découvertes. Les conclusions sont sans appel, comme en témoigne l’extrait du livre. Le pic de découverte est passé en 1960 et depuis 1985, nous consommons plus de pétrole que nous en découvrons. En résumé, le pétrole, «c’est fini»…

Débats : Comme de l’huile (lourde) sur le feu…

Réduire les émissions de gaz à effet de serre de 40 % d’ici 2030. Et dépendre davantage de l’énergie verte. Ce sont, entre autres, les engagements que prendra Maurice dans le cadre de la COP26 qui se tiendra la semaine prochaine. C’est ce qu’a annoncé le ministre de l’Environnement, Kavy Ramano, au Parlement, ce mardi. Pourtant, ce même gouvernement envisage l’introduction de l’Offshore Petroleum Bill, visant l’exploitation des ressources dans la Zone économique exclusive (ZEE) et l’éventuelle production du pétrole.

Ce projet de loi controversé a été débattu en deuxième lecture, mardi. Selon Kavy Ramano, Maurice a une étendue de terre limitée et une ZEE, «c’est légitime pour un pays pour explorer ses ressources». Le gaz, par exemple, peut être une énergie de transition face au charbon, a-t-il ajouté. Pour exploiter les ressources naturelles, il faut avoir des garde-fous nécessaires. Ce projet de loi est en ligne avec le programme du gouvernement en matière d’économie bleue, a fait comprendre le ministre.

Les parlementaires ayant pris la parole n’y sont pas allés de main morte. «On veut réduire les émissions de gaz et en même temps introduire l’Offshore Petroleum Bill au Parlement. La semaine prochaine, le ministre de l’Environnement et le Premier ministre vont prendre des engagements à la COP26», a critiqué Reza Uteem, se demandant dans la foulée qu’elle est l’urgence d’un tel projet de loi. Il faudrait savoir si les prospecteurs ont une bonne connaissance dans l’exploration de nos eaux marines et si c’est viable financièrement, s’est demandé le député de la circonscription no 2.

«Ce qui est surprenant, c’est que les prospecteurs vont répondre à un exercice d’auction ou de tender. On connaît tous les lois sur le Procurement. Il peut y avoir des unsollicited bids ou même un accord G2G», a fait ressortir Reza Uteem. Il s’interroge sur la manière dont seront calculées les taxes sur les profits et aussi sur la formule qui sera négociée. D’autant plus que ce sera au Premier ministre, a-t-il précisé, d’examiner les missions d’exploration et de prospection.

Pour sa part, le ministre des Services publics, Joe Lesjongard, a parlé de l’importance des produits pétroliers dans notre vie de tous les jours. «Nous n’avons pas encore découvert du pétrole, mais il faut nous préparer. Il y a aussi une clause qui rassure la population comme la protection de ressources marines. Le timing ne coïncide pas avec la COP26 mais avec le Covid-19. Nous avons bâti notre économie sur le secteur touristique. Si jamais on découvre du pétrole, ce sera une manne en or pour le pouvoir d’achat des consommateurs», a-t-il affirmé.

Quant à Shakeel Mohamed, il devait faire ressortir que la découverte de ressources naturelles bénéficiera au pays. Il a même affirmé que beaucoup ont cité Trinidad et le Tobago comme exemple. «Là-bas, les informations sont publiques. Ici, c’est le contraire. Peut-on me dire comment cette loi est meilleure sans la notion de transparence. Cela peut mener à encourager la corruption à travers l’exploration. Ce projet de loi va permettre de cacher des informations, même basiques.»

Après une interruption d’une quinzaine de minutes suivant un point of order soulevé par le ministre Alan Ganoo, le député rouge a repris son discours. Il a demandé qu’on évite de créer un précédent avec les vides juridiques dans ce projet de loi. D’ailleurs, Shakeel Mohamed a questionné le fait que ce soit le Premier ministre qui décidera de tout concernant l’exploration pétrolière, voire de l’exploitation. Il devait préciser que cela doit être revu. Il suggère qu’un select committee parlementaire soit mis en place pour étudier les questions relatives à cette activité.

Par ailleurs, Joanna Bérenger a, elle, parlé de l’urgence climatique et des pays qui ont mis fin à l’exploration pétrolière. Selon la députée mauve, le gouvernement participe à l’aggravation du changement climatique. «Quelle crédibilité a-t-on pour parler du fait qu’on soit victimes du changement climatique… Ce gouvernement est insensible vis-à-vis de nos frères et sœurs du Sud-Est qui ont connu la catastrophe suivant le naufrage du Wakashio», a-t-elle souligné.

Et les dispositions légales sont opaques, a-t-elle déploré, car il faut que chaque Mauricien puisse bénéficier de cette exploitation. Joanna Bérenger a soutenu qu’il faut que des Mauriciens aient des actions dans un fonds souverain et ainsi recevoir des dividendes. Au sujet de la protection des activités, Joanna Bérenger se demande si les inspecteurs de l’unité qui surveillera les explorations ont la formation et les qualifications requises. Cela, alors que nos fonds marins et l’écosystème n’ont ni été étudiés ou cartographiés avant. Selon elle, la protection de l’environnement et des lois liées à l’environnement doivent être l’affaire d’une autorité indépendante.