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Sodomie: le combat de Ryan
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Sodomie: le combat de Ryan
Est-ce que l’article 250 du code pénal, qui criminalise la sodomie, est anticonstitutionnel ? C’est la question sur laquelle les juges de la Cour suprême devront statuer. Mardi, cette affaire, portée par Abdool Ridwan Firaas Ah Seek – connu comme Ryan – et soutenue par le Collectif Arc-en-Ciel (CAEC), a été entendue pour la première fois et les plaidoiries auront lieu début 2022. Retour sur ce qui a poussé ce jeune banquier, âgé de 31 ans, à défendre son droit à la liberté et à l’égalité…
«Je suis fatigué d’être pris pour un criminel», dit Ryan. En tant que membre de la communauté LGBT, il est las de vivre avec une épée de Damoclès sur la tête. «Avec un tel article dans nos lois, un jour, la police peut venir enfoncer ma porte alors que je suis dans l’intimité de quatre murs pratiquant un acte avec un adulte consentant.» Mais très vite, Ryan devient moins technique dans ses propos. Le sexe est aussi une expression d’amour entre deux personnes qui s’aiment et aller en prison pour cela n’est pas logique. «J’ai une carrière dans une banque internationale. Imaginez un instant qu’on m’arrête uniquement sur une charge de sodomie. Je perds tout alors qu’en réalité, je n’ai rien fait de mal.»
Certes, mais cette loi, même si elle revient sur le tapis à chaque débat sur l’homosexualité, n’est pas grandement appliquée. «Oui, c’est vrai mais la question n’est pas là», explique Ryan, sans perdre patience, avant de se lancer dans une explication qu’il a maintes fois donnée dans le passé. Les LGBT sont victimes de harcèlement, de discrimination, de sifflements dans la rue, de surnoms et même de violence. De plus, ils sont même traités de criminels. «Et ça, c’est la loi qui le permet. La sodomie est associée à l’homosexualité. Donc, les gens se permettent de nous traiter de criminels en se basant sur une loi. On ne peut donc même pas dénoncer les insultes à la police.»
Puis, il y a l’incohérence. La Constitution garantit l’égalité de tous les citoyens. L’Equal Opportunities Act garantit l’égalité, peu importe le sexe ou l’orientation sexuelle. Après, il y a cet article de la loi, datant de l’ère coloniale, qui criminalise un acte associé aux homosexuels. «Dès lors, je ne peux pas dire que je suis totalement libre dans un pays où je vis, je travaille et où je paie mes impôts. C’est une forme de discrimination.» Puis, de toute façon, lance le trentenaire, l’État n’a absolument rien à dire sur ce qui se passe dans la chambre de deux personnes consentantes. À Maurice, il est indéniable que la religion a une place importante dans la société et dès que le débat sur l’homosexualité est lancé, les citations de livres sacrés de tous bords fusent. Mais pour Ryan, ce n’est pas un problème. «Je respecte les religions de tous, je respecte les livres sacrés. Les gens ont le droit d’avoir une opinion contraire, mais comme je respecte leur point de vie, je m’attends à ce qu’on respecte ma vie aussi», réitérant que ce qui se passe chez lui n’est ni l’affaire des religions, ni celle des autorités.
Le déclic
L’article 250 a été décrié depuis des décennies, mais c’est la première fois que quelqu’un a décidé de prendre le taureau par les cornes et de tenter d’apporter un changement. Pourquoi ? Ryan remonte le temps. Il est issu d’une famille mixte, son père étant musulman et sa mère catholique. Il a grandi au sein des deux cultures. C’est lorsqu’il avait 13 ans qu’il s’est rendu compte de son attirance pour les garçons, et ce n’était pas un moment facile à vivre. «On s’attendait à ce que je joue au foot et que je porte du bleu. Du coup, c’était difficile d’en parler car sans repères, je me considérais comme pas normal.» Il s’efforçait même de ne pas regarder les garçons dans la rue car ce n’était pas ce que la société en général attend d’un garçon. Les années passent, et il découvre le CAEC. Il se rend compte qu’il n’est pas seul, qu’il y a d’autres Mauriciens homosexuels. C’est une révélation et dès lors, il commence à vivre…
Le tournant a été la Marche des Fiertés de 2009. Pour la première fois, il déambule dans la rue, librement, revendique ce qu’il est sans que personne ne le juge. Il se rapproche du Collectif et commence à s’impliquer dans la lutte contre les discriminations. En 2016, il intègre le board exécutif, devient vice-président en 2017 et président en 2018. Cette année a été charnière dans l’affaire en cour.
La Gay Pride de 2018 a été organisée sous la présidence de Ryan. Elle devait avoir lieu le 2 juin. Ce jour-là, alors que des centaines de personnes étaient au point de rendez-vous au Caudan, la police approche Ryan et lui explique la situation. Des centaines de personnes se sont rassemblées sans permission à la Place d’Armes et menacent les marcheurs de brutalités, si la marche a lieu. «Ils ne nous ont pas demandé d’annuler. Mais face à l’hostilité, ils nous l’ont dé- conseillé. Au début, je me suis dit qu’on peut manifester, ils font leur contre-manifestation et ça ira. Ce n’est que lorsque les policiers ont donné les détails sur le degré de menace de violence que j’ai compris l’ampleur de la chose», dit-il. La manifestation et les parades ont finalement eu lieu au Cau- dan. C’était un déclic. «Je savais qu’il y avait un problème à Maurice. Mais ce jour-là, j’en ai vu l’ampleur. Le problème s’était cristallisé devant nous.»
C’est à partir de là qu’il redouble d’efforts pour revendiquer ses droits. Plus question de laisser l’État ou les autres décider de ses pratiques ou des pratiques des autres. «Je suis humain, je n’ai pas de paillettes dans les veines, je n’ai pas de maladie. Il fallait que les choses changent», s’est-il dit à ce moment-là. Et c’est devant la justice qu’il décide de réclamer ses droits. L’affaire a été présentée en cour le 25 octobre 2019. Et cela n’a pas été de tout repos.
Déjà, c’était la première comparution du jeune homme devant un tribunal, et il concède que c’était intimidant. Mais comme il avait juré de dire la vérité, il a parlé de ce qui l’a motivé, de son histoire, des événements pas toujours agréables. «Ce qui m’a surpris, ce sont les good vibes tout au long de l’audience», et cela l’a un peu débarrassé de son stress initial. Il faut aussi dire qu’il était bien entouré. «Au fil des annees, mon entourage a évolué et je me suis retrouvé qu’avec des personnes qui me soutiennent. Je n’ai jamais forcé personne à le faire.» Souvent, lorsqu’il doutait et se sentait envahir par la fatigue, ses proches et amis étaient là pour lui. Leur meilleur conseil a été de ne pas avoir de stratégie. «Ils m’ont conseillé de dire la vérité. C’est ce que j’ai fait.»
Est-il confiant ? «Je prie pour un jugement favorable. J’ai foi en la justice. Ce n’est pas une question de gagner ou de perdre. C’est une question que tous les Mauriciens soient sur un pied d’égalité.» De plus, Ryan estime que tous s’enorgueillissent d’avoir une île Maurice moderne. «On voit les infrastructures. On a désormais le métro. La modernité est sur toutes les lèvres. À côté de ça, on a une loi archaïque écrite à une époque où les bien-pensants estimaient que le sexe était réservé à la procréation. Il faut moderniser cet aspect du pays aussi.»
Au-delà du combat, Ryan est aussi las. «Je suis fatigué d’être pris pour un criminel»…
Les avocats parlent de victoire
<p>Ryan est assisté d’un panel légal composé de Mes Gavin Glover, SC, Yanilla Moonshiram, et l’avoué Komadhi Mardemootoo. Après l’audience de mardi, Me Gavin Glover a déclaré qu’une affaire conclue en Cour Suprême à la première date à laquelle elle était fixée est déjà une grande victoire.<em> «Les dépositions du plaignant et de son témoin sont terminées. La partie défenderesse n’a pas appelé de témoin. Donc, les témoignages sont terminés. Il faut maintenant que nous faisions nos plaidoiries. Ce sera en février 2022»</em> a fait savoir l’avocat. «<em>Aujourd’hui, nous avons entendu que les faits et lorsque nous entendrons les arguments de droit l’année prochaine, ce sera encore plus intéressant à plaider»</em> a-t-il rajouté. <br />
Quant à Muriel Yvon, présidente du CAEC, elle a salué le courage de Ryan. «<em>Notre espoir est que la Cour Suprême relègue cette loi aux livres d’histoire et que le pays puisse finalement vivre à la hauteur de sa réputation de nation arc-en-ciel, où tous les citoyens sont égaux et la dignité de chacun est respecté». </em></p>
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<p><strong>La section 250 et la bestialité</strong><br />
Cette section du code pénal date de l’année 1839. Dans cette même section, il est question de sodomie et de bestialité. <br />
Sodomy and bestiality<br />
Any person who is guilty of the crime of sodomy or bestiality shall be liable to penal servitude for a term not exceeding 5 years. <br />
(2) (a) Notwithstanding sections 151 and 152 of the Criminal Procedure Act, where it is averred that the sodomy is committed on a minor or a physically or mentally handicapped person, the person charged shall, on conviction, be liable to imprisonment for a term of not less than 2 years.</p>
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