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Covid-19: trois hôpitaux et de multiples détresses

23 novembre 2021, 19:00

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Covid-19: trois hôpitaux et de multiples détresses

La situation est critique dans les hôpitaux de l’île. Entre angoisse des familles, burn-out des personnels soignants ou encore les décès qui ne cessent d’augmenter, la gestion de cette crise sanitaire est encore pointée du doigt. Reportage au sein de trois hôpitaux, submergés par les patients du Covid-19.

Il est environ 11 heures ce lundi. Première escale : l’hôpital Victoria à Candos. Comme tous les jours, le Covid Testing Centre de cet établissement est bondé de monde. Même si le masque cache la moitié des visages, l’anxiété se lit clairement dans les yeux de ceux qui sont venus pour se faire tester. Depuis 8 heures, confie un employé de l’hôpital, il y a déjà eu cinq admissions de patients ayant des symptômes sévères du Covid-19 dans cet hôpital. «Cinq, c’est seulement le nombre de ceux qui ont été admis. Il y a bien plus de personnes qui ont été testées positives et qui rentrent chez elles pour s’isoler», nous explique-t-il.

À chaque coin de l’hôpital à l’extérieur, la situation sanitaire est sur toutes les lèvres. Le personnel soignant, en pause déjeuner ou pour aller se faire vacciner (voir hors texte), ne cache pas son mécontentement et ses angoisses. Si en nous approchant, quelques-uns évitent la conversation, d’autres prennent le courage de s’exprimer en s’assurant cependant que leurs identités ne seront pas dévoilées. «Nous venons travailler chaque jour avec la peur au ventre. J’ai déjà été testée positive et j’ai infecté deux membres de ma famille, qui sont déjà très malades et vieux, il y a quelques semaines. Heureusement, ils ont survécu mais c’est pour vous dire à quel point nous sommes exposés et pouvons mettre la vie de nos familles en danger», explique une infirmière.

Ce qui cloche, avouera cette dernière, ce n’est pas le risque d’être infecté, car il s’agit de leur métier, mais c’est la manière dont on les traite. Un infirmier abonde dans le même sens. «On dirait que nous n’avons plus le droit d’être malades. Lorsque nous appelons parce que nous ne nous sentons pas bien, il nous dise ‘bé lerla kisanla ou krwar pou travay dan ou plas-la ?’ Et très souvent, même si ça ne va vraiment pas nous devons venir travailler.»

Pression psychologique

Sans compter qu’une grande majorité d’entre eux n’ont plus de départements fixes pour exercer. Mettre un PPE pour entrer dans une salle et le retirer pour aller dans une autre est devenu une chose courante, faite au moins trois à quatre fois dans une journée. En tout, nous confient les personnels soignants, sept salles sont dédiées aux patients du Covid-19. Deux sont des salles d’isolement et cinq abritent des patients infectés par le virus. Et cette cinquième salle a été installée pas plus tard qu’hier matin, avec la montée de cas positifs, qui demandent une admission ou des patients qui étaient dans une autre salle pour d’autres raisons de santé et qui ont fini par être testés positifs.

Une situation qui, disent-ils, engendre une véritable pression psychologique. «Le nouveau protocole, en lui-même, est une pression. Dorénavant, même si un membre de notre famille est testé positif, nous sommes obligés de venir travailler si nous, nous sommes négatifs. Sérieusement, ou pansé nou kapav travay ar pasian kan nou koné enn ou plisier membre nou fami infekté ? Non selman nou per nou donn malad nou mem bann pasian ki péna li é apré nou latet pa anplas», déplore un autre membre soignant.

Scènes déchirantes

Quelques kilomètres plus loin, à l’hôpital ENT, ce sont des scènes déchirantes auxquelles nous assistons. La tristesse est au rendez-vous. Assises vis-à-vis de l’hôpital, des familles attendent la dépouille de leur proche. Alors que quelques pas plus loin, d’autres viennent se poster devant l’hôpital en espérant que leurs proches puissent en sortir.

En effet, nous rencontrons plusieurs familles, le cœur déchiré et en colère. La raison : leur proche malade, admis dans cet hôpital, reste sans manger ou sans pouvoir se changer, parce que leurs sacs de nourriture et leurs effets personnels, apportés par leur famille, restent dehors au soleil sur un muret. Les familles donnent les sacs aux vigiles à l’entrée de l’hôpital et ces derniers, n’ayant pas le droit de rentrer à l’intérieur de l’établissement, déposent les sacs sur le muret, et ils restent-là pendant des heures.

Wasim Bhuheekhan, 36 ans, se retrouve dans cette situation. Son épouse a été transférée de l’hôpital Victoria à celui d’ENT dans la soirée de dimanche en raison de problèmes respiratoires. «Lorsqu’on l’a transférée ici à ENT, on a laissé tous ses sacs à Candos. Elle m’a appelé pour me le dire en rentrant à l’hôpital vers 21 heures. Elle n’a rien mangé à cause de ça. À 9 heures ce matin (lundi), j’ai ramené un sac avec de la nourriture et des affaires pour elle. Mais à l’heure qu’il est, 13 h 15, elle n’a toujours pas reçu le sac et n’a toujours pas mangé. Il y a aussi des produits hygiéniques dont elle a besoin», explique son mari, avec colère.

Il a d’ailleurs apporté un nouveau sac contenant de la nourriture, se doutant bien que les repas apportés plus tôt ont déjà tourné au soleil. Le sac est venu rejoindre les autres sacs sur le muret. C’est aussi le cas pour deux autres familles, qui sont venues après Wasim.

Gestion catastrophique

Des employés d’ENT, qui ont accepté de parler anonymement, expliquent que la gestion à l’intérieur de l’hôpital ENT est catastrophique. Tout comme dans les autres hôpitaux, le manque de personnel est à déplorer sans compter que des choses vraiment horribles se passeraient dans cet hôpital. Deux employés confient que l’histoire des chambres froides n’a pas été résolue. Pas plus tard que ce lundi, un patient décédé n’a pas été conservé en chambre froide jusqu’à aujourd’hui (mardi). «Il n’y a pas que cela, mais il y aussi des effets personnels des patients décédés qui disparaissent. Un homme a été admis d’urgence avec Rs 5 000 dans sa poche. Il a mis la somme dans ses chaussettes et a averti sa famille. Quand il est décédé, la famille n’a récupéré que Rs 1 500. Et cela, ce n’est qu’une histoire…»

Du côté de l’hôpital Jeetoo, on a droit à des scènes qui glacent le sang. En 45 minutes, trois corps de patients qui souffraient du Covid-19 ont été récupérés par les services des pompes funèbres, sous le regard peiné de leurs familles. Selon, un infirmier, le parking du sous-sol, qui donne accès à la morgue, connaît, depuis plusieurs jours, plus de cris de douleurs que de bruits de voitures. «Tou lé zours leker fermal. Ena bann fami pann trouv zot pros dépi plizier sémenn, pé vinn pran li dan sac aster. Li pa fasil.»

Selon des employés de pompes funèbres, en l’espace d’un jour, ils peuvent récupérer plus de dix corps dans un seul établissement hospitalier. Le total de 8 heures à 14 heures, hier, était cinq. «É ena ankor andan…» soupire un infirmier.