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Financer la santé publique au risque de fragiliser l’État-providence

1 décembre 2021, 22:00

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Financer la santé publique au risque de fragiliser l’État-providence

L’ère du Big government est de retour. La crise sanitaire, couplée à la crise économique et climatique, force les gouvernements à l’échelle internationale à dégager des milliards pour protéger les ménages, voire les entreprises, pour éviter une crise sociale avec des licenciements à la pelle. À Maurice, la réponse du gouvernement à la crise du Covid et de ses effets économiques a mobilisé jusqu’ici quelque Rs 150 milliards, soit plus de 30 % du PIB.

Visiblement depuis le début de la crise du Covid en mars 2020, le ministre des Finances, Renganaden Padayachy, comme tous ses homologues étrangers, a été confronté à un défi de taille : dépenser sans compter pour s’assurer que face aux effets dévastateurs de la pandémie, le soutien financier soit dirigé vers des victimes de la crise épidémique et par ricochet aux secteurs économiques financièrement à genoux. «Un gouvernement qui se respecte a la responsabilité de protéger la santé publique de sa population face à une crise sanitaire. Cela doit être sa priorité des priorités et s’il faut aller emprunter pour financer ses dépenses de santé, qu’il le fasse», lâche l’ex-gouverneur de la Banque de Maurice et ancien ministre des Finances, Rundheersing Bheenick.

Pour le moment, aucun chiffre officiel sur les dépenses de santé liées au Covid n’a été circulé. Toutefois, si l’on tient compte du budget de la santé pour l’année fiscale 2021-22 qui a augmenté à Rs 14,5 milliards, soit 3 % du PIB, il est évident que, conscient que la pandémie qui a mis à l’épreuve la résilience des systèmes de santé dans le monde entier, il s’est assuré de continuer «à fournir toutes les infrastructures et équipements nécessaires pour protéger le personnel et mieux répondre aux besoins de la population». Ce qui est la moindre des choses.

D’ailleurs, à l’heure du triomphe du Big government, force est de constater que les gouvernements à travers le monde ont multiplié les dépenses publiques pour faire face à la crise du Covid. À ce jour, on relève 17 trillions de dollars, représentant 16 % du PIB mondial. À elle seule, la première puissance économique mondiale, les États-Unis, a injecté 1,8 trillion de dollars pour consolider son État-providence alors que l’Europe a dégagé un plan de relance de USD 750 milliards au même registre.

Des chiffres qui donnent le tournis mais qui rappellent que la crise sanitaire n’a pas encore dit son dernier mot. La multiplication de variants du Covid, dont le dernier, Omicron, détecté en Afrique du Sud, interpelle les épidémiologistes et exerce nécessaire- ment des pressions sur les finances publiques des pays dans le monde, voire l’impact sur leur État-providence.

Or, les spécialistes se posent des questions: jusqu’où un gouvernement peut-il financer un système de santé au risque de fragiliser financièrement les fondements même de son État-providence ? Cependant, si celui-ci se résume généralement aux interventions de l’État dans le domaine social visant à garantir un niveau minimum de bien-être à l’ensemble de la population, notamment à travers un système de protection sociale, on l’oppose souvent, ces jours-ci, à l’État gendarme avec l’adoption dans le sillage de la crise sanitaire de certaines lois jugées liberticides. Et où l’intervention de l’État est limitée à ses fonctions régaliennes, celles relevant de la justice, de la police ou encore de la diplomatie.

Toutefois, le financement de l’État-providence est soumis à une crise de solvabilité en raison du ralentissement de la croissance et de l’augmentation des besoins sociaux mais aussi dans le cas de certains pays, d’une progression du taux de prélèvements obligatoires. Parallèlement, son fonctionnement est marqué par une crise d’efficacité avec les inégalités se creusant malgré l’effet redistributif de la protection sociale. Raison avancée : les dispositifs mis en place dans le passé paraissent de moins en moins adaptés aux besoins d’une société qui s’est beaucoup transformée avec les retraites et les politiques familiales.

Face aux menaces d’une dislocation de l’État-providence sous le poids de nouvelles charges sociales avec les dépenses conséquentes liées au Covid, l’économiste Georges Chung insiste que l’État peut, dans ces circonstances exceptionnelles, avoir recours à des dettes au-delà de ce qui était acceptable et même imprimer des billets pour payer ses obligations. «Aujourd’hui, même les pays les plus nantis comme la France et la Grande Bretagne ont des dettes qui dépassent les 100 % de leur produit annuel. Auparavant, une situation de dettes dépassant les 60 % valait au pays le qualificatif de mauvais gestionnaire. Si d’autres pandémies se manifestaient, on procédera, sans doute, de la même manière, à savoir s’endetter davantage et imprimer des billets s’il le faut.» Tout en rappelant philosophiquement que «l’histoire de l’humanité nous enseigne que les grandes crises et les grandes menaces à l’existence de l’humain ont toujours été suivies par des périodes de grande créativité et de progrès économique et social». Notamment dans le domaine médical où les grandes avancées médicales, dit-il, ont été réalisées au lendemain des grandes épidémies.

Si l’effet de la pandémie pèsera lourd sur le financement de l’État-providence avec le budget de la santé explosant dans les années à venir, il reste le phénomène du vieillissement de la population et la décision du gouvernement du jour d’aligner la pension de vieillesse à Rs 13 500 d’ici 2023, en hausse de Rs 4 500. Ce qui sera possible grâce, selon le ministre des Finances, à la réforme de la pension et l’avènement de la Contribution sociale généralisée, qui est venue remplacer le National Pension Fund. Bernard Yen, Managing Director d’Aon Solutions et actuaire de formation, soutient que la Basic Retirement Pension (BRP) représente aujourd’hui 7 % du PIB et passera à plus de 10 % en 2023 avec la hausse de la pension. «Si le gouvernement devra débourser au moins Rs 40 milliards pour la pension, soit presque un tiers du budget, on peut se demander quelle sera sa marge de manœuvre pour financer d’autres services, dont ceux de la santé. C’est un choix qu’il faut faire d’autant plus que, selon la Banque mondiale, le taux de la population des plus de 60 ans dans le pays devrait atteindre 25 % d’ici 2030 et 35 % d’ici 2058.»

Entre le coût financier d’une santé publique appelé à filer avec la crise épidémique condamnée à perdurer et l’urgente nécessité d’éviter l’explosion de l’État-Providence, le gouvernement marche visiblement sur la corde raide.