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Independent Broadcasting Authority Act: une loi qui fait couler beaucoup d’encre

5 décembre 2021, 16:00

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Independent Broadcasting Authority Act: une loi qui fait couler beaucoup d’encre

Le projet de loi, qui redéfinit les paramètres des radios privées, a été voté sans amendement au Parlement, mardi. Malgré la vague de récriminations de l’opposition, des journalistes, des juristes et de la société civile, la majorité a laissé éclater sa joie après le vote. Retour sur cette loi qui rebat non seulement les cartes du paysage médiatique, mais brouille aussi les pistes entre la sacrosainte séparation des pouvoirs qui est garantie par la Constitution.

«Review panel»

Jusqu’à présent, les plaintes étaient adressées au Complaints Committee de l’Independent Broadcasting Authority (IBA). Ce comité a été remplacé par l’Independent Broadcasting Review Panel, dont le fonctionnement hérisse les poils des juristes. Ce panel, qui se veut indépendant, sera présidé par un avocat avec au moins cinq ans de pratique et deux autres membres, tous trois nommés par le Premier ministre, d’où la remise en question de son indépendance.

Pour rassurer la population, les proches du pouvoir ont affirmé que l’avocat qui présidera ce panel devra suivre son code d’éthique. «Mais là, il ne sera pas avocat, il sera dans un poste administratif, donc le code ne s’applique pas. Prenons l’exemple des avocats au Parlement. Ils sont députés ou ministres, donc ils ne sont pas bound par le code», précise le professeur en droit constitutionnel, Rajen Narsinghen. Rappelons le cas de l’avocate Youshreen Choomka, chairperson d’alors de cette instance, qui s’était auto-recrutée comme directrice et l’affaire avait fini à l’ICAC. De plus, au board de l’IBA, siègent des personnes dont l’allégeance au gouvernement est indéniable.

L’avocat constitutionnaliste, Milan Meetarbhan, rappelle, lui, que d’autres instances, comme la Financial Services Commission, ont ce type de panel. Mais la différence avec celui-ci est cruciale. D’abord, les membres du panel de la FSC ne sont pas des nominés politiques et ensuite, ils se penchent sur des faits. «Prouver un délit financier repose sur des chiffres. Ici, on parle de déclarations à la radio, dont l’appréciation est subjective. La comparaison ne peut pas être faite car les différences sont fondamentales», dit-il.

Le directeur de Top FM, Balakrishna Kaunhye, fait ressortir qu’il n’y a pas de durée pour que le panel se prononce, ce qui peut poser un problème, car des décisions peuvent traîner en longueur. Lorsque ce panel décide de révoquer une licence ou d’imposer une amende, la sanction est en vigueur instantanément car la loi stipule que l’entité ne prendra pas en considération toute contestation en justice. Ici, Rajen Narsinghen et Balakrishna Kaunhye prennent tous deux l’exemple de Pravind Jugnauth. «Lorsqu’il a été condamné à 12 mois de prison et a fait appel, il n’est pas allé en prison car c’est le fonctionnement de la justice. Puis, quand le DPP a fait appel de son acquittement au Privy Council, il n’a pas démissionné comme chef du gouvernement.»

Usurpation de pouvoirs

Milan Meetarbhan avance, pour sa part, que lorsqu’il y a une contestation en justice, il est possible de demande à l’instance juridique d’émettre un ordre pour que la décision ne prenne pas effet tant que le judiciaire ne s’est pas prononcé. «Si cela n’est pas respecté, cela s’apparente à une usurpation du pouvoir judiciaire», explique-t-il, avant de rappeler que dans le passé, la Cour suprême a statué qu’une loi ne peut pas imposer qu’un suspect n’obtienne pas de caution. Dans la foulée, il rappelle que dans les années 1980, une Sri-lankaise enceinte de huit mois avait été expulsée alors que l’affaire devait passer en justice le lendemain, ce qui avait conduit à la démission du juge Robert Ahnee. Cette usurpation, dit-il, peut entraîner des conséquences graves.

Rajen Narsinghen revient sur la question en évoquant le cas de Top FM, qui a contesté plusieurs sanctions en justice. Selon la nouvelle loi, l’IBA peut tenir compte de ses anciennes décisions pour ne pas renouveler la licence de cette radio en décembre même si la Cour ne s’est pas encore prononcée. «Il y aura donc une usurpation des pouvoirs de la Cour suprême», affirme-t-il. Par ailleurs, il fait ressortir qu’une amende possible allant jusqu’à Rs 500 000 ou, la demande aux personnes convoquées de prêter serment n’a pas de sens car ce panel n’est ni un tribunal, ni un quasi judicial body. Mais il est stipulé que «a person summoned to attend or to appear before the Review Panel as a witness shall have the same protection, and shall (…) be subject to the same liabilities as a witness in proceedings before the Supreme Court». La comparaison de ce panel à la Cour suprême apparait d’ailleurs à plusieurs reprises dans cette loi.

Droit au silence

Devant ce panel, tout employé de radio convoqué devra répondre aux questions et s’il refuse «to take an oath before the Review Panel, or to answer fully and satisfactorily to the best of his knowledge and belief any question», il commettra donc un délit. Donc, le droit au silence lui est refusé. Sur ce point, Milan Meetarbhan revient sur d’autres instances, comme les commissions d’enquête, devant lesquelles il est interdit de ne pas donner des preuves.

Cependant, il précise que cela existe en droit pénal et dans d’autres facettes de la loi, mais la question qui se pose est à quel point cet aspect du droit pénal s’applique aux autres branches. Rajen Narsinghen revient sur le problème juridique que cela pose. L’article 17 de la Constitution garantit le droit au silence des suspects. Là, la convocation n’aura rien à voir avec un crime. «Donc, comment se fait-il qu’un journaliste, par exemple, aura moins de droits qu’un suspect ?» se demande-t-il.

Protection des sources

La base du journalisme est la protection des sources. D’ailleurs, sans cette protection, de nombreux scandales n’auraient pas été révélés au grand jour. Sous cette nouvelle loi, si un journaliste refuse de bafouer le code d’éthique journalistique devant l’IBA, celle-ci pourra faire une demande à un juge en chambre pour «disclose the evidence required, or communicate or produce any record, document or article needed». Lors d’un débat conjointement organisé par Radio Plus et Top FM, des membres du gouvernement ont évoqué la sécurité nationale et le terrorisme, même si dans les annales, il n’y a jamais eu de tels cas.

Cette pratique pourrait avoir un impact non seulement sur les radios, mais sur la presse dans son ensemble car la peur s’installera chez les whistleblowers. «Si l’amendement ne concernait que la sécurité nationale et la stabilité de l’État, il n’y aurait pas eu de problème», fait ressortir Balakrishna Kaunhye. Cette partie de la loi est, pour Rajen Narsinghen, en violation directe de l’article 12 de la Constitution, qui garantit la liberté d’expression. De plus, cette demande sera faite en l’absence du journaliste, qui n’aura pas les moyens de se défendre et, selon Me Roshi Bhadain, la majorité de telles demandes sont agréées. Certes, le juge pourra aussi demander que le journaliste soit présent pour se défendre, mais encore une fois, cela joutera une pression supplémentaire sur la profession.

Durée d’une licence

La licence émise par l’IBA passe de trois ans à un an. Dans aucun autre pays au monde, la licence d’une radio est accordée pour une durée aussi courte. Le directeur de l’ICTA aura beau comparer cette licence à «lasirans loto» et le Premier ministre aux stations-service, il demeure tout de même impossible de faire une prévision à long terme avec une telle menace.

Tout d’abord, Rajen Narsinghen revient sur l’article 8 de la Constitution, qui parle de «deprivation of property». Lorsqu’il y a eu des investissements, il y a automatiquement, selon lui, un droit acquis à la propriété. Une fois la licence émise, l’article garantissant la liberté d’expression entre en jeu. «La suspension, comme énoncé, sera faite sur l›ordre d’une administration gérée par des nominés politiques. Il peut y avoir une constructive breach de ces deux articles.»

Réagissant à cet effet, Balakrishna Kaunhye revient sur les problèmes que cela causera. Il cite, en exemple, les émissions qui s’occupent des problèmes du public. «Il y a quatre ou cinq animateurs avec des styles différents. Si demain, un maire ou un président de village portait plainte devant une instance gérée par des nominés politiques, les conséquences pourraient être graves et rapides. «Il faudra faire plus attention à ne pas froisser les personnes. Encore une fois, tout peut être très subjectif dans la manière d’interpréter les propos ou le ton des animateurs.»

En sus de la liberté d’expression, le directeur de la radio privée, qui existe depuis 19 ans, était dans un processus de renouvellement des équipements ces quatre dernières années. Le projet a dû être mis en attente. «Il n’y a plus de visibilité. Ce type de projet prend du temps car il n’est pas facile de revendre les équipements d’une radio.» Il y a aussi le côté humain, ajoute-t-il. «Est-ce que désormais, on devra recruter des journalistes uniquement sur un contrat d’une année alors qu’en ce moment, ils ont un contrat à durée indéterminée ?»

Questions à Nanda Armoogum, ancien directeur de l’information de la MBC et du contenu audiovisuel à l’IBA : «Dans toute régulation, des sanctions justifiées doivent être prises, mais sans nuire à la liberté d’expression»

Après de hautes fonctions à la MBC et l’IBA, Nanda Armoogum a été pendant trois ans chef de communication à l’Asia-Pacific Broadcasting Union en Malaisie. Aujourd’hui, chargé de cours à l’université, il livre son point de vue sur les amendements à l’IBA Act.

En tant qu’ancien directeur du contenu audiovisuel de l’IBA, comment accueillez-vous les amendements apportés à la loi ?

La nouvelle loi est promulguée. La balle est maintenant dans le camp de l’IBA pour la mettre en application et cela nécessite beaucoup de nuances, de tact et de flexibilité. Pendant presque deux décennies, l’IBA a fonctionné sous différents gouvernements et quatre Premiers ministres. Les radios privées sont toujours là. On n’a pas noté jusqu’ici des dérapages ou des sanctions sévères. L’IBA et les opérateurs jouent le jeu et se retrouvent souvent sur la même longueur d’onde.

Concernant les amendements, il y a trois aspects majeurs. Tout d’abord, les sanctions. Tous les professionnels qui sont passés à l’IBA le reconnaissent. On avait les mains attachées et notre marge de manœuvre, par rapport à d’autres instances régulatrices internationales, était limitée. En cas de transgression de la loi, deux seules sanctions existaient – la suspension ou la révocation de la licence. C’étaient des mesures extrêmes qui ne sont pas compatibles à un pays démocratique comme Maurice. Dans toute régulation, les sanctions justifiées doivent être prises mais sans nuire à la liberté d’expression.

Ensuite, il y a la confidentialité. L’article 18A semble être très sévère et nécessite, à mon avis, beaucoup de souplesse de la part des autorités. La confidentialité, voire la source d’informations, constitue un des piliers du journalisme. Le nouvel Independent Broadcasting Review Panel (IBRP) doit tenir compte du fait que le secteur des médias et de la communication évolue rapidement à notre ère digitale. Le nouvel environnement médiatique à travers le monde fait partie de la culture des gens. Une culture d’enrichissement et d’empowerment. Il y a urgence à moderniser les structures des organisations de presse. Lors de mon passage à l’IBA de 2011 à 2013, on notait un manque de synergie pour des raisons structurelles. Il y avait le Board, le Management, le Standards Committee et le Complaints Committee. L’IBRP, avec ses trois membres, permettra à l’IBA d’économiser des ressources et du temps. J’apprécie que ce panel sera présidé par un homme de loi et deux professionnels des médias. Je souhaite que l’IPRP opère en toute indépendance d’autant plus que la loi prévoit qu’en cas de non-satisfaction, un opérateur pourrait recourir à une Judicial Review en Cour suprême.

La majorité des acteurs du secteur parlent de loi liberticide. Votre point de vue ?

L’utilisation ou l’application de la guillotine n’est pas dans la culture de l’IBA. Les cadres qui se respectent sont conscients de la notion de liberté d’expression, qui est le droit pour tout individu d’exprimer librement ses idées. Mais c’est connu à travers le monde que la liberté d’expression n’est pas une liberté totale ou un droit absolu. Il existe plusieurs restrictions à respecter pour préserver la stabilité de la société. Donc, la liberté d’expression représente des limites à ne pas franchir. À l’IBA, on veillait de près tout dérapage relatif à la diffamation, l’injure, l’atteinte à la vie privée et le devoir de réserve de certains professionnels. Plus important, notre constant monitoring’ de tout sujet pouvant mettre en péril la sécurité nationale et les intérêts fondamentaux du pays.

De 2011 à aujourd’hui, une décennie s’est écoulée. Quels changements avez-vous constaté dans le fonctionnement et la composition de l’instance régulatrice ?

À mon avis, malgré deux décennies d’existence, la régulation audiovisuelle à Maurice est toujours dans sa période d’adolescence. Il faut impérativement passer à plus de maturité. Avec la nouvelle loi, les politiciens, la presse et d’autres observateurs auront le regard braqué davantage sur cette organisation. Depuis 2011, il n’y a pas eu de changement majeur dans sa composition. Mais on s’est tiré d’affaire. Avec la nouvelle loi, l’IBA ne peut plus être considérée comme le parent pauvre de l’audiovisuel. L’instance régulatrice doit quelque fois oser en allant au-delà de ses attributions. De concert avec l’ICTA, le Media Trust et le MCML, elle peut organiser des sessions de formation pour les journalistes audiovisuels. Elle peut aussi faire venir des professionnels étrangers en régulation audiovisuelle pour animer des conférences de haut niveau à Maurice.

Vous avez aussi eu une carrière internationale. Comment se passe la régulation du paysage radiophonique sur les autres continents ?

Chaque pays a sa spécificité. Dans des pays comme l’Angleterre (Ofcom), l’Australie (ACMA), la Malaisie (MCMC), l’Afrique du Sud (ICASA) et l’Inde (TRAI), la régulation des télécommunications et de l’audiovisuel se fait par une seule instance. En revanche, en France, l’audiovisuel est géré que par le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) tout comme au Maroc, (HACA) ainsi que la Jamaïque (Broadcasting Commission) qui sont les seules instances régulatrices de l’audiovisuel. Toutes ces institutions prennent l’engagement en tant qu’instance indépendante de régulation et de bonne gouvernance, à accompagner le développement du secteur audiovisuel national. Le but est d’offrir à leurs citoyens un paysage audiovisuel pluraliste, diversifié et de qualité. Il faut noter que ces organismes de régulation ne se contentent pas uniquement de surveiller et de sanctionner. Ils participent pleinement aux recherches technologiques et collaborent avec les opérateurs dans plusieurs secteurs, comme la formation et des consultations avec différentes instances, comme l’ITU et d’autres organisations régionales.

Vous dites, dans votre livre, «Hors antenne», que l’instance était entre de bonnes mains lors de votre passage en citant les différents comités et responsables. Aujourd’hui, non seulement ces comités sont annulés, mais la nomination des membres du «Review Panel» fait débat. Que pensez-vous de ces changements ?

À mon époque, des professionnels géraient l’IBA. Nous avions tous beaucoup d’expérience dans l’audiovisuel et même nos conseillers légaux avaient une formation en communication et en media law. Les consultations passaient très bien entre l’organisation et les opérateurs, en présence d’hommes de loi des deux côtés. Je souhaite que le Review Panel soit composé de vrais professionnels car il y va de la crédibilité de l’IBA et de l’image même du pays. Je pense aussi qu’avec la nouvelle loi, l’IBA doit revoir son code d’éthique, le code de la publicité et plus tard, les règlements pour les élections. Il faut que l’organisation envoie un bon signal aux opérateurs en les invitant à soumettre des propositions avant la publication de ces documents. Les consultations sont primordiales pour toute instance régulatrice.

L’expression souvent utilisée est «bouledogue sans dents». Aujourd’hui, on a conféré des pouvoirs à l’IBA. Est-ce une bonne chose ? Pourquoi ?

Depuis sa création, l’IBA a été confrontée à cette expression. Je crois que l’amendement de l’IBA Act is long overdue. Évidemment, les sanctions accordent désormais plus de pouvoirs à l’organisation. Les outils sont nécessaires pour travailler mais les maîtriser parfaitement requiert de nombreux facteurs, comme la compréhension du contenu dans divers contextes.

Globalement, quel est votre regard d’expert sur le paysage radiophonique mauricien?

Personnellement je me réjouis de tout développement de l’audiovisuel à Maurice. Je l’ai souligné dans mon livre comment les trois premières radio privées ont créé un nouvel espace démocratique pour les Mauriciens. Idem pour l’introduction de la technologie numérique à la MBC ou la retransmission en direct des travaux de l’Assemblée nationale. Le paysage radiophonique à Maurice se porte très bien. Nous devançons beaucoup de pays en Asie et en Afrique. En Inde, considérée comme la plus grande démocratie au monde, les radios FM n’ont toujours pas le droit de diffuser des informations. À leur frustration, le Prasar Bharati, qui regroupe les chaînes nationales Doordarshan et All India Radio, leur a proposé de diffuser les bulletins d’informations des chaînes publiques. Du coup à Maurice, les radios jouissent d’une bonne liberté dans la transmission de leurs émissions.

Qu’est-ce qui changera désormais ?

La nouvelle loi est désormais une réalité. L’IBA doit se mettre au travail en attendant l’institution de l’IBRP. Les radios sont toujours sur les ondes. Elles sont conscientes des dispositions de la nouvelle IBA Act. Des changements qui prendront du temps à être acceptés et mis en œuvre. Une affaire passionnante à suivre…