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Marclain Orieux: un enfant pauvre reconnaissant

12 décembre 2021, 20:36

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Marclain Orieux: un enfant pauvre reconnaissant

Ce Curepipien de 59 ans revient sur ses souffrances d’enfant pauvre, mais aussi sur ses émouvants souvenirs des voisins et amis qui ont aidé sa famille.

Ses parents quittent Mahébourg en 1965, alors que Marclain n’a que trois ans, pour s’installer chez ses grands-parents paternels à Curepipe. La maison étant trop petite pour les grands-parents, les parents et les cinq enfants, le père décide de louer pour Rs 60 par mois une toute petite maison en tôle rouillée à la rue Couvent de Lorette, Curepipe. L’hiver curepipien est rude dans cette bicoque et, en été, «c’est un véritable four», nous raconte Marclain. Alors qu’il n’a que 12 ans, son père abandonne le toit familial et on ne le reverra plus jamais. Sa mère doit élever seule ses cinq enfants. Elle est cueilleuse de thé et l’argent ne suffit pas. Avec Marclain, qui est le troisième enfant, elle va chercher le bois dans la forêt de La Vigie pour cuisiner et en profite pour cueillir des «brèdessonges, brèdes malbar etbrèdes martin pour faire bouillir la marmite».

La faim et le secours des voisins

Le souvenir le plus vivace de Marclain : la faim. «On ne demandait jamais à manger. On ne faisait qu’attendre, en regardant du coin de l’œil ce que maman avait pour nous. Même si on avait un repas, ce n’était pas suffisant. Et parfois, on allait au lit le ventre vide.» Marclain, qui est déjà très actif physiquement, souffre un peu plus de crampes d’estomac. Lorsqu’il ose demander encore, c’est presque toujours pour s’entendre dire que les casseroles sont vides.

L’extrême pauvreté de la famille attire cependant la pitié des voisins. Parmi eux, «MamaMala». «C’est elle, nous dit Marclain, qui était la plus gentille. Quand on l’entendait appeler ‘Mama Marclain’, on était tous excités car Mama Mala apportait des faratas chauds avec parfois un curry de légumes que nous dévorions en quelques minutes.» Vinod Deewoo, qui habite plus loin, vient lui aussi une ou deux fois par mois avec un repas chaud. Et que dire de la famille Jehangeer, qui leur apporte du briani ou autres plats.

Mais c’est l’élan de solidarité de ses jeunes camarades de classe à l’école de Wooton dont Marclain se souvient le plus. «Mes amis comme Reza, Saoud, Eric et N. partageaient souvent avec moi leur déjeuner.» Lorsque le gouvernement introduit vers 1970 la distribution gratuite de lait, pain, fromage et fruits secs dans les écoles, les enfants comme Marclain sont sauvés. L’attendant Beekharry double parfois discrètement la ration de Marclain et d’autres enfants dans le besoin. Reza, Saoud et N. prennent leur part pour ensuite la remettre à Marclain. «Je rentrais à la maison avec sept ou huit pains et autant de portions de fromage et de fruits secs. Ce sera le dîner de toute la famille. Jamais un pain ne partait à la poubelle.»

Médaillé d’argent en boxe

Et le lait ? Ses camarades prennent dans leur gobelet pour verser ensuite le contenu dans celui de Marclain qui ingurgite en cachette parfois jusqu’à quatre ou cinq tasses de ce lait chaud sucré, dont il se rappelle encore l’écume. Cette consommation de lait et de fromage explique-t-elle la forte constitution de Marclain ? Peut-être. Il faut savoir qu’il pratiquera par la suite toutes sortes de sports, comme le football, la course à pied et la boxe, discipline dans laquelle il remportera même la médaille d’argent aux Jeux des îles de 1990. En tout cas, sa force lui servira à exercer plusieurs métiers…

Toujours à l’école primaire de Wooton, Marclain se souvient avec émotion de l’instituteur Reshad Hoolass. Alors que l’on organise une sortie, Hoolass, qui collecte Rs 2 de chaque élève comme contribution, remarque que Marclain ne figure pas sur la liste. Lorsqu’il demande à ce dernier pourquoi il ne participe pas à l’excursion, Marclain lui avoue qu’il n’a pas d’argent. «M. Hoolass me dit alors de venir quand même car il paiera pour moi.» Lorsque nous racontons cet épisode à Saoud, un des camarades de classe de Marclain qui vit maintenant au Canada, il n’a pu s’empêcher de commenter : «Je ne savais pas qu’il avait un cœur d’or caché sous ses dehors sévères.»

Les farata de «Mama Mala», le pain de Reza et Saoud, le pique-nique payé par Hoolass, ce sont les meilleurs souvenirs de Marclain, qui reconnaît, philosophe, que s’il n’avait pas été pauvre, il n’aurait jamais connu la bonté des hommes. Il se souvient aussi des joies simples à l’approche de Noël. «J’allais couper une branche de sapin dans les bois pour l’installer dès le 15 décembre dans notre ‘salon’ (rires). Ensuite, moi, ma sœur et mes frères, nous allions récupérer de vieux journaux chez le voisin et couvrions les parois en tôle de ces journaux pas encore jaunis, ce qui contribuait à égayer la maison.» Et les visites aux voisins pour souhaiter Joyeux Noël et Bonne année, qui s’accompa- gnaient toujours d’un morceau de gâteau et d’un verre de jus !

Marclain, qui n’a lu ni Rousseau ni Hobbes, nous fera cette réflexion : «À cette époque (les années 60 et 70), les gens étaient beaucoup plus solidaires. On partageait avec les autres alors que maintenant on ramasse, on entasse pour se payer des produits de luxe. De nos jours, on ne vous donnera même pas un verre d’eau lors d’une visite !» 1975. La bicoque en tôle est rasée par le cyclone Gervaise. Toute la famille se réfugie chez «Mama Mala», qui les loge et les nourrit gratuitement pendant un mois jusqu’à ce que la maison soit réparée, enfin remise sur pied. En 1980, la maman de Marclain bénéficie d’une maison de l’ex-CHA, à Cité Malherbes.

Après le départ du père, sa grande sœur part en France en 1980, suivie de sa maman, qui s’y rend également pour refaire sa vie. Le grand frère quitte le toit familial en 1985. Marclain, âgé de 13 ans, se retrouve avec ses deux petits frères sur les bras. Il doit abandonner ses études secondaires pour travailler et nourrir la fratrie. Il devient boulanger chez les Joomun à la rue Couvent et se lève chaque matin à 3 heures pour travailler jusqu’à 11 heures. Il a droit, en plus de son salaire, à dix pains maison qu’il rapporte chez lui. Lorsque nous en parlons à Marclain, il nous rappelle qu’il n’est pas le seul à avoir dû abandonner ses études pour gagner son pain. Il nous cite le cas de son ami de classe Pyaré.

À la fermeture de la boulangerie, Marclain s’essaie à toutes sortes de métiers. Heureusement, le courage et la force ne lui manquent pas. Il sera maçon, plombier, charpentier et menuisier. Il travaille tellement pour s’occuper de ses frères qu’il n’a pas le temps de s’occuper de lui. Après le mariage et le départ de ses deux petits frères en 1988 et 1990, Marclain se retrouve seul pendant cinq ans jusqu’à ce qu’un ami lui présente celle qui allait devenir sa femme. Il se marie en 1995 et il a un fils lorsqu’il part seul en Israël, où il travaille pendant deux ans dans le service d’entretien d’un hôtel. Il rentre à Maurice en 2001 et il aura deux autres enfants. Il vit paisiblement enfin avec sa famille à Cité Malherbes.