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Molnupiravir: contradictions entre besoins réels et commandes

13 décembre 2021, 21:30

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Molnupiravir: contradictions entre besoins réels et commandes

Le ministre de la Santé aura beau évoquer l’urgence de la situation pour expliquer l’achat du médicament contre le Covid-19 à Rs 70 plus cher, il a été loin d’être convaincant car selon Jagutpal lui-même et le Premier ministre, les cas de contamination tendent à diminuer.

«Nou trouvé ki bann ka kontaminasion pé diminié», avait annoncé le Premier ministre, Pravind Jugnauth, lors de son allocution à la nation jeudi dernier. Le lendemain, au Parlement, le ministre de la Santé, Kailesh Jagutpal, avait affirmé que près d’un million de cachets de Molnupiravir avaient été commandés en urgence. Est-ce que la situation est aussi grave ? Et d’où vient le Molnupiravir acheté par le ministère ?

Au Parlement vendredi, le Dr Kailesh Jagutpal avait expliqué que le ministère avait passé une commande de 1 200 000 cachets de Molnupiravir avec un fabricant indien qui détient la licence de Merck. Cette cargaison, qui devait arriver entre la deuxième et la troisième semaine de décembre, était finalement attendue au pays le jour même de la Private Notice Question à la suite d’une requête du gouvernement. «En anticipation d’une augmentation dans le nombre de cas, dès le 24 novembre, le ministère a fait un autre appel d’offres pour l’achat de 800 000 cachets des cinq fabricants, à savoir Cipla, Dr Reddy’s, Em- cure, Hetero et Sun Pharma, qui ont la licence de fabrication du Molnupiravir générique de Merck et, le 7 décembre, le ministère a reçu une cargaison d’un million de cachets de Molnupiravir importés par CPN Distributors», avait-il ajouté. 800 000 autres, commandés par Mauritius Pharmacy, arriveront à Maurice le 15 décembre.

 Optimus Pharma ne détient pas la licence de Merck

Cependant, il s’avère que cette cargaison ne provient pas de ces cinq laboratoires, mais d’Optimus Pharma, un fabricant pas mentionné par le ministre au Parlement. Selon le Dr Farhad Aumeer, Optimus Pharma ne détient pas la licence de fabrication de Merck. «Il ne figure pas parmi les cinq compagnies. Et de ces cinq compagnies avec licence, il n’y a que deux qui peuvent exporter en Afrique», dit-il.

De là, plusieurs autres questions se posent. Optimus Pharma produit déjà les médicaments et CPN Distributors a fait savoir qu’elle pourra fournir le ministère tout de suite. «Kot linn gagn sa médikaman-la? Est-ce que la compagnie avait des informations sur l’obtention du contrat futur et avait déjà passé la commande des cachets malgré l’absence de licence de Merck et les avait stockés ? Lerla jakpot.» D’ailleurs, le Dr Srinivasa Reddy, le directeur d’Optimus Pharma, avait confirmé qu’il n’y a pas d’accord avec Merck et sa compagnie, mais qu’Optimus Pharma a développé sa propre composition du principe actif du Molnupiravir et le prix de production est de 0,4 INR par capsule. Les études menées sur ce médicament ont été concluantes.

«Où est l’urgence?»

Au Parlement, le Dr Kailesh Jagutpal a parlé de prévision d’augmentation des cas. Mais lors des deux dernières conférences de presse du ministère de la Santé, il avait affirmé que les cas sont en baisse. Certes, l’Omicron changera la donne dans un futur proche, mais la quantité de commandes en urgence fait tiquer plusieurs professionnels de la santé. Parmi eux, le Dr Vasantrao Gujadhur, ancien directeur des services de Santé. Selon lui, même en cas d’urgence, cette commande supplé- mentaire n’était pas justifiée. Et le calcul est simple.

Tout d’abord, il faut savoir que le Molnupiravir n’est pas administré à toutes les personnes positives. Les asymptomatiques qui, selon le ministère, sont majoritaires dans les cas positifs détectés par PCR et Rapid Antigen Tests, n’ont pas besoin de traitements. «Prenons tout d’abord le nombre de cas», dit le Dr Gujadhur. Selon les chiffres du ministère, il y a environ une cinquantaine d’admissions par jour dans les hôpitaux. «Puis, un worst case scenario voudra que 50 autres symptomatiques auront besoin de traitement en isolement à la maison.» Ce qui fait 100 patients par jour.

Le traitement au Molnupiravir 200mg est de quatre cachets, deux fois par jour, pendant cinq jours. Ce qui fait 40 cachets par patient. Avec 800 000 cachets commandés, il y a de quoi traiter 20 000 patients. Or, selon les communiqués du ministère de la Santé, il y a eu officiellement 22 461 patients positifs entre le début de la deuxième vague et le 10 décembre. «Sachant que le ministère affirme lui-même que la plupart sont asymptomatiques et n’a pas besoin de traitement, que va-t-on faire de tout ce stock ? Éleksion pou vini pou alé tou, pou ankor éna Molnupiravir», ironise-t-il.

D’ailleurs, Xavier Duval, lors de sa conférence de presse vendredi, avait sou- levé le même point, affirmant qu’en ce moment, le pays a officiellement 31 cas par jour et si tous les patients prennent le traitement, il faudra sept ans pour écouler le stock.

Qu’en est-il des délais de livraison ? La cargaison de Mauritius Pharmacy arrivera mi-décembre. «Les autorités elles-mêmes affirment que la situation n’est pas chaotique. Mais disons qu’il vaut mieux prévenir que guérir et il fallait un bridge order immédiatement jusqu’à l’arrivée des 800 000 cachets. Le ministère aurait pu alors émettre un tender uniquement pour avoir de quoi traiter les patients pendant 15 ou 20 jours.» Selon ses calculs, toujours basés sur le worst case scenario, avec 100 patients par jour, le ministère aurait eu besoin de 80 000 cachets pour tenir 20 jours. «Même à Rs 79,90, cela aurait fait un peu plus de Rs 6 millions», dit-il.

Le Dr Farhad Aumeer se demande lui aussi où était l’urgence pour commander une telle quantité à travers l’emergency procurement et répondre à une unsolicited bid. «Il y a certes une nécessité, mais pas d’urgence.»