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Industrie du bâtiment: hausse des prix intenable pour tous les protagonistes

12 janvier 2022, 22:00

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Industrie du bâtiment: hausse des prix intenable pour tous les protagonistes

Déjà sous pression, le bâtiment passe par des moments sombres et la situation ne semble pas s’arranger. Les augmentations de prix sur le marché mondial et local affectent non seulement les Mauriciens voulant construire, mais tout une industrie – fournisseurs, «contracteurs», promoteurs, architectes, ingénieurs métreurs et d’autres métiers et commerces – qui naviguent à vue, s’ils ne travaillent pas à perte. L’inflation continue de grimper, mettant plus d’un à cran. Même si la State Trading Corporation veut augmenter la compétitivité des prix des matériaux, la situation reste pénible et imprévisible…

C’est ce que l’on appellerait «tomber de Charybde en Scylla»... La crise, qui étend ses tentacules à quasiment tous les secteurs de l’économie, ne fait de cadeau à personne, si bien que la situation devient de plus en plus inquiétante pour l’industrie du bâtiment. En effet, l’augmentation du prix de la pochette de ciment en début d’année ne vient pas seule ; les autres matériaux nécessaires à un projet de construction souffrent du même fléau. Résultat, ce n’est pas le seul citoyen lambda qui se voit au pied du mur, mais toute une industrie, avec des métiers différents de milliers de Mauriciens, qui doit trouver des solutions au plus vite pour faire face à une situation de plus en plus difficile.

Voyons le contexte local. La roupie, dommage collatéral d’une économie à bout de souffle, a perdu 7,8 % face au dollar américain en une année et cette dépréciation ne s’arrêtera pas dans l’immédiat. N’oublions pas l’inflation, cauchemar des États à travers le monde, qui a atteint 6,8 % en glissement annuel à Maurice en décembre, selon Statistics Mauritius. Ajoutez à cela, la hausse du coût du fret, les perturbations dans la chaîne d’approvisionnement mondiale et tous les facteurs affectant l’importation, nous voilà bien partis pour série de hausses des prix dans les mois à venir.

En effet, l’indice des prix de la construction pour juillet à septembre 2021, démontre une hausse de 1,5 %, surtout à cause du prix du ciment en hausse de 4,3 %, de la barre de fer de 4,3 %, de la plomberie de 5,9 % et de l’aluminium de 3,4 %, entre autres. Pour le ciment et la barre de fer, l’on se souviendra des négociations entre le ministère du Commerce et les importateurs en septembre, afin qu’il n’y ait plus de nouvelles augmentations. Sollicité à ce sujet, le ministre du Commerce, Soodesh Callichurn, indique qu’en effet, de nombreux facteurs affectent le prix des matériaux de construction. «Les importateurs nous ont donné leurs raisons du besoin d’augmenter les prix et nous prenons bien évidemment en compte la conjoncture internationale. Cependant, nous avons considéré tous les facteurs pertinents et afin d’augmenter la compétitivité, il a été décidé que la STC sera un nouveau player et importera le ciment et les barres de fer pour donner le choix aux consommateurs et aux opérateurs. Pour ce faire, un appel d’offres international sera bientôt lancé.»

Il faut quand même mettre les choses en perspective. Prenons le ciment, son prix d’achat a connu une hausse de50 % en 24 mois pour les raisons mentionnées ci-dessous, qui font que les fournisseurs se sont vus obligés d’absorber ces coûts et de les passer en partie sur le marché local. «Kolos Cement Ltd absorbe depuis 2020 une partie de cette hausse. Sur ces 50 % d’augmentation depuis 2020, Kolos Cement a absorbé 22 % et passé uniquement 28 % sur le marché, en quatre reprises. La crise sanitaire a affecté la disponibilité des bateaux, des conteneurs et l’accès aux différents ports dans le monde, ce qui a eu un effet domino sur le prix du fret et la hausse sur les vaisseaux Supra max, spécialement indiqués pour l’importation du ciment. L’augmentation du coût du diesel est également un facteur non négligeable. Aujourd’hui, en 2022, il nous est de plus en plus difficile de continuer à absorber ces augmentations. Obliger les importateurs de ciment à vendre à perte ne résoudra pas les problèmes liés à la construction», explique-t-on à Kolos Cement Ltd.

En octobre 2021, Kolos Cement aurait été le seul opérateur à proposer une solution, Kolos One, le moins cher du marché, pour soulager les familles mauriciennes et permettre la continuité des chantiers des particuliers et des contracteurs. Ainsi, depuis novembre, la compagnie a mis sur le marché, 400 000 sacs de Kolos One. Quid des discussions avec les autorités ? «Lors de nos dernières rencontres avec le ministère du Commerce en septembre et octobre, nous avions déjà évoqué l’augmentation de janvier 2022. Nous avions convenu, avec les officiers, de faire une réunion avant la fin de 2021, pour discuter de cette augmentation. Malheureusement, ces réunions n’ont pas pu avoir lieu. Il faut savoir que nous avons émis, depuis septembre, des propositions pour éviter cette augmentation, dont nous fournir des devises étrangères à un taux préférentiel pour limiter l’impact de la hausse sur le marché local, enlever ou réduire la taxe sur les matériaux et compenser une partie du fret maritime.» En l’absence de ces mesures, ils ont dû passer une partie de ces augmentations de coût au marché local. Nous avons aussi contacté CEMENTIS, ex-Lafarge (Maurice), mais n’avions eu aucun retour à l’heure où nous mettions sous presse.

Outre le ciment, le prix d’une tonne de ferraille est passé de Rs 28 000 à Rs 48 000 en neuf mois. La main-d’œuvre, elle, représente 34 % des coûts de la construction, la proportion la plus importante dans un budget et les coûts journaliers ont grimpé de Rs 1 000 à plus de Rs 1 500, sans parler d’autres items, comme le bois et les planches de coffrage, entre autres. À quoi s›attendre pour la barre de fer ? Mahen Gowressoo, un des directeurs de Samlo Koyenco Steel Co. Ltd, nous fait comprendre que ce n’est que vers le 15 janvier qu’une décision sera prise concernant les prix; tout dépendra des différents facteurs qui risquent d’influencer le prix, dont un nouveau changement dans le coût du fret. Il précise que, pour le moment, il n’a pas augmenté ses prix, en ajoutant que la dernière augmentation du prix de la barre de fer remonte à octobre, mais qu’en décembre, le prix a baissé à Rs 45 500 la tonne, incluant la VAT.

En attendant, que ces changements soient dus au chamboulement sur le marché mondial ou aux facteurs locaux, les opérateurs en ressentent l’impact de plein fouet, à commencer par les contracteurs. «Tous les contracteurs font face à une situation extrêmement difficile. Petits et grands subissent la situation actuelle et en sont les seuls pénalisés. Ils sont coincés entre les promoteurs et les fournisseurs car la quasi-totalité de leurs contrats en cours sont à prix fixe. Donc, toutes les augmentations de coût des matériaux et de fret sont entièrement à leurs frais. Aujourd’hui, les contracteurs ne peuvent plus encaisser tous les imprévus et risques d’un projet», dit-on à la Building and Civil Engineering Contractors Association (BACECA). Au vu de la situation qui perdure avec la pandémie et l’impact sur l’économie mondiale, aucun professionnel du secteur n’est capable d’anticiper ces augmentations de coûts qui sont bien au-delà de toute prévision, prévient-on au sein de l’association. «D’où la nécessité urgente de revoir et de s’assurer que les conditions de réactualisation des coûts dans les contrats soient présentes et en adéquation avec le contexte économique. Même certaines multinationales ont du mal à gérer cette situation et pensent à se retirer de certains projets pour arrêter et limiter la casse. À Maurice, un petit marché, il y va de la survie de l’industrie de la construction.»

Projets revus et ventes en baisse

Autre conséquence, l’emploi. Il est opportun de rappeler l’enquête sur le marché du travail de janvier à avril 2021, commandé par le ministère du Travail et des ressources humaines. Il ressort que des 4 697 postes vacants durant cette période, les opérateurs du bâtiment des secteurs annexes étaient prêts à augmenter leurs offres de 21 %. Est-ce toujours le cas ? Quid de la tendance à la reprise du secteur ? «Il y a une double conséquence. Le coût du projet sera au-dessus des budgets des promoteurs qui ne s’y lanceront pas ou seront contraints de revoir leurs ambitions à la baisse. Quant au contracteur, ne pouvant absorber les augmentations, il mettra la clé sous la porte. Certainement, cette hausse de coût des matériaux de construction va plomber la tendance à la reprise et les recrutements dans le secteur», prévient-on à la BACECA.

Autres que les contracteurs, les architectes notent aussi un changement d’attitude de leurs clients qui avancent à tâtons dans leurs projets de construction. «Depuis 2020, le prix des matériaux ne cesse d’augmenter, ce qui affecte principalement les clients individuels. Nous avons observé que ces derniers, principalement pour une maison, réfléchissent à deux fois avant de s’engager dans un projet. Les demandes de nouveaux projets sont là, mais être capable de signer un contrat est une autre paire de manches. Nous conseillons nos clients sur le budget pour leur projet dès le premier jour, et nous constatons que de nombreuses personnes cherchent finalement d’autres solutions pour une résidence, à l’instar d’appartements, bâtiments résidentiels existants et même des constructions préfabriquées. Quant aux clients existants, ils revoient régulièrement leur projet et leur budget pendant la phase de conception. Il est important que lorsque nous concevons un bâtiment, le client puisse réaliser le projet dans le budget fixé, mais avec l’augmentation des matériaux, du carburant et du transport, nous devons souvent réévaluer le projet», explique Damien Ho, Managing Director de DHO Studio.

Pour faire aboutir leur projet, certains clients recherchent du financement supplémentaire auprès des banques alors que d’autres choisissent de réduire la taille de leur projet. «Nous avons également des clients qui s’engagent dans la construction de leur maison par étapes, car ils ont besoin d’un endroit pour vivre.» Certains Mauriciens se retrouvent même pris au piège ayant perdu leur emploi ou subissant une baisse de revenus, Covid-19 oblige, et certains doivent louer leur maison et aller vivre ailleurs pour rembourser leurs dettes.

D’autres métiers sont aussi affectés, comme nous l’indique cet ingénieur métreur (quantity surveyor) d’une firme privée. «Certains promoteurs vont hésiter à investir. Les contracteurs qui travaillent déjà sur des projets vont amortir leurs coûts car les contrats sont à prix fixe et pour les projets à venir, lors de la cotation, les contracteurs peuvent ne pas donner un fixed price mais inclure une fluctuation clause. C’est le quantity surveyor qui doit conseiller le client, mais avec une fluctuation clause, nous n’avons pas de visibilité sur l’augmentation dans les mois à venir, alors que le client est beaucoup plus rassuré lorsqu’il a un contrat à prix fixe. La banque aussi, quand elle va décaisser le prêt doit connaître le montant que le client va dépenser pour le projet.» Dans ce cas, l’ingénieur métreur, devant conseiller le client, se retrouve dans une situation délicate, car il doit aussi être juste envers le contracteur en tenant compte de l’impact de l’augmentation des prix sur le chiffre d’affaires de ce dernier en effectuant l’évaluation. Par ailleurs, si le secteur est impacté en général, une baisse du nombre de projets n’encouragera pas les recrutements dans le secteur.

Autre segment, la vente d’accessoires pour la maison n’est pas épargnée avec une baisse de la demande. Kenny Wong, directeur d’Eco Age, du marché de l’éclairage et des luminaires, note depuis le premier confinement, soit mars 2020, une baisse de la demande de ces produits. «De plus, le coût des accessoires tels que les lampes a également connu une hausse d’environ 25 % à 30 %, car les accessoires d’éclairage sont importés de Hong Kong et de Chine. Hormis l’augmentation du prix du fret, le prix du produit à la source a augmenté, sans compter l’appréciation du dollar.» Si certaines personnes, craignant une éventuelle hausse du prix des accessoires pour la maison en profitent pour faire leurs achats, il est constaté que d’autres personnes sont réticentes. Au niveau du magasin, avec l’augmentation des prix, le chiffre d’affaires est resté le même, mais en termes de volume de vente, une baisse est certainement observée.

Finalement, cette situation est un poids lourd à porter pour plus d’un et il est clair qu’une seule solution ne suffira pas. Toute une réflexion et une panoplie de solutions s’imposent donc...