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[Éducation] La parole aux jeunes: «Qu’on ait notre place à la table des discussions et décisions»

24 janvier 2022, 22:30

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[Éducation] La parole aux jeunes: «Qu’on ait notre place à la table des discussions et décisions»

Dans tout le débat sur la réouverture des écoles, on a entendu des syndicalistes, des enseignants, des recteurs, des parents, des professionnels de l’enfance, mais plus rarement, les principaux concernés. Il faut dire qu’ils sont très nombreux et ne forment pas un bloc homogène. Ils sont parfois partagés. En cette journée mondiale de l’éducation, laissons-les s’exprimer sur ce qu’ils attendent de l’enseignement, à dix jours de la reprise des classes en présentiel.

Cinq élèves, dans une interview croisée, témoignent de ces sentiments mitigés, mais d’un soulagement général, et fournissent des idées pour tirer parti de l’enseignement en ligne dans l’éducation traditionnelle. Ils ont tous le sentiment d’avoir été un peu sacrifiés et que le système éducatif et, au-delà, la société en général ne leur offre pas la stabilité nécessaire, étant davantage façonnée pour les adultes. Ils sont : trois élèves de Grade 12, membres du National Forum for Colleges Mauritius (NAFCO) Maurice, Mathieu Dacruz, élève du Collège du Saint-Esprit, président, Jade Lee Hon Chong, du Queen Elizabeth College, viceprésidente, et Yajna Seebaluck, du Queen Elizabeth College, co-présidente du comité santé et bien-être du NAFCO, ainsi que Malika Bernard, élève en première au Lycée des Mascareignes, et Hugo Sambat, en Grade 10 au BPS Fatima.

Maintenant que les écoles vont rouvrir, comment accueillez-vous cette nouvelle ?

Mathieu Dacruz (M. D.) :La réouverture oppose les jeunes. D’un côté, se trouvent ceux ayant les facilités nécessaires pour suivre les cours à distance et qui jouissent du temps non perdu dans les transports publics. De l’autre, se trouvent les psychologiquement épuisés, ceux pas assez encadrés pour s’asseoir devant un téléviseur toute la journée, ou simplement ceux trop modestes pour avoir les gadgets nécessaires. Quoi qu’il en soit des deux parties, je pense que ce débat surpasse toute préférence personnelle, c’est du moins mon message aux jeunes qui sont contre la réouverture. La question n’est pas «doit-on rouvrir les écoles ?», les vraies questions sont : «devons-nous donner le droit à tout enfant de la République d’avoir une éducation juste et équitable ?, devons-nous accepter le mal-être psychique de nos jeunes ?» Les réponses sont évidentes, elles ne se basent pas sur nos préférences mais sur nos convictions.

Yajna Seebaluck (Y. S.) : À l’annonce de cette nouvelle, je dois admettre que je me suis sentie appréhensive à l’idée d’avoir à rattraper le retard accumulé. Toutefois, c’est bien un sentiment de soulagement qui prévaut car on retourne enfin à un semblant de normalité. Se rendre à l’école en présentiel a toujours été la moyenne d’un sens d’équité quand il s’agit des ressources disponibles pour chaque élève; contrairement à l’enseignement en ligne où plusieurs élèves victimes de l’indigence se sont retrouvés en décalage.

Jade Lee Hon Chong (J. L. H. C.) : Mes sentiments étaient partagés. Au début, je n’étais pas sûre d’être prête à recommencer cette routine plus exigeante. Il est dur de digérer que nous avions presque fini l’année scolaire majoritairement à la maison et que nous devons soudainement nous rendre à l’école. Après un peu de réflexion, il est vrai que je voulais vraiment retourner à l’école et avoir à nouveau ce contact social. De plus, je suis ravie que la rentrée en présentiel soulagera les élèves défavorisés qui n’avaient pas les ressources nécessaires pour suivre leurs cours.

Malika Bernard (M. B.) : J’accueille cette nouvelle avec beaucoup de soulagement et je suis heureuse de pouvoir reprendre le chemin de l’école et de retrouver un lien social avec mes amis.

Hugo Sambat (H. S.) : Je suis très heureux d’apprendre cette nouvelle car je vais enfin pouvoir revoir mes amis.

Qu’avez-vous retenu de ces presque deux années d’enseignement à distance ?

M. D. : Aucun progrès, aucune avancée technologique ne pourra remplacer la touche humaine de l’éducation. Je parle là de l’éducation et non de cette instruction académique qui nous obsède tant, nous Mauriciens. L’instruction ne peut se faire par la machine ; une vaste partie de notre connaissance est acquise sur Internet mais la connaissance ne vaut rien sans valeurs humaines, sans baromètre moral. En 1932, la France change «l’instruction publique» pour «l’éducation nationale», car effectivement, l’instruction n’est qu’une infime partie de l’éducation.

J. L. H. C : L’importance de savoir gérer mon temps et de ne pas compter que sur l’école pour m’aider à avancer. De même, il est incontestable que même après tout ce temps, certains enseignants et élèves ne sont toujours pas entièrement équipés matériellement pour les cours en ligne.

Y. S. : Ce mécanisme d’apprentissage m’a poussée à apprendre à devenir plus autonome dans mes études et à faire mes propres recherches pour me préparer pour mes examens.

M. B. : Je retiens l’impact du social sur nous en tant qu’enfants, qui sommes très attachés à nos amis et proches, mais je retiens aussi la difficulté qu’on subit tous les jours avec des interactions rien qu’avec la famille proche ou à travers l’ordinateur.

H. S. : C’était un nouveau moyen pour nous, les élèves, de rester en contact avec nos études.

 Voyez-vous l’école de la même façon ?

M. D. : Pour moi, une école se doit d’être un centre d’acceptation culturelle, multiethnique, multidisciplinaire, et surtout un lieu de transmission de savoir-vivre, de savoir-être et d’acceptation. Une école, pour moi, façonne un être humain. J’espère qu’à l’issue de ces années d’apprentissage à distance, c’est la conclusion que nous en tirerons tous, particulièrement nos décideurs.

J. L. H. C.: Non. Y. S.: Certainement pas.

M. B. : Non, plus maintenant. Je sais qu’aller à l’école n’est plus quelque chose qui m’ennuie mais quelque chose dont j’ai besoin.

H. S. : Non, pas complètement. Beaucoup de choses ont changé. Déjà, nous devons être plus prudents.

 Y aurait-il des choses de l’enseignement en ligne que vous voudriez garder ou apporter à l’école en présentiel ?

M. D. : L’enseignement en ligne ne nous a pas ap- porté que du mal. Un mode d’apprentissage hybride où du matériel additionnel peut nous être envoyé et faciliterait les cours. Du contenu ludique, à travers des vidéos qui ne peuvent être visionnées en classe, peut être envoyé aux jeunes sur des plateformes telles que Google Classroom pour simplifier plusieurs concepts.

J. L. H. C : L’usage de la technologie, par exemple, les vidéos ou applications éducatives qui pourraient aider les élèves à mieux visualiser et comprendre ce qu’ils apprennent. Aussi, l’avantage de pouvoir se lever plus tard, qui a été scientifiquement prouvé, aide les étudiants, mais ceci est un autre débat.

Y. S. : Des sessions ne durant pas plus d’une heure par matière seraient au grand bénéfice des élèves, en comparaison avec les cours d’avant, qui duraient plus d’une heure et quart. Il est scientifiquement prouvé que la capacité d’attention d’un adolescent est meilleure dans une plage de temps de 45 minutes et cela nous empêchera de nous ennuyer. De plus, cela poussera les instructeurs à optimiser leur temps en classe.

M. B.: Non, je souhaite juste retourner à une vie scolaire comme avant la pandémie et sans toutes les mesures.

H. S. : Quand on faisait la classe en ligne, certains professeurs envoyaient des vidéos et ça nous aidait à comprendre. Je pense que ça doit continuer même si on reprend en présentiel.

Pensez-vous pouvoir rattraper ce retard, tant scolaire qu’émotionnel et social ? Comment ?

M. D. : Bizarrement, je pense que le retard académique sera le plus facile à rattraper. Est-ce cependant possible avant les examens ? La question se pose. Certains élèves pourront suivre les professeurs qui mettent les bouchées doubles pour expliquer ; mais pour les slow-learners, il y aura définitivement des problèmes de retard et de drop-out, comme le disait le Dr Harmon. Quant au retard et au manque d’interactions sociales, j’ai cru comprendre qu’il y aura des mesures pour du school-based counselling ; nous espérons cependant qu’elles seront bien implémentées. J’espère aussi que le ministère soutiendra des activités sociales et extra-scolaires des jeunes; ce sera une étape importante pour l’épanouissement des élèves après ce remote learning qui n’avait aucun aspect social.

J. L. H. C. : En termes de retard académique, je pense qu’il est possible de le rattraper avec suffisamment de dévouement et de volonté combinés des professeurs et des élèves. Socialement, cela dépendra de chaque individu. Moi, je n’aurai pas de problème. Cependant, le dommage émotionnel et psychologique est déjà fait. Nous ne pouvons que trouver des solutions et aller de l’avant.

Y. S. : Mes sentiments sont mitigés car beaucoup de camarades de classe, mais pas tous se sont adaptés tant bien que mal aux cours à distance. Toutefois, le dommage est fait quand il s’agit des relations interpersonnelles pour nombreux d’entre nous. Notre adolescence est une période cruciale où nous sommes appelés à former notre individualité. Mais comment sommes-nous censés faire cela quand la majorité du temps nous étions enfermés dans nos chambres sans contact social, vivant une vie sédentaire ?

M. B. : Le retard scolaire ne sera pas rattrapé mais cela ne nous empêchera pas d’avancer et de nous dé- brouiller comme nous le faisons depuis le début des cours en ligne. En ce qui concerne l’émotionnel et le social, cela risque de prendre du temps avec les plus jeunes mais nous, adolescents, on devient beaucoup plus introvertis sans problème ; alors je pense que reprendre des habitudes extraverties sera long, mais pas difficile.

H. S. : Malheureusement on ne peut pas rattraper le temps perdu mais le temps nous aidera à surmonter tout ça.

 Avez-vous l’impression d’être une génération sacrifiée par les adultes au prétexte des mesures anti-Covid ?

M. D. : Je ne dirais pas que notre génération a été sacrifiée par les adultes uniquement ces jours-ci et uniquement à cause de la fermeture des écoles. Définitivement, de meilleures décisions auraient pu être prises mais ce que je veux dire, c’est que le problème du sacrifice des jeunes est beaucoup plus vaste. Jour après jour, tant que les jeunes ne sont pas inclus dans les processus de discussions et de décisions, tant que nous ne sommes pas écoutés, ce sacrifice continuera. C’est un problème multisectoriel, ça ne touche pas que l’éducation. C’est le cas pour l’environnement, pour les arts et la culture, et pour tant d’autres secteurs. L’heure a sonné pour qu’on ait notre place à la table des décisions, sinon ce sacrifice continuera.

J. L. H. C. : Je ne dirai pas que ce sont des prétextes mais plutôt une excuse pour ne pas avoir trouvé mieux comme solution. Personnellement, ça a été dur de n’avoir eu que trois semaines de repos après un an et demi de School Certificate, juste avant de sauter dans la nouvelle année scolaire qui nous a demandé encore plus de travail acharné. Nous nous sommes sentis mentalement et physiquement épuisés. C’est certain que nous avons tous été bouleversés par les innombrables changements, tels qu’aller à l’école que deux ou trois fois par semaine, puis y aller quatre jours et finalement rester à la maison, sans compter notre inquiétude par rapport à la pandémie. Ce n’est pas évident de s’adapter à autant de changements en si peu de temps et de ne pas savoir à quoi s’attendre du jour au lendemain. Tout cela a eu un immense impact sur notre santé. Alors, c’est normal que nous nous soyons sentis sacrifiés et abandonnés. Nous avons surtout eu l’impression que les décisions prises étaient plus bénéfiques aux adultes qu’à nous.

Y. S. : Nous ne pouvons blâmer les autorités d’avoir fait de nous les boucs émissaires de l’enseignement en ligne, car c’était la seule solution appropriée face à la crise sanitaire à l’époque, afin d’éviter une «catastrophe générationnelle», comme l’a indiqué l’Unicef. Toutefois, cette solution pédagogique est loin d’être viable. La combinaison d’élèves atteints d’épuisement psychologique et d’enseignants inexpérimentés quand il s’agit des outils virtuels et plateformes numériques, est néfaste au bon encadrement éducatif des élèves ; et cela ne peut nous empêcher de nous sentir sacrifiés. Notre scolarité s’est faite en ligne à plusieurs reprises pendant ces deux dernières années et ainsi, je ne peux plus compter sur ce système éducatif pour me procurer de la stabilité, qui est nécessaire pour une bonne performance académique.

M. B. : On ne mérite pas d’être les seuls confinés. On doit rester à la maison pour suivre les cours. On n’a pas la possibilité de voir nos amis en prenant la voiture comme le feraient les adultes. Nous sommes plus limités en plus de ce droit à l’éducation dont nous avons été privés.

H. S. : Oui, car on est perdant par rapport à notre éducation. Plusieurs élèves ont perdu deux ans d’études et le système aurait dû être plus renforcé et efficace pour les classes en ligne