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Pierre Argo: «Nous construisons une société d’abrutis gavés d’exploits de la corruption !»

30 janvier 2022, 20:00

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Pierre Argo:  «Nous construisons une société d’abrutis gavés d’exploits de la corruption !»

C’est un homme passionnant qui se livre dans nos colonnes ce dimanche. Le nom ne vous dit peut-être rien, car nul n’est prophète en son pays, mais Pierre Argo est un artiste-peintre et photographe reconnu dans le monde. Décoré par la Société internationale des Beaux-Arts, ex-directeur artistique de plusieurs magazines internationaux dont Géo, il est aussi un très vieil ami de Serge Clair. Le Chef commissaire de Rodrigues sera un des gros sujets de notre conversation ; mais pas que… La politique mauricienne, l’art et la culture, la soi-disant nation arc-en-ciel, la montée de l’extrémisme sont autant de thèmes sur lesquels ce vieux sage de 80 ans s’aventure sans complexe, sans retenue et avec humour.

Pierre Argo, l’artiste oublié ?

(Surpris) Comment ça oublié

Les plus jeunes ne vous connaissent pas ?

(Il se détend et sourit)

Ah, mais ça c’est parce que les jeunes ne sont pas curieux. Passons sur ma personne. Le Mauricien en général ne connaît pas l’art et la culture. Le problème, c’est qu’il n’y a pas de plateforme à Maurice. Il y a juste quelques salles et c’est comme ça.

Vous êtes d’accord avec ceux qui disent qu’on confond hélas culture et religion à Maurice ?

Culte et culture. Oui. La culture est certes très liée à la religion, mais à Maurice celle-ci est plus vivace que la culture. Et, je vous l’accorde, pour beaucoup de nos décideurs, la culture, hélas, se limite à la pratique religieuse.

Pourquoi la culture, la vraie, est-elle importante dans le cheminement d’un pays ?

Prenons le cas de Serge Clair. Pourquoi a-t-il tenu si longtemps ? Parce que c’est un homme de grande culture. Il sait comment parler aux gens. Il sait comment s’adapter aux situations, quel langage tenir, comment se comporter. Il a beaucoup étudié la philosophie ; sujet qu’on n’enseigne pas chez nous. Or, c’est l’art de vivre.

La culture donne de la valeur à l’être. Elle le pousse à la créativité. Et celle-ci n’est pas qu’artistique. L’art rend créatif, et un amoureux de l’art peut devenir un créatif dans le domaine de la mécanique. L’art vous pousse à aller au-delà de vous-même. Et là vous devenez créatif. Vous avez envie d’écrire, de faire des phrases, d’esquisser des choses. Et en esquissant, des choses se passent.

Vous avez quitté Maurice au début des années 1980, vous avez eu une riche et belle carrière. Aurait-elle été la même si vous étiez resté ?

Certainement pas. Un artiste a besoin de vendre ses œuvres. Pour que ses œuvres soient vendues, il faut qu’elles soient vues. Dans les années 80, cette équation n’existait pas.

Aujourd’hui la situation a changé ?

Très peu. L’artiste n’a toujours pas de clientèle. Quand vous faites une expo, il devrait y avoir au minimum 4 000 personnes pour la voir. En France et en Europe, c’est un minimum. Pour ma récente rétrospective au Caudan, j’ai eu 5 000 personnes et c’est un exploit. Là encore, c’est parce que c’était au Caudan où il y a beaucoup de passages, de touristes, entre autres.

La faute à qui ?

À l’éducation. Dans les classes d’art, on devrait parler un jour de Michel-Ange, un autre jour de Leonard de Vinci, une autre fois de Chopin, puis de Rabindranath Tagore. À Maurice, vous pouvez demander à un tamoul s’il connaît la musique carnatique, et il risque de ne pas connaître. Pourtant, c’est le fond de sa culture. Il n’y a pas un oncle, une tante, un musicien, qui le lui a enseigné et il n’y a pas de concerts auxquels il peut assister. Nous sommes dans un désert.

Pourquoi ? À cause de nos décideurs ?

(Il hausse le ton et tape le bout de son index sur la table). C’est parce que nous sommes dirigés par des incultes. Et ça, vous le soulignez dans l’interview. (Il espace ses syllabes et parle plus fort). Nous sommes dirigés par des incultes. Nos politiciens sont des incultes depuis la nuit des temps. Regardez dans le monde. Même cette femme Le Pen que l’on considère comme une mauvaise politicienne. Elle est cultivée. Je ne vous donne qu’un exemple.

Mais un Mauricien qui va étudier en Angleterre, il ne va jamais dans les musées. Je connais beaucoup d’avocats qui ont étudié à deux pas du British Museum, mais qui n’y ont jamais mis les pieds. Ce n’est pas dans le réflexe ou les mœurs du Mauricien. Nous, on passe devant le Louvre sans s’arrêter. Au pire, on va regarder, voir un joli bâtiment, faire un selfie – c’est à la mode ces jours-ci – et repartir. (Il joue le sarcasme) «Alors t’as vu quoi au Louvre ? Oh tu sais, beaucoup de tableaux. Trop de choses pour te raconter…»

Un ami m’a dit qu’il aimerait aller au Louvre parce qu’il a vu ou lu Da Vinci Code. C’est pas mal déjà. Je l’ai accompagné avec joie. Ce n’est pas sa faute. Mais dans son cursus éducatif, pas une seule fois, le Louvre n’est mentionné. Nos politiciens sortent de ce cursus. Ils vont étudier ailleurs, reviennent à Maurice et quand ils n’arrivent pas à grimper vite, ils deviennent politiciens. Ils ne connaissent rien des bonnes choses de la vie. Pour eux, ce sont les lois, la constitution, le droit. La vie, ce n’est pas que ça. S’il n’y avait que ça, on deviendrait tous fous.

Vous n’avez jamais entrevu une lueur d’espoir que cela change ?

Mon grand espoir, c’était quand Joseph Tsang Man Kin est devenu ministre des Arts et de la Culture. C’est un homme très cultivé. Mais il n’a pas eu les moyens. Le problème aussi, c’est que son chef aurait dû lui dire : «Toi t’es un homme cultivé, tu as la liberté et le budget, vas-y.» Mais jamais le chef ne dit ça. Joseph a bat baté. Son héritage, c’est un monument à l’entrée de Curepipe, une belle pierre mais on ne sait même pas ce que c’est. (NdlR : le monument du millénaire à Wooton. Surnommé le monument de la honte dans la campagne électorale de septembre 2000).

Qui a été le pire ministre des Arts de la Culture ?

Ils étaient tous mauvais ! Nos politiciens sont des incultes, je vous le répète. Regardez Macron. Vous savez pourquoi il est arrivé là où il est ? Parce qu’il a été créatif. Il a su cheminer. Cette créativité, il la doit à sa culture. C’est un homme d’une grande culture.

Un Macron mauricien à l’heure où le MMM et le PTr négocient une alliance pour affronter le MSM, vous y croyez ?

Sérieusement. Voilà ce qui se passe avec les incultes. Alliances, divorces, nouvelles alliances ridicules... C’est vraiment ce qu’on mérite ? Je vais vous dire qui sera le Macron mauricien. Ce sera un créatif. Ce sera celui qui sera suffisamment créatif pour déjouer cette serrure de la pièce dans laquelle le pays s’est enfermé. Pour être créatif, il faudra être cultivé. Parce que sans la culture, nous sommes en train de construire une société d’abrutis, gavés uniquement d’exploits de la corruption donnée en spectacle quotidien par nos dirigeants, dont l’ego est aussi surdimensionné que la volonté de garder le pouvoir ou de s’y hisser.

Abordons l’autre volet de cette conversation, celui consacré à Serge Clair. C’est un homme qui vous est cher ?

 

C’était un ami de classe déjà. Je l’ai connu quand j’étais au collège Bhujoharry. On le connaissait déjà au collège comme Le Rodriguais. Il avait de gros mollets, son vélo n’avait pas de garde-boue. Il était très calme, on s’est perdu de vue, et je l’ai revu au retour du séminaire. On se voyait de temps en temps. Il venait me voir dans mon atelier à Rose-Hill, il grattait sa guitare, on chantait…

Vous imaginiez à l’époque la carrière politique qui l’attendait ?

Alors là non. Pas du tout.

Lui il savait ce qui l’attendait ?

Il savait qu’il allait laisser son empreinte. De cette manière-là, il ne le savait sans doute pas. Mais il est devenu prêtre pour aider Rodrigues. Il a fait des études très poussées en économie pour sérieusement aider son peuple. Mais malheureusement quand il est rentré, l’Église et Margéot (Ndlr : le défunt cardinal) lui disaient, «Ce n’est pas pour maintenant. Reste à Maurice encore un peu.»

Exaspéré, il a dit : «Que tu le veuilles ou non, je vous quitte. Voici ma soutane.»

C’est Serge Clair qui vous a raconté ça ?

Oui, bien sûr. Il m’a tout raconté. Vous savez, Rodrigues, c’est le centre de sa vie.

Certains diront que le centre de sa vie aujourd’hui c’est l’Organisation du peuple rodriguais (OPR) et le pouvoir. Vous êtes d’accord ?

Que voulez-vous, l’OPR, c’est sa création. Comment il a créé l’OPR ? Il est allé voir les vieux. C’est comme l’Africain. Allons voir les sages. Ces sages et Serge Clair sont devenus les fondateurs de l’OPR. Et son premier message était : «Peuple rodriguais, retourne à la terre.» Ce qui prenait complètement à contre-pied la fameuse formule du gouvernement pour contrer le chômage, Quatre jours à Paris. Les chômeurs étaient payés pour quatre jours de travail pour nettoyer les routes, et pour divers petits travaux. Serge Clair a cassé ça. L’avenir de Rodrigues pour lui, c’était le retour à la terre. Il a monté des coopératives et l’OPR a participé à ses premières élections en 1976 ; elle a perdu avec un très bon score, et le reste de l’histoire, vous la connaissez.

Serge Clair, c’est l’OPR, et l’OPR, c’est Serge Clair. Il ne sera pas candidat aux élections régionales. Vous accordez une chance de survie à l’OPR post-Serge Clair ?

Je n’en sais rien. Je ne dois pas non plus sous-estimer les autres. Il arrive que l’élève dépasse le maître, et j’espère que ce sera le cas. Il faut toujours rajeunir…

Justement. Serge Clair n’est-il pas resté trop longtemps, ce qui a miné le rajeunissement du leadership de l’OPR ?

Le problème, c’est que les militants et les délégués lui ont mis la pression pour qu’il soit là. Serge Clair aurait dû être parti tranquillement, il y a 10 ans. Il a des enfants, des petits-enfants qu’il ne voit même pas. Je n’ai pas arrêté de le titiller, «Bon Serge je crois que c’est le moment.» Vous savez, à chaque fois qu’il vient à Maurice, il passe me voir. Et il me répond (il imite joyeusement Serge Clair en prenant une grosse voix) : «Mais tu sais, ils me disent que je dois être candidat encore une fois. Remet sa ankor 5 ans.» C’est comme ça qu’il parle. Je lui dis «ils, c’est qui ?». Il me répond : «les gens de mon parti». Il avait 75 ans à l’époque. Je lui dis que c’est ridicule. «On dira que tu t’accroches au pouvoir. En plus, ta santé ne te permet pas.» Sa santé s’est récemment déclinée, mais depuis très longtemps sa santé était sur la pente descendante. Moi, ce que je voulais, c’est qu’il fasse une cure pour sa santé au moins. Parce qu’il se tue. À 5 h 30 du matin, il est debout et il reçoit ses mandants venus de loin à pied.

Pourquoi est-il resté ? Parce qu’il savait que l’OPR sans lui est voué à l’échec ?

Il ne m’a jamais dit ça. Aucun homme sage ne dirait cela.

Un homme réaliste peut-être que oui…

Peut-être qu’il le sentait. Mais je pense que c’est plutôt l’engrenage. Regardez, j’ai 80 ans. Si vous venez dans mon atelier, vous verrez le travail que je suis en train d’abattre. De grands tableaux, je m’amuse, je m’acharne. Quand vous êtes passionnés par quelque chose, vous tombez dans cet engrenage. Vous ne voulez pas abandonner. C’est cela votre vie. Cette… (on l’interrompt).

Adrénaline ?

Exact. C’est l’antidote du poison. Le poison, c’est la paresse, être tranquille et ne rien faire.

Mais c’est égoïste de sa part non ? Pour qu’il vive, le peuple rodriguais doit être gouverné par un vieux schnock !

Vous savez, c’est un homme simple. Il n’a pas de palace. Vous êtes allé chez lui et vous avez vu sa maison. Il a repoussé toute tentative de corruption. J’en connais pas mal. Il n’a pas la folie des grandeurs. Ce qui fait qu’il est resté un Rodriguais parmi tant d’autres. Alors que certains, à peine quelques mois comme chef commissaire, se sont construit des palaces. Et c’est le peuple qui a toujours décidé. Moi je suis un partisan de l’alternance, du changement et du rajeunissement. Les reptiles muent et changent de peau pour qu’ils gardent toute leur vivacité et rapidité.

Pour le palace, vous parlez de Johnson Roussety ?

Johnson est un homme très intelligent. Je l’aime beaucoup, mais il s’est fait brûler dès le départ. Bon, il fait un come-back, et j’espère que ça se passera bien pour lui.

Récapitulons. Vous êtes l’ami de Serge Clair. Vous dites ne pas être partisan de l’OPR. Quel est votre pronostic du verdict des urnes dans un contexte d’une op- position réunie face à un Serge Clair absent mais qui garde le contrôle…

Ça va être très serré. C’est trop tôt. Les élections se jouent à une semaine du scrutin. Dans la dernière semaine, il y a des tractations, etc. Duval m’a demandé qu’est-ce qu’il faut pour gagner les élections, j’ai dit : «Il te faut une coalition parfaite avec tout le monde.»

Il vous a demandé ça récemment ?

Oui, oui. Je lui ai dit, si tu n’as pas une coalition parfaite, tu vas te faire battre. Tu vas te faire ramasser. C’est ce que je lui ai dit. Ça va être serré. Cela dit, l’OPR est très forte. S’il n’y avait pas cette coalition, ç’aurait été un 12-0.

Même sans Serge Clair ?

Certainement !

Quel devrai(en)t être le(s) thème(s) centraux de cette campagne ?

L’île a besoin d’infrastructures, de routes. D’un centre de santé pour le diabète et un hôpital pour la cardiologie. La santé des Rodriguais s’est dégradée. Et puis évidemment, l’eau.

Le regard de ceux nés sur l’île principale (Maurice) sur le Rodriguais, a-t-il évolué ? La stigmatisation existe-t-elle toujours ?

Morisien inpe vantar. Le Mauricien se croit un être supérieur. Surtout vis-à-vis des Afro. Vous savez, à Rodrigues aussi, il y a de la discrimination. Il y a les Rouges et les Noirs. Serge Clair a été un leader rouge surtout pour les Noirs. C’est un rouge et personne ne s’en rend compte. Lui-même il ne le sait pas. Ça aussi, c’est une force de Serge Clair. Vous savez très bien que les Africains sont mal vus par les Mauriciens. Nous faisons partie de l’Afrique mais nous la connaissons pourtant si mal.

C’est un réflexe vis-à-vis des Africains ou simplement de la xénophobie ?

Les travailleurs indiens et bangladais subissent la même stigmatisation, non ? Un peu. Nous sommes insulaires et xénophobes ! L’insularité conduit à la xénophobie. On est cloîtré, entouré de la mer, et on se prend pour des dieux.

Si je vous demande, à 80 ans, de peindre votre ultime tableau et de l’intituler «L’île Maurice idéale», qu’est-ce que ce serait ?

(Il mime une peinture avec de grands gestes énergiques comme un enfant). Il y aurait toutes les couleurs. J’en jetterai abondamment. Ils seraient mélangés et conjugués, faisant l’amour, l’hymne à la joie…

Vous rêvez… Pour être candidat aux élections, il faut décliner son appartenance ethnique.

Parce que nous sommes déformés depuis très longtemps. Nous sommes de bons élèves des Anglais : cliver pour régner. En Inde, c’est aussi le cas avec le système de castes. Quoique ça ait un peu changé. En Angleterre aussi, ça a changé.

Et à Maurice ? Vous ne sentez pas plutôt une poussée extrémiste ?

À Maurice et ailleurs. C’est un phénomène mondial. Les extrémistes poussent partout. Est-ce que c’est de l’autodéfense ? Extrémiste contre qui et contre quoi ? C’est un extrémisme contre l’autre. L’extrémisme musulman est beaucoup plus connu. Mais l’extrémisme chrétien ? On n’en parle pas ? Il existe. Zemmour n’est-il pas un extrémiste chrétien ? Il ne veut pas de musulmans en France et en Europe. Tout le monde est en train de se dire qu’il veut mettre l’autre à la porte.

Vous avez peur de ce qui se passera derrière vous ?

Nous avons tout ce qu’il faut pour se rassembler et s’aimer, mais notre peur de l’autre, notre égoïsme conduit à la radicalisation et c’est dangereux. Dans notre pays, nous avons toutes les grandes religions, à l’exception du judaïsme. Et toutes ces religions sont subventionnées par l’État. Pour moi, c’est la source principale du communalisme. Si l’État paie pour le fonctionnement d’un temple, d’une église ou d’une mosquée, on encourage l’hindou à se rendre uniquement au temple, le chrétien à aller à l’église, et le musulman à la mosquée. Personne ne va au culte de l’autre et chacun se renferme sur soi. À la messe, vous n’allez pas rencontrer les vaish de Triolet !

Je ne suis pas en train de m’attaquer à la liberté religieuse, surtout pas. Mais ce processus-là nous écarte au lieu de nous réunir. C’est du grégarisme. L’État aurait dû, à la place, subventionner le vivre-ensemble ! Par exemple, une troupe théâtrale. Tous les vendredis, tous au théâtre. Dans la troupe, il y aurait de toutes les couleurs et de toutes les religions. On se voit, on se côtoie, on se lie d’amitié, on se marie. Mais là, il n’y a pas cette occasion pour que le peuple se rencontre dans des milieux culturels. C’est avec la bénédiction de l’État que cela se passe. La faute encore à ces incultes qui nous dirigent.

La nation arc-en-ciel, on en est loin ?

J’ai dit, une fois, à un politicien qui me parlait de la nation arc-en-ciel. Les couleurs de l’arc-en-ciel ne se mélangent pas. L’arc-en-ciel lui-même est un mirage créé par la position de l’eau par rapport à la lumière. C’est cela notre nation ? Un mirage éphémère où les couleurs ne se mélangent pas ? Un arc-en-ciel où le Premier ministre doit être un vaish ? Où le directeur d’Air Mauritius doit être un tamoul ? L’autre poste doit aller à un musulman ? L’autre à un chrétien ou créole ? La nation arc-en-ciel, c’est cette imbécillité ?

(On attend qu’il se calme). La pandémie, vous auriez imaginé ça un jour ?

(D’un ton sobre). Non, jamais. Je n’aurais jamais cru qu’un truc de cette envergure nous tomberait dessus. Et j’ai bien réfléchi. Personne n’est indestructible. Il y un enseignement que le virus nous a donné : «Vous êtes tous des faibles !» Une simple pandémie qui commande tout le monde. Tous. Toi avec ton argent, toi avec ta flotte, l’autre avec son armée, celui-là avec ses préjugés. Tous niqués ! Il a niqué tout le monde. Les gens ne réfléchissent pas encore. Ils se croient encore forts.

Coïncidence, à l’heure où l’on se parle, le Covid a fait son entrée à Rodrigues.

(Énervé). On a envoyé des gens pour y mettre de l’ordre et on y a envoyé le Covid. Rodrigues était un des seuls territoires au monde à avoir été épargné. On aurait dû imposer la quarantaine à tous. Même le commissaire électoral. Tous en quarantaine. Si le Premier ministre part demain, il part en quarantaine. C’est comme ça qu’on fait. La discipline ! Je sais que chez nous on laisse venir par avion des gens (il arrête sa phrase juste à temps pour ne nommer personne). Chez nous, on peut faire ça. Mais pas à Rodrigues. Voilà, on y envoie des policiers, des gens de Maurice sans «vraie» quarantaine. Les Rodriguais se sont aussi fait niquer. Ils ont résisté pendant longtemps. Simple connerie, ils ont baissé les bras et voilà le résultat…

La responsabilité de votre ami Serge Clair est engagée ?

Oui, il est toujours Chef commissaire à l’heure où on se parle non ? Rodrigues est autonome. Il aurait dû avoir imposé ses restrictions.