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Dans la presse du… 19 février 1989 │ Evénement au Domaine du Chasseur: les crécerelles sont de retour
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Dans la presse du… 19 février 1989 │ Evénement au Domaine du Chasseur: les crécerelles sont de retour
L’express du dimanche 19 février 1989 fait ressortir un heureux événement à Maurice. Les Mauriciens ainsi que les touristes étrangers peuvent désormais réaliser un rêve. Celui de voir évoluer en liberté des crécerelles, l’un des oiseaux les plus rares au monde.
Ce rêve devient réalité dans le sud-est de Maurice, à 400 mètres d’altitude, dans un coin perdu d’Anse-Jonchée, Grand-Port, un lieu connu depuis peu comme Le Domaine du Chasseur. Ces oiseaux de la famille des faucons ont accepté d’élire domicile en ce lieu de loisir, il y a à peine quatre mois.
La dernière fois que des crécerelles avaient été aperçues dans cette région du pays et dans les montagnes de Bambous-Virieux, remonte à 1945. Le responsable du Domaine du Chasseur, M. Alain O’Reilly, ainsi que Richard Lewis, un expert britannique en ornithologie, ont permis à L’Express d’admirer les crécerelles en liberté du Domaine du Chasseur.
Un soleil de plomb arrose, jeudi, le Domaine du Chasseur, lieu de prédilection pour les chasseurs de cerfs et de cochons marrons. Le Domaine est avant tout une immense forêt pleine d’arbres et de plantes indigènes dont plusieurs ébéniers. Il s’y trouve aussi des singes, des oiseaux, des cerfs et des chauves-souris.
Le Domaine du Chasseur, c’est aussi le bruit des fusils, des véhicules, des éclats de rire. Et pourtant, en ces lieux pas totalement isolés comme les gorges de la Rivière-Noire, une paire de crécerelles a créé l’événement.
Il y a quatre mois, une paire de crécerelles a pondu, à l’entrée du Domaine du Chasseur. C’est la première fois depuis 1945 qu’un oiseau de cette espèce pond en liberté dans cette partie de l’île et encore sans avoir été nourri comme il le faut. Si la femelle n’est pas bien nourrie (un lézard vert toutes les 16 minutes), elle ne peut pas pondre.
La démarche de cet oiseau a surpris les scientifiques tels que Richard Lewis. «We assume that Kestrel would live in big forests. I released them in a big forest at Ferney, but I would never hope that they will come here. It’s a big sign of hope.»
Richard Lewis scrute sa montre. Il est 14 heures. Il nous fait signe que c’est encore trop tôt pour voir les crécerelles car elles sont en train de chasser lézards, oiseaux pic-pic, caméléons.
Les crécerelles sont des carnivores. Elles se lèvent très tôt pour aller chasser. Quand la femelle a ses petits, c’est le mâle qui va chasser pour nourrir la famille.
Il est près de 15 h 30. Selon Richard Lewis et Alain O’Reilly, c’est l’heure propice pour voir les crécerelles. Outre la paire qui a pondu des œufs à l’entrée du Domaine du Chasseur, il y a encore 12 bébés crécerelles âgés de quatre mois qui vivent dans la vallée à l’est du domaine à 400 mètres d’altitude.
Le chemin qui mène vers ce lieu est rocailleux. Malgré tout la jeep blanche conduite par Richard Lewis pénètre dans cette vallée sans problème. Des deux côtés du sentier rocailleux, il y a des arbres immenses, des plantes et des fleurs sauvages, inconnus pour la plupart du grand public.
La jeep s’arrête tout à coup en face d’une maison en béton aux couleurs blanches. Rien ne la distingue des maisons des villes. «Nous sommes arrivés à destination. Je vais donner à manger aux crécerelles.» Le bruit de la jeep, les claquements de porte n’ont pas effarouché ces oiseaux, ni non plus la présence des étrangers.
On peut les admirer de près. Certains ont pris place sur une échelle en bois adossée à la maison inhabitée et sans fenêtres. Le regard vif, vorace et fier fait penser étrangement à l’aigle. Se sentant admirer, une des crécerelles sur l’échelle se met à gonfler ses plumes blanches tachetées de points marron, en poussant un cri de prédateur : «J’ai faim !»
Comme nourriture, Richard Lewis va leur offrir des souris blanches. On a fait spécialement venir ces souris d’Angleterre. On les fait se reproduire en captivité à Rivière-Noire afin de nourrir les bébés crécerelles. Mais les souris sont tuées d’abord car sinon elles seront dévorées cruellement par ces prédateurs.
Une souris blanche est envoyée sur le sol au bas de l’échelle et en un clin d’œil, une crécerelle s’empare de la souris morte avec ses pattes et s’en va en direction de la vallée. Une autre souris est lancée en direction des crécerelles. Une crécerelle fond sur la proie et se dirige rapidement vers la vallée. Surprise ! La souris est toujours là... Que s’est-il passé ? Richard Lewis explique que la crécerelle a cru à tort avoir attrapé la souris morte. «Au fait, cet oiseau n’est pas très intelligent. Par contre, le corbeau est l’oiseau le plus intelligent à Maurice.»
Après avoir donné à manger aux crécerelles ayant élu domicile à 400 mètres d’altitude, il est temps de penser aux trois crécerelles se trouvant à l’entrée du Domaine. La nourriture n’est pas envoyée sur le sol cette fois, mais en plein vol. En un clin d’œil, une des crécerelles saisit, à une dizaine de mètres de hauteur, sa nourriture avec ses pattes et s’en va se régaler parmi les arbres quelque part.
On ne les voit plus. Comment savoir où elles ont trouvé refuge ? Au moyen d’un émetteur qui a été soigneusement placé autour de la patte de l’oiseau. Richard Lewis est en mesure de savoir, au moyen d’une «Radio Traction», la position de l’oiseau dans un rayon de quatre kilomètres. L’antenne de la radio émet un «bip ! bip !» de signalement. L’absence de «bip ! bip» indique que soit l’oiseau a quitté la région, soit – et c’est plus triste – qu’il est mort.
Il n’y a pas que les crécerelles en danger. Il y a aussi la grosse cateau verte, le merle cuisinier, l’oiseau lunette, le pigeon des Mares. Tout est entrepris pour qu’ils échappent au malheureux sort du dodo. Il ne faut pas que les futures générations puissent nous reprocher de n’avoir pas su protéger ces oiseaux rarissimes.
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