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Quand Batsirai met la résilience économique à rude épreuve

9 février 2022, 15:15

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Quand Batsirai met la résilience économique à rude épreuve

Jusqu’ici, le coût financier du passage de Batsirai sur Maurice n’a pas été chiffré. Les spécialistes avancent un manque à gagner de Rs 1 milliard à Rs 1,5 milliard pour un jour chômé, forcé par les dangers d’une catastrophe naturelle. Entre les arbres et les pylônes électriques craqués sous les rafales de plus de 150 kilomètres de l’alerte 4 et les dégâts causés à la culture vivrière ou encore la mort d’un chauffeur de Triolet Bus Service victime d’un accident, le cyclone a visiblement fait des dommages collatéraux. En même temps, on ne peut occulter le fait que la reprise n’a pas tardé. En moins de 48 heures, la vie économique et sociale a repris ses droits…

Certes, il y a des raisons objectives pouvant justifier un retour à la normale en un temps relativement court. Et ce, face à un cyclone tropical intense qui, localisé à plus de 1 200 kilomètres au nord du pays pendant 48 heures, a exercé de fortes pressions sur les infrastructures physiques du pays, qu’elles soient des réseaux téléphoniques et électriques.

On est certes loin des années 80 et 90 où le passage d’un cyclone d’une même intensité pourrait paralyser le pays pendant une dizaine de jours et plongeant une bonne partie de la population dans l’obscurité. Tout en la privant des principaux services publics, comme les réseaux téléphoniques. Les spécialistes et autres observateurs de la société ont établi une comparaison entre Batsirai et un cyclone d’intensité identique, comme Hollanda en février 1994. Leur conclusion est une évidence qui saute aux yeux. «Avec Batsirai, le pays s’en est sorti sans de gros dégâts physiques. À l’époque, des maisons, des immeubles publics, les réseaux électriques et téléphoniques, sans Internet évidemment, n’avaient pas pu résister aux bourrasques de Hollanda. Les dégâts étaient immenses. Les activités sont revenues à la normale qu’après deux semaines», rappelle l’économiste Imrith Ramtohul.

Sans doute, il y a des facteurs que le commun de mortels peut comprendre. «Ce sont des investissements massifs avec des dizaines des milliards de roupies injectées par des régimes qui se sont succédé depuis une trentaine d’années dans nos infrastructures qui les ont rendues suffisamment solides et résilientes face aux violentes rafales cycloniques de la semaine dernière», soutient l’économiste Azad Jeetun. Lui, qui a participé en tant directeur de la défunte Mauritius Employers Federation à des réunions gouvernement-secteur privé pour des constats d’évaluation des dégâts matériels et physiques après le passage d’un cyclone, note que parallèlement à l’amélioration des infrastructures publiques en termes de routes, de fourniture d’électricité et de réseaux téléphoniques, c’est la qualité d’habitat qui a changé pour mieux résister aux effets cycloniques. Il y a eu, au fil des années, dit-il, de nouveaux modes de construction, tant au niveau des bâtiments publics que des résidences individuelles, où des maisons en tôles ont laissé place à celles en bétons, avec un éco système plus adapté à l’ère du temps, voire à la zone climatique de la région.

Structure diversifiée

Il va de soi que la résilience du pays face à une calamité naturelle de cet ordre s’explique aussi par la structure économique du pays, largement diversifiée, avec de nouveaux secteurs moins exposés aux aléas de la nature comme les finances et les Tics et aussi peu développé il y a une trentaine d’années ou plus. Si le secteur agricole demeure le plus touché de tout temps en période cyclonique, force est de constater que sur une période de trois décennies, sa contribution au Produit intérieur brut (PIB) s’est réduite comme une peau de chagrin. Il pèse aujourd’hui Rs 14 milliards et ne contribue que 2 % à la richesse économique nationale du pays. Il y a une trentaine d’années, il contribuait presque 9 % du PIB. «Il est clair, aujourd’hui, que l’agriculture demeure un secteur sinistré après le passage de Batsirai, plus particulièrement les cultures vivrières grandement affectées. Le gouvernement a sorti son chéquier pour compenser les planteurs au coût de Rs 600 millions. Mais c’est loin d’impacter la croissance comme dans le passé», souligne Imrith Ramtohul.

Anthony Leung Shing, Country Senior Partner chez PwC, partage la même opinion. Il estime qu’effectivement, la qualité des infrastructures couplée à une meilleure planification et gestion des risques affectant l’intégrité du réseau ont contribué à certainement à une meilleure résilience du pays face à Batsirai. «Il y a aussi la sensibilisation et le renforcement des capacités de la population civile qui se sont améliorés au fil des années et qui ont aidé à atténuer les perturbations potentielles. À mon avis, le changement dans nos habitudes avec le télétravail a été le facteur le plus déterminant pour aider le pays à rebondir rapidement, surtout dans le secteur des services. Même pendant l’avertissement de cyclone classe 3 et 4, de nombreuses entreprises ont pu continuer à opérer. Cela a été le vrai game changer».

En fait, le télétravail et son corollaire, l’Internet, qui n’a pas d’ailleurs subi l’effet Batsirai, ont permis à ce que ce soit «business as usual» pour certains opérateurs économiques pendant la période cyclonique. Ce qui amène un observateur à remarquer que sauf dans des entreprises où la présence d’une main-d’œuvre est physiquement nécessaire, il est fort à parier, dit-il, que si demain le transport en commun se trouve fortement paralysé avec l’absence d’autobus et de métro, ou les deux en même temps, notamment en cas d’une catastrophe nationale, l’effet sur la productivité au travail ne sera pas outre mesure affecté. Cela, grâce au concept de Work from home qui commence à s’imposer dans le monde du travail tant dans le privé qu’au sein de l’administration publique.

En attendant, le ministre des Finances, Renganaden Padayachy, souhaite renforcer la résilience économique en projetant d’investir Rs 65 milliards dans des projets prioritaires au cours des trois prochaines années, soit de 2021 à 2024. Dont une enveloppe de Rs 4 milliards pour moderniser davantage les infrastructures dans le cadre de l’Economic Recovery Programme axé sur la modernisation des routes, des infrastructures d’éducation et de santé, des équipements communautaires ainsi que des réseaux d’égouts.

Une urgence pour les décideurs économiques car, avec Batsirai, ils doivent être doublement conscients que les cyclones sont toujours d’actualité avec leur lot d’incertitudes et des dangers potentiels pour la population. Plus particulièrement les jeunes qui n’ont peut-être pas fait l’expérience d’un cyclone violent. Un wake-up call qui réveille les consciences car les changements climatiques entraîneront d’autres Batsirai doublement plus forts et qui pourraient mettre la résilience économique du pays à rude épreuve.