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Claude Wong So: «L’autonomie est une déception»

13 février 2022, 13:45

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Claude Wong So: «L’autonomie est une déception»

Ce natif de Rodrigues a aussi administré l’île autonome dans le passé. Dans cet entretien, Claude Wong So aborde l’éternelle problématique de l’eau à deux semaines des élections régionales où par ailleurs le nom du candidat de l’OPR au poste de chef commissaire n’a toujours pas été révélé. Il est aussi question de la situation sanitaire à Rodrigues avec la propagation du Covid-19.

Comme beaucoup de Rodriguais qui sont à Maurice vous suivez les prochaines élections de loin. Qu’est-ce que cela vous fait de n’être qu’un spectateur ?
Laissez-moi préciser que je ne suis pas enregistré comme électeur à Rodrigues. N’empêche, je comprends parfaitement ceux qui sont bloqués à Maurice. Je crois qu’il est temps que les électeurs rodriguais qui sont à Maurice puissent voter lors des élections régionales. S’ils sont venus à Maurice, ce n’est pas par choix, mais par obligation. Quelques-uns sont venus pour des traitements médicaux et d’autres pour un travail ou des démarches. Il y a également des étudiants. Ce n’est pas normal qu’ils ne participent pas à cet exercice démocratique. Quelque part, c’est fausser même l’esprit de l’autonomie et c’est aussi fausser les résultats des élections. Imaginez le nombre de personnes qui ne pourront pas voter le 27 février.

L’Organisation du Peuple de Rodrigues (OPR) encore moins l’alliance de l’opposition n’a révélé le nom de leur chef commissaire en cas de victoire. Est-ce normal ?
Pour toute élection, il faut connaître qui est le leader. La population doit le savoir pour juger si la personne est compétente ou pas. Imaginez que lors des prochaines élections générales à Maurice, personne n’est au courant qui est le candidat au poste du Premier ministre. Si j’ai bien compris, au sein de l’alliance de l’opposition, c’est l’Union pour le peuple de Rodrigues qui a le plus de candidats. J’ai cru comprendre que ce sera le chef de ce parti, Franceau Grandcourt qui est candidat au poste de chef commissaire. Chez l’OPR, c’est un gros point d’interrogation. (NdlR : Concernant Henry Agathe, qui est pressenti pour être chef commissaire en cas de victoire de l’OPR, son nom a certes été cité mais aucune annonce officielle n’a été faite en ce sens.)

Cette incertitude ne risque pas de créer une certaine tension ?
Tout dépendra des résultats. Si c’est très serré, bien sûr. Comme les élections ont été renvoyées, je crois qu’ils doivent annoncer qui sera leur chef commissaire pour éclairer la population.

L’OPR participe pour la première fois à des élections sans son leader historique. Quel sera son impact ?
Serge Clair a fait beaucoup pour Rodrigues. Il a su assurer la cohésion au sein de son parti et de son gouvernement grâce à sa forte personnalité. Il a été suivi par la population. Son absence lors de ces élections aura certainement un impact. C’est dommage qu’il n’ait pas annoncé son successeur. Ce n’est pas correct.

Vous ne pensez pas que s’il le fait, cela risque de créer une friction au sein de ce parti ?
Non au contraire. C’est aux membres de son parti d’accepter une personne qui fait l’unanimité. En tant que leader de l’OPR, il aurait dû promouvoir quelqu’un qui est accepté par tout le monde. S’il ne le fait pas maintenant , croyez-moi , plus tard, il y aura une grande bagarre quand Serge Clair ne sera pas en mesure d’assurer cette cohésion.

Vous avez administré Rodrigues. L’île est autonome depuis 20 ans, mais le problème d’eau et des services de santé demeure le même. Pourquoi ça bloque?
J’ai été Island commissionner et le premier Island Chief Executive quand l’île est devenue autonome. Tous les Rodriguais étaient fiers et moi de même. Ensuite cela a été la déception, tous les gouvernements qui sont arrivés ont mis Rodrigues dans un ghetto. Le développement du pays a été mis de côté. Ils ont pris de petites décisions pour faire plaisir à la population ou pour leur propre intérêt. Il n’y a pas eu de vision pour le long terme.

Expliquez-nous. Il fallait une vision à long terme pour que Rodrigues puisse être économiquement indépendant. Combien d’argent l’île a géré de 2002 à 2022 ?
Peanuts. Il fallait un système dans lequel Rodrigues pouvait gérer des revenus tout en faisant partie de la République. Il fallait une ouverture sur l’extérieur avec des entreprises qui s’implantent à Rodrigues tout en respectant les lois de la République. Combien de business se sont implantés à Rodrigues ? Je peux les compter sur les doigts d’une seule main. Je suis peut-être dur, mais avec le câble optique, on aurait pu en profiter. On aurait pu miser sur l’économie bleue.

«Le budget accordé à Rodrigues est bon sauf que chaque année, l’argent est utilisé pour les mêmes dépenses.»

Si Rodrigues n’a pas progressé, c’est à cause du problème d’eau. Il y a eu des décisions politiques, mais peu de décisions scientifiques pour régler ce problème. Il fallait construire des barrages après des études pour capter l’eau de pluie qui se perd en mer. Le dessalement a été une solution immédiate et pour le court terme pour un problème qui durera si rien n’est fait scientifiquement. Ce n’est pas la solution car Rodrigues n’a pas l’expertise pour gérer des stations de dessalement. Ces appareils tombent en panne après quelques années. Quand j’étais enfant, je consommais l’eau des rivières et des barrages. Au lieu d’investir Rs 4 milliards pour une nouvelle piste d’atterrissage et je crois que ce projet ira même jusqu’à Rs 7 milliards, je pense qu’on aurait pu investir cet argent dans l’eau. J’étais un cadre de l’Airport of Rodrigues Ltd, je ne dis pas que cette piste d’atterrissage n’est pas importante, elle le sera quand des avions d’Asie et d’Australie auront le droit d’atterrir à Rodrigues, mais pour l’immédiat ce ne sera que pour des vols entre Maurice et l’île de la Réunion.

Donc, le problème c’est le budget accordé à Rodrigues ?
Le budget accordé à Rodrigues est bon sauf que chaque année, l’argent est utilisé pour les mêmes dépenses. J’étais un haut fonctionnaire à Rodrigues. Je suis bien placé pour le dire puisque je viens de faire un calcul. Savez-vous que pour faire fonctionner l’Assemblée régionale de Rodrigues uniquement, il faut parler de dépenses en milliard de roupies ? Il faut plus de Rs 50 millions supplémentaires pour les voyages, les dépenses et les employés des commissaires. Autrefois, tout était fait par l’Island Commissioner. Pour revenir à ce que je voulais dire, il faut accorder la priorité à l’eau. Ce n’est pas normal que l’eau ne coule qu’une fois par mois.

Depuis quelque temps, nous entendons dire que tout est politisé et les proches du pouvoir en profitent. Est-ce que c’est vrai ?
Vous savez à Rodrigues, tout le monde se connaît. Donc, pour n’importe quelle affaire, une personne va voir un politicien ou les proches d’un politicien pour accélérer les choses. Donc, c’est ainsi qu’il y a la perception que tout est politisé. Cependant, comme dans n’importe quel pays, ce sont les proches du pouvoir qui en profitent le plus.

Le renvoi des élections est-il justifié ?
C’est une décision prise par Pravind Jugnauth en consultation avec la commission électorale. Je pense que la décision aurait dû être annoncée bien avant six jours car cela a généré quelques problèmes.

En tant qu’ancien administrateur de Rodrigues, pensez-vous que le dossier Covid-19 est bien géré ?
Pas de doute. Le patient-zero a été contaminé par quelqu’un qui est arrivé de Maurice. L’île a été bien protégée à un moment. Cependant, le gouvernement régional aurait dû insister pour maintenir cette surveillance. Il aurait dû insister pour que tout le monde qui entre dans l’île passe par la quarantaine. Il ne fallait pas céder. Le gouvernement central et l’Assemblée régionale de Rodrigues sont à blâmer. Désormais, le ministère de la Santé doit venir nous dire qui est le patient qui a contaminé toute une île. D’après mes renseignements, les Rodriguais vivaient avec le Covid-19 avant la détection officielle du premier cas. La commission de la Santé aurait dû faire des tests sur toutes les personnes suspectées d’être porteuses du virus. J’ai appris qu’il y avait des écoliers avec de la fièvre avant la détection du premier cas, mais ils n’ont jamais été testés.