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Éducation: des «grands-mères» et des «grands-pères» à l’école…

13 février 2022, 21:00

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Éducation: des «grands-mères» et des «grands-pères» à l’école…

L’extension du troisième trimestre jusqu’en novembre et l’application du calendrier d’avant le Covid-19 en 2023 laisse certains sur le banc de touche. Enfants, parents et pédagogues s’inquiètent de la perte d’une année supplémentaire avec les chamboulements causés par la pandémie. Qu’implique ce retard sur le niveau de l’apprentissage ? Qui sont les plus touchés par l’avancée en âge et une scolarité qui perdure ?

«Mon fils a déjà eu 6 ans en 2021. Et il devra rester en Grade 1 jusqu’en janvier 2023. Comme on travaille ensemble à la maison, il n’a pas accumulé de retard. Toutefois, dans le cas d’autres enfants auxquels je donne des cours, une baisse de niveau est constatée», soutient Julia, 28 ans. Âgés de 7 à 9 ans, certains n’arrivent ni à lire ni à reconnaître des mots simples comme «boy», «girl», «colour», «draw», entre autres. À chaque fois, l’éducatrice doit lire et expliquer les consignes. À l’idée de rester «coincé» en Grade 1 jusqu’à l’intégration en Grade 2 à 8 ans, son petit garçon à elle évoque le besoin d’adaptation et commence à s’habituer. Ayant travaillé sur des chapitres de français, de mathématiques et d’anglais, sa maman a conservé la seconde partie pour l’enseignant à l’école. Sur la Toile, ce décalage dans l’année scolaire fait fulminer les parents. «Eski mo zafan pou bizin perdi 1an res lakaz ? Pou bann paran ki pena les moyen pour paye lekol privé kouma zot pou fer ?» se demande l’un d’eux. D’autres déplorent le manque de fonds pour les frais de la maternelle jusqu’en décembre 2022 et de réponses de l’État sur les problématiques du retard académique.

«Dans le cas des plus petits, l’absence de scolarité les a déconnectés. Certains ne réalisent pas encore qu’ils ne montent pas en grade supérieur. Parallèlement, plusieurs parents sont mécontents que leurs enfants perdent une année et montent en âge, ce qui rallongera leur scolarité. À l’inverse, d’autres pensent que les petits pourront se rattraper et avoir une bonne base pour terminer la maternelle et débuter le primaire», explique Marie-Noëlle L’Eveillé, directrice de Future Hope, qui encadre les enfants à besoins éducatifs.

«...Perte de temps et d’argent»

Elodie Bien-Aimé, directrice de l’école maternelle Cocomelon à Buckingham, évoque diverses difficultés. Déjà depuis la fermeture scolaire, elle assurait, avec les professeurs, ses classes via WhatsApp en audio et vidéo tandis que les cours télévisés étaient boudés par les petits car pas assez attrayants. Une situation qui a entraîné des différences singulières de niveaux. «Certains enfants étaient dans la moyenne section (à partir de 4 ans) et d’autres, dans la grande section (5 ans). Depuis 2020, les deux unités sont quelque peu mélangées. Leur retour à l’école est truffé de questions», constate-t-elle. Le décalage de la rentrée en 2023 implique de recommencer le cursus de l’an dernier. Pour les enfants possédant déjà ces connaissances, il faudra repasser par la case maternelle, donc une forme de «redite». À cela se greffe un autre bémol : l’école se retrouvera quasiment vide en janvier 2023 avec les moyenne et grande sections partant au primaire, confie la responsable préscolaire.

D’après Annand Seewoosungkur, président de l’Association des maîtres d’école, la majorité des enfants ont compris qu’ils devaient rester dans leurs grades scolaires respectifs. Quelques-uns ronchonnent et souffrent du fait d’avoir grandi tout en restant figés sur le plan scolaire. Mais de tels grincements de dents retentissent aussi au secondaire. «Beaucoup de jeunes sont découragés de devoir rester au collège comme ils prennent de l’âge. ‘Ki nou pou vinn granmer dan lekol ?La nou ti bizin fini konpozé’. Ces remarques fusent de la part des élèves de HSC et de SC. Il faut leur faire voir ce retard comme une opportunité de rattrapage», déclare Marie-Noëlle L’Eveillé qui cite l’exemple d’une jeune de 21 ans ayant interrompu ses études au HSC. Pour l’élève, ce serait «une perte de temps et d’argent avec les frais d’examens» dont sa maman devra s’acquitter. Une frustration perceptible chez les collégiens de Grade 9, ajoute la responsable de Future Hope.

Bhoseparsad Jhugdamby, président de l’Union of Private Secondary Education Employees, estime qu’environ 25 % des élèves de Grade 13 auront 22 ans en 2022. «Définitivement, ils seront en retard. La ministre a soutenu qu’il faudra réviser la loi et accepter les élèves jusqu’à 22 ans. Il vaut mieux être en retard que de perdre les vies de nos jeunes», argumente-t-il. Selon lui, plusieurs estiment qu’ils auraient changé de cadre scolaire en intégrant l’université et non le collège à nouveau. «On comprend la frustration, que tous les enfants ne sont pas semblables et que certains vont plus vite que d’autres mais on ne peut rien y faire», affirme-t-il.

D’autant qu’en dépit des multiples plateformes virtuelles déployées pour assurer la suppléance en période de fermeture scolaire, chaque enfant s’y attelait à sa guise ou n’y adhérait pas. Krishna Seebaluck, psychologue clinicien, note d’ailleurs des retombées négatives sur l’assimilation et la mémorisation des apprenants liées à l’apprentissage virtuel. «Du coup, tous les élèves et étudiants, indépendamment de leur tranche d’âge, se verront confrontés à une réadaptation aux cours en présentiel. À long terme, ce retard académique se transformera en un retard professionnel, avec un impact significatif sur d’autres sphères de leur vie», précise-t-il.

Subséquemment, la rentrée en présentiel depuis le 7 février loge-t-elle tous les apprenants de tous niveaux à la même enseigne ? Puisque tous les éléments sont dans la même classe, c’est l’enseignant qui doit diviser son groupe. «Il peut dispenser un devoir à l’ensemble des jeunes ou un travail avancé aux plus rapides et accorder plus de temps à d’autres qui n’ont pas le même niveau», explique-t-il. Un véritable jonglage incombant aux éducateurs. Car ce retard d’année scolaire ne les épargne pas non plus. «Ils doivent toujours travailler dans un cadre pandémique où les enfants sont traumatisés. Cela requiert qu’ils taillent leurs stratégies d’apprentissage sur mesure», avance le psychologue clinicien.

Y a-t-il tout de même un impact positif lié au décalage du trimestre et du calendrier scolaire de 2023 ? Le psychologue distingue comme «seul impact positif» la prise de conscience des élèves à l’égard de l’importance de l’environnement physique de l’école. «Un environnement qui a été créé et développé pour promouvoir un apprentissage optimal et différent de celui de la maison», déclare-t-il. Pour Annand Seewoosungkur, arrivés à 7 ans à la prochaine admission, les enfants gagnent en maturité et compréhension des notions pédagogiques complexes. «En cas de problème d’adaptation scolaire, les professeurs sont formés en psychologie pour soutenir ces enfants.»

Recherche mobilier désespérément

Il n’y a pas qu’en âge que les enfants ont grandi avec les confinements successifs. Physiquement, certains élèves, de 12 ans désormais, affichent la même taille, en hauteur, que quelques enseignantes, observe Annand Seewoosungkur. Un développement rapide qui engendre des problèmes de… mobilier, notamment. «Au primaire, celui-ci n’est pas adapté à la taille de ces enfants. Les chaises et pupitres sont trop petits pour eux désormais. Ils sont mal à l’aise et ont commencé à se plaindre de maux de dos», déclare-t-il. Dans la zone 1, par exemple, une demande, pour remplacer ce mobilier pour une centaine d’élèves par une école concernée, a été effectuée auprès du ministère de l’Éducation, seule autorité à pouvoir intervenir. Selon notre interlocuteur, ce remplacement servira parallèlement aux futurs élèves de Grade 6. D’où l’urgence d’y remédier au plus vite.

Le protocole sanitaire de la discorde

Depuis ces derniers jours, le protocole de dépistage du Covid-19 en milieu scolaire enflamme les débats. En effet, plusieurs cas positifs ont été détectés depuis la rentrée. Comment et surtout qui effectue ces tests ? Beaucoup de parents sont perdus et signalent des manquements des autorités. Une lettre à leur intention mentionne la réalisation de tests du Covid-19 sur leurs enfants en cas de contact avec un enfant positif à l’école. Ceci sera effectué par voie nasale par une équipe et ce, d’après la décision des parents. «Il y a pas mal de cafouillages. C’est maintenant que les autorités élaborent ce protocole et voient où les tests seront réalisés. Des employés viennent d’être formés», confie Julia, mère de famille. Le document stipule qu’un site de Covid-testing sera dédié à l’exercice dès le premier et troisième jour après la contamination. Justement, Vinod Seegum, président de la Government Teachers’ Union, précise que depuis jeudi dernier, 28 écoles effectuent ces tests. «S’il y a des contaminations dans des établissements, la direction doit contacter l’un de ces 28 testing centres le plus proche. Dans un établissement, les tests n’ont pu être réalisés comme les parents n’ont encore rempli la fiche de consentement», explique-t-il. Selon des pédagogues, ces protocoles seront certainement modifiés, suscitant encore des confusions des parents et responsables scolaires.

Questions à Krishna Seebaluck, psychologue clinicien : «L’impact du retard scolaire se fera sentir pendant plusieurs années»

Quelles catégories de jeunes sont les plus affectées par le retard académique et pourquoi ?
Certainement, le développement cognitif et affectif diffère en fonction de la tranche d’âge. Par conséquent, si dès un très jeune âge, l’apprentissage est impacté par des éléments externes (dans notre cas, la pandémie), l’enfant ne pourra pas construire et développer une base académique concrète. Par extension, il aura des difficultés pour comprendre des concepts plus complexes dans les plus grandes classes. Parallèlement, cela peut développer des sentiments de frustration chez l’enfant, ce qui va également affecter son estime et sa confiance en soi. Normalement, les plus petits sont les plus affectés du fait que la base même de l’apprentissage a été impactée. Pour les plus grands, c’est plutôt un sentiment de frustration et d’impuissance lié à la pensée qu’ils perdront encore une année. Je dirai que c’est davantage une question de temps perdu pour les étudiants, les plus grands.

Comment les parents et enseignants sont-ils aussi affectés par ce prolongement scolaire?
En fait, les parents sont les premiers à ressentir l’effet de ce prolongement scolaire. Ils ont dû s’adapter et jongler entre leur travail et la gestion des enfants. Plus l’enfant est petit, plus cela devient compliqué pour les parents. Du côté des enseignants, en l’absence du langage corporel et de la communication non-ver- bale pendant les cours en ligne, c’est souvent difficile pour eux de déterminer si l’étudiant a vraiment compris ou pas. Du coup, cela peut créer un désengagement de la part des enseignants envers les élèves.

Quels sont les moyens d’atténuer l’impact négatif de ce retard ?
Les parents doivent assurer des séances de travail quotidiennes avec leurs enfants en fonction de leurs cours et de leur réadaptation à l’environnement physique de l’école. Quant aux enseignants, ils doivent développer un regard observateur, notamment sur les enfants sujets à des difficultés majeures en classe. Ces derniers auront également comme défi de restaurer un niveau de motivation et de détermination que les petits et les jeunes ont hélas perdu durant les cours virtuels. S’ils considèrent qu’un enfant n’arrive toujours pas à assimiler, mémoriser ou à reproduire les cours correctement, les «school counsellors» ou «educational psychologists» peuvent effectuer des analyses approfondies afin de mieux l’encadrer. En somme, il faut que le travail soit continu car l’impact du retard scolaire se fera sentir pendant plusieurs années dans le futur.