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Cherté de la vie: vers la dégringolade sociale

16 février 2022, 21:00

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Cherté de la vie: vers la dégringolade sociale

On ne cessera pas de répéter que l’inflation est une taxe sur la population. À 7,4 % aujourd’hui et demain probablement à 10 %, elle fait déjà valser les prix. À tel point que les ménages sont devenus financièrement fragiles, avec un pouvoir d’achat qui se réduit au fil des mois comme une peau de chagrin. 

Le dernier rapport de Statistics Mauritius sur la pauvreté publié en 2017, soit avant la crise épidémique de 2020, tirait déjà la sonnette d’alarme et définissait les contours de ce fléau social. Cela avec un taux de pauvreté relative de 9,6 %, soit 36 500 ménages vivant avec des revenus mensuels de Rs 13 100. Ce qui est neuf fois inférieur aux 10 % des ménages les plus friqués recensés, disposant de revenus mensuels de Rs 112 200. 

Mais il y a pire : ces mêmes ménages précaires dépensaient mensuellement à l’époque Rs 10 200. Un chiffre qui se compare défavorablement aux Rs 60 000 venant des 10 % des ménages les plus riches du pays. Sans doute l’avènement de la pandémie en mars 2020 dans le pays est venu asphyxier financièrement ces ménages qui se sont vu enfoncer dans la spirale de la pauvreté. L’effet économique du Covid a certainement fait bouger les lignes et exploser les chiffres. 

Sans doute les spécialistes font aujourd’hui une distinction entre pauvreté absolue où on cherche généralement à établir combien coûtent au total toutes les ressources essentielles qu’un adulte consomme en moyenne en un an et pauvreté relative. Celle-ci tenant en ligne compte le niveau de vie d’un pays et utilisant une fraction du revenu médian, entre 40 % et 70 % selon les cas. Elle se veut être également une mesure des inégalités de revenus. 

Mais indépendamment des définitions que l’on peut attribuer au phénomène de la pauvreté, la dure réalité est que depuis 2017, le nombre de ménages qui s’appauvrissent est en nette progression. Pierre Dinan, économiste qui se passionne particulièrement pour les problématiques liées à la pauvreté, estime qu’en l’absence de données récentes il est fort probable que la pauvreté gagne du terrain, précarisant certains ménages. La question qu’il faut se poser toutefois concerne les caractéristiques relevant de ces ménages en difficulté. Il ose donner quelques pistes. Est-ce, dit-il, des familles où le père est un gagne-petit, fort probablement à son propre compte, faisant des petits travaux de réparation ou s’adonnant au jardinage ou celles monoparentales, surtout celles de femmes seules ou abandonnées, avec, au départ, de faibles moyens de subsistance et forcées de vivre au jour le jour. L’économiste pousse son analyse plus loin pour s’interroger si au sein de ces ménages, l’on ne retrouve pas des personnes âgées, ne disposant que de la pension de vieillesse comme unique source de revenus et dont le montant s’avère insuffisant ou encore des opérateurs au noir avec leurs employés, ces derniers ne bénéficiant d’aucune protection sociale.

D’autres spécialistes ne semblent nullement choqués si la situation de la pauvreté a empiré compte tenu de la crise sanitaire et économique. À l’instar de l’analyste financier, Imrith Ramtohul, qui s’attend à ce que le prochain rapport de Statistics Mauritius donne un meilleur état des lieux de l’étendue de la pauvreté dans le pays. Cela en analysant les dernières données de l’effet économique de deux lockdowns sur ces personnes économiquement vulnérables de la société. Et qui se retrouvent être les principales victimes de la crise du Covid vu qu’elles sont généralement employées dans le tourisme et la manufacture. «Il est clair que de nombreuses personnes se trouvant dans cette catégorie ont dû perdre leur emploi ou sont contraintes de travailler des heures plus courtes. Ce qui signifie moins des revenus à la fin du mois pour ces travailleurs sombrant aujourd’hui dans la pauvreté», explique Imrith Ramtohul. Ce que vient confirmer la projection de la Banque mondiale qui avait prévu une augmentation du taux de pauvreté de 10,7 % à 12 % en 2020, celui-ci devant subséquemment baisser à 9,5 % cette année mais qui reste néanmoins élevé par rapport à 2017. 

Swadicq Nuthay abonde dans le même sens, affirmant qu’une contraction économique de presque 15 % en 2020 suivant la crise pandémique entraîne l’appauvrissement de la population dans la même proportion. Certes, dit-il, il y a eu un rebond technique de 4 % l’année dernière mais c’est loin de la situation pré-Covid même si le gouvernement est optimiste de renouveler avec une croissance forte et robuste cette année. «Il est clair que la poussée inflationniste à l’échelle mondiale aujourd’hui ne vient guère arranger les choses pour les gens au bas de l’échelle, confrontés déjà à un renchérissement du coût de la vie. Si aux États-Unis l’inflation est 7,3 %, le taux ne peut pas être inférieur à Maurice. On entre dans une période inflationniste qui est loin d’être transitoire mais qui au contraire sera généralisée et renforcée au fil des mois. L’impact économique de ce phénomène sera durement ressenti par ceux qui n’ont pas de protection sociale.» 

Spectre de l’appauvrissement 

C’est une situation inquiétante qui devrait certainement interpeller l’exécutif car selon la dernière enquête sur les ménages, 76 % des foyers mauriciens sont dans l’incapacité aujourd’hui de joindre les deux bouts, dont plus de 26 % n’arrivent pas à boucler leur budget. Pour Pierre Dinan, cela va de soi que les autorités doivent se sentir interpellées. «Mais que voulez-vous qu’elles fassent ? Davantage de subventions aux entreprises et davantage de subsides ? Qui paiera tout cela éventuellement ? Le déficit budgétaire ne cessera de grossir, la dette publique fera de même… et qui remboursera cette dette éventuellement ? Les contribuables… Vos lecteurs, vous et moi, et nos progénitures dont le nombre est en déclin depuis de longues années.» 

Selon lui, il faut craindre «que dans l’esprit des Mauriciens, l’État ne devienne le magicien, le deus ex machina qui résout tous nos problèmes. Avec le produit des taxes prélevées de nos revenus et de nos consommations ! Un des risques émergeant de la pandémie, c’est la tendance mondiale vers un pouvoir accru des autorités gouvernementales par rapport aux citoyens. Sachons garder la mesure». 

Du coup, celui qui analyse et décrypte l’économie mauricienne depuis plus d’un demi-siècle, estime qu’il serait souhaitable que les autorités fassent un appel à ceux financièrement aisés, soit ceux qui se trouvent dans la partie supérieure de l’échelle des revenus, pour aider leurs proches et autres amis en difficulté financière. «De telles aides, entre voisins et proches, seront plus efficaces et rapides que l’imposition d’une taxe additionnelle par l’État, avec toute la bureaucratie et la lenteur qu’il faudrait subir pour que les aides soient reçues et canalisées vers les vrais méritants.» Une démarche qui contribuerait à un rapprochement entre les diverses classes sociales du pays. Ce qui fait dire à Kevin Ramkaloan, CEO de Business Mauritius, que l’organisation patronale qu’il dirige privilégie l’approche ciblée quand il s’agit des prestations sociales, une des conditions pour favoriser une société inclusive. 

Par ailleurs, le constat des travailleurs sociaux couplé aux études de sondage démontre clairement que le spectre de l’appauvrissement de la population ne concerne pas uniquement les défavorisés de la société mais aussi ceux de la classe moyenne qui souffrent également de l’effet économique de la pandémie. Avec des risques d’un déclassement social. Or le terme de classe moyenne défie toute définition. «Il y a la moyenne supérieure, proche des nantis, la moyenne inférieure menacée par la descente chez les pauvres, et enfin la moyenne qui se situe entre ces deux autres ‘’moyennes’’. Il va de soi que toutes ces ‘’moyennes’’ subissent les effets des hausses de prix, mais les coups deviennent plus durs au fur et à mesure que l’on descend le long de l’échelle des revenus», analyse Pierre Dinan. 

Une opinion que partage Rajeev Hasnah rappelant que pour la classe dite moyenne, l’impact inflationniste peut être aussi matériel car elle a dû faire les frais de l’imposition de la Contribution sociale. Toutefois, Imrith Ramtohul estime que le déclassement social est dans le domaine du possible face à un taux d’inflation appelé à durer et que les ajustements salariaux destinés à la classe moyenne sont en dessous du taux. Résultat, une perte du pouvoir d’achat de ceux qui s’identifient à cette classe avec des risques de voir chuter leur niveau de vie.

Face à ce nouvel enjeu entourant la pauvreté, Pierre Dinan souhaite une nouvelle enquête sur les ménages, estimant qu’après cinq ans, il y a lieu de penser que beaucoup de facteurs ont changé, menant à ce déclassement social. «Vivement, une nouvelle enquête sur les revenus des ménages, ce qui nous permettra aussi de calculer le coefficient de GINI qui nous permet d’établir l’étendue de l’inégalité des revenus entre les ménages.» 

Enquête ou pas, le ministre des Finances, Renganaden Padayachy, qui a d’ailleurs défendu sa thèse de doctorat sur le thème de la pauvreté, persiste et signe. Il souligne que la lutte contre la pauvreté et le progrès social constituent une priorité absolue du gouvernement. Selon lui, il existe une corrélation avérée entre la réduction des inégalités mesurée par le coefficient de Gini et l’accélération de la croissance économique. «Nous avons deux choix. Le premier aurait été de taxer indifféremment la population et le second est de compter sur la solidarité de ceux qui en ont les moyens en adoptant une politique fiscale progressive et distributive», soutient-il. 

Quoi qu’il en soit, les lendemains ne chanteront plus pour les ménages en ce début d’année. Plus que jamais, le coût de la vie sera davantage mis sous pression face aux poussées inflationnistes. Les dangers de l’appauvrissement et du déclassement social sont visiblement bien réels…