Publicité
Crimes financiers: Maurice veut devenir un élève modèle
Par
Partager cet article
Crimes financiers: Maurice veut devenir un élève modèle
Fini le temps où notre juridiction pouvait jouer à cache-cache par rapport à l’importance qu’elle attache à la nécessité de se doter des moyens pour mieux lutter contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme. L’heure est venue de démontrer sa prédisposition à adhérer, sans fausse note, aux exigences mises en place par le Groupe d’Action financière, le gendarme de l’Union européenne pour combattre ces deux délits financiers. Depuis sa sortie de la liste des juridictions à l’adhésion douteuse aux règles de bonne conduite dans le secteur des services financiers, Maurice fait tout pour donner l’image d’une juridiction qui mérite qu’on lui fasse confiance.
«Dans quatre ans, ils vont venir nous voir de nouveau.» Petite phrase mais lourde de conséquence que celle prononcée par Navin Beekarry, directeur général de l’Independent Commission Against Corruption (ICAC), chargée de combattre la corruption, en ce jeudi 10 février au siège social de la Financial Services Commission, l’organisme régulateur pour le secteur mauricien des services financiers. C’était dans le cadre du lancement officiel de l’International Graduate Diploma in Financial Crime Compliance, cours de formation ayant pour but de rehausser la capacité de la lutte contre les crimes financiers.
Le GAFI ! C’est ce que Navin Beekarry avait en tête lorsqu’il a prononcé la phrase en question. Dans quatre ans, les experts de cet organisme de contrôle opératoire des acteurs du secteur des services financiers seront de retour pour vérifier si les règles en matière de prévention et de lutte contre les risques de blanchiment de l’argent sale et du financement du terrorisme sont respectées à la lettre. Ces mêmes règles dont la réticence à les appliquer avec rigueur a valu à la juridiction mauricienne de se retrouver sur la liste peu honorable des destinations où, en matière de mœurs financières, tout est envisageable et qu’on qualifie de façon des plus ironiques, de paradis fiscaux.
Le GAFI, Navin Beekarry en sait quelque chose. Car en tant que directeur de l’organisme chargé de lutter contre la corruption, il était de son devoir de veiller à ce que les mœurs financières ne basculent pas dans une forme de réticence des autorités locales à mettre en place des mesures appropriées pour combattre, de façon efficace, les manquements susceptibles de favoriser le blanchiment de l’argent sale et le financement du terrorisme. Comme s’il a passé, au nom du pays, de très mauvais quarts d’heure devant les experts du GAFI venus passer au crible le mode de fonctionnement du secteur pour comprendre comment les auteurs d’actes de blanchiment et de financement du terrorisme ont pu opérer avec autant de facilité dans la juridiction mauricienne.
Après sa sortie de la liste grise du GAFI, voie indispensable pour se libérer des contraintes associées à la présence de la juridiction sur les listes noires tant de la Grande-Bretagne que celle de l’Union européenne, l’heure est à la restauration de la juridiction sur la liste de juridictions où les règles sur la bonne gouvernance sont scrupuleusement respectées. Cette semaine, deux initiatives sont venues confirmer la prédisposition des responsables de la juridiction à tourner le dos définitivement aux pratiques peu recommandables aux yeux de la communauté engagée dans le service financier.
Règles de bonne gouvernance
l s’agit premièrement du lancement officiel par le National Committee on Corporate Governance (NCCG) du tableau de bord qu’il a conçu en vue d’assurer la réalisation d’un état des lieux du mode opératoire des entreprises en termes de respect des règles de la bonne gouvernance. Des règles qui émanent du National Code of Corporate Governance for Mauritius, lancé en 2016. Une initiative du NCCG qui a bénéficié de l’appui du Mauritius Institute of Directors (MIoD), institué conformément aux dispositions du National Committee on Corporate Governance et qui a fait l’une de ses priorités, l’adhésion de ses membres aux règles de la bonne gouvernance. «Ce tableau de bord a été lancé de manière symbolique dans le cadre de la sortie de la juridiction de la liste grise du Groupe d’Action financière le GAFI», insiste Aruna Radhakeesoon, avocate, directrice exécutive et chef du département du groupe Rogers chargé des affaires juridiques et de l’application des règles relatives à l’adhésion aux obligations de bonne gouvernance.
Selon cette dernière, la juridiction doit tirer trois leçons de son passage sur la liste grise du GAFI. Il s’agit premièrement d’abandonner une posture qui l’incite à se reposer sur ses lauriers. Deuxièmement, s’assurer que la juridiction n’a rien à se reprocher en termes de respect des règles de bonne gouvernance et d’adhésion aux meilleures pratiques dans un secteur des services financiers dont le mode opératoire devient de plus en plus sophistiqué. Et troisièmement, Aruna Radhakeesoon estime que le pays a l’obligation de prendre les mesures appropriées afin de consolider, dans le temps, tant le niveau d’attraction que la réputation de la juridiction comme une destination d’investissement de renom.
La sortie de la juridiction de la liste grise du Groupe d’Action Financière et de la liste noire de l’Union européenne est venu démontrer au monde entier combien il est indispensable pour les autorités locales de renforcer les mesures en vue de favoriser l’adhésion totale aux règles de la bonne gouvernance», a soutenu, pour sa part, Sheila Ujoodha, Chief Executive Officer du MIoD. L’autre initiative ayant pour objectif de faire la démonstration que la juridiction mauricienne a les moyens pour s’aligner sur les exigences des normes de la communauté internationale en matière de lutte contre les crimes financiers, est la conception d’un cours de formation y relatif. L’initiative revient à l’Open University of Mauritius et au Financial Services Institute (FSI). La première s’est spécialisée dans la formation à distance de professionnels dans de nombreux domaines. Quant au FSI, il a pour mission d’assurer une formation de haut niveau destinée aux professionnels du secteur mauricien des services financiers. Objectif de la démarche : répondre à un pressant besoin du secteur des services financiers en termes de ressources humaines ayant une formation professionnelle poussée pour lutter efficacement contre les crimes financiers susceptibles de se produire dans les entreprises de ce secteur.
Inspire d’autres pays
«Après notre sortie de la liste du Groupe d’Action financière, nous avons toute une histoire à raconter au monde extérieur. Le Groupe d’Action Financière fait un plaidoyer pour que nous puissions nous doter d’un système capable de résister à l’usure du temps. Dans un tel contexte, les procédures mises en place et les mesures instituées en vue de faciliter l’adhésion totale des acteurs du secteur des services financiers aux règles de la bonne gouvernance ont un rôle déterminant à jouer dans tout ce processus. Nous avons l’obligation de faire la démonstration que la juridiction opère en pleine conformité avec les règles de bonne gouvernance. C’est une des conditions indispensables pour renforcer la confiance des investisseurs du fait qu’ils savent que la juridiction dispose de professionnels formés et de systèmes adéquats susceptibles de neutraliser les risques de recours au blanchiment d’argent et du financement du terrorisme. C’est pour cette raison qu’il est indispensable que comme une juridiction ayant atteint la maturité requise, elle dispose de ses propres normes pour ce qui est de l’évaluation des critères d’authentification et de compétence», a affirmé Dhanesswurnath Thakoor, directeur exécutif de la FSC.
Le point faible de la juridiction se situe au niveau de la capacité des acteurs du secteur des services financiers à disposer de compétences pouvant les aider à détecter les risques pouvant faciliter le recours au blanchiment et au financement du terrorisme. D’où l’insistance de Mahen Seeruttun, ministre des Services financiers et de la Bonne gouvernance, pour que le principal objectif de ce cours de formation soit de conférer aux bénéficiaires des compétences requises pour détecter les points faibles des systèmes opératoires des acteurs de ce secteur. «Ce dont nous avons besoin, ce sont des personnes capables de faire la démonstration que le système que nous avons mis en place pour combattre le blanchiment et le financement du terrorisme est efficace et est en mesure de maintenir cet élément d’efficacité de façon durable. La possibilité pour des étrangers de venir à Maurice pour s’offrir une qualification en matière de lutte contre les délits de nature financière constitue un facteur qui vient renforcer les efforts déployés jusqu’ici par le gouvernement pour positionner Maurice comme un centre d’acquisition de connaissances», devait souligner le ministre
Enfin, le troisième signe qui démontre que la juridiction tente non seulement, tant bien que mal, de tirer les leçons de son passage dans les mauvais papiers du Groupe d’Action financière et de l’Union européenne mais d’y trouver les éléments pouvant l’aider à présenter un autre visage aux yeux de la communauté financière internationale. L’un de ces éléments est le temps record que le pays a pris pour prouver que ses opérations sont compatibles avec trente-neuf des quarante recommandations du GAFI et la possibilité que Maurice puisse devenir une des premières juridictions à prouver qu’elle est en conformité avec les quarante recommandations du GAFI. Déjà, deux juridictions ont manifesté leur intérêt pour que l’ICAC leur apporte l’aide technique pouvant les aider à gérer les implications des normes imposées par le GAFI en matière de lutte contre le blanchiment, la corruption et le financement du terrorisme. Ce sont notamment les Emirats arabes unis et la Jordanie. En ce qui concerne la Jordanie, le pays souhaite que Maurice lui indique les mesures pouvant l’aider à sortir le plus vite possible de la liste grise du GAFI.
En raison des manquements notés dans le système de fonctionnement de plusieurs juridictions et qui leur ont valu d’être placées sur la liste grise du GAFI, les nouvelles normes fixées par cet organisme sont des plus exigeantes. Maurice a-t-elle su tirer toutes les leçons de son passage sur cette liste grise ? A-t-elle su repérer les mesures pouvant potentiellement l’aider à démontrer que les initiatives prises pour adhérer aux nouvelles normes du GAFI sont efficaces ? Rendez-vous dans quatre ans lorsque les experts du GAFI vont passer au crible le mode de fonctionnement de la juridiction en termes de lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme.
Publicité
Les plus récents