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Le monde d’après : redessiner le paysage économique et sociétal
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Le monde d’après : redessiner le paysage économique et sociétal
De quoi sera fait le monde d’après ? Question à première vue simple, mais combien profonde, suscitant à la fois réflexions et interrogations des experts. La crise du Covid-19 est venue redessiner le paysage économique et social, voire sociétal du monde, entraînant dans son sillage une nouvelle manière d’appréhender la société.
Plus que jamais, rien ne sera comme avant ; le monde de demain ne ressemblera guère à celui d’hier alors que celui qui émerge de la pandémie est appelé à redéfinir une nouvelle gouvernance des États à l’échelle planétaire et de ses dirigeants politiques tout comme celle des sociétés et de ses décideurs économiques.
Ce changement de paradigme, déjà enclenché dans certains pays, implique des modes d’évolution et d’opération de l’organisation du travail et de l’entreprise, avec le télétravail, la numérisation de la société avec la blockchain et les cryptomonnaies, de nouveaux contours de la finance avec l’intelligence artificielle et la robotisation, de la transition énergétique et du nouveau modèle social, entre autres.
Un ensemble de nouvelles thématiques que le Supplément Eco de l’express souhaite décrypter et analyser chaque semaine sous la plume d’une brochette d’experts et de spécialistes. Afsar Ebrahim, partenaire chez Kick Advisory Services, ouvre le bal cette semaine en partageant un condensé de sa réflexion sur le monde post-Covid avec ses différents enjeux dans une nouvelle rubrique que notre publication lance dans la présente édition sous la rubrique Le monde d’après.
Il est évident que chacun, là où il se trouve et dans le domaine professionnel où il exerce, cherche à mieux comprendre son positionnement dans cette société chamboulée par l’effet de la pandémie.
Qui aurait pensé il y a quelques années que le télétravail s’imposerait dans la sphère professionnelle, se recoupant dans presque tous les secteurs économiques. Même la presse n’y échappe pas avec l’avènement de Zoom, Teams et des conférences virtuelles alors même que le métier de journaliste est par définition un métier de terrain. Aux États-Unis, avant l’avènement de la pandémie, le télétravail ne représentait que 5 % alors que 27 % des employés s’offraient des heures flexibles. Aujourd’hui, le concept du télétravail gagne du terrain, franchissant la barre des 40 % d’effectifs dans les en- treprises alors que le flexitime concerne 88 % des travailleurs américain.
Digitalisation de la finance
À Maurice, aucune étude n’a jusqu’ici été entreprise mais il est fort à parier que le phénomène du télétravail, imposé par les impératifs de deux confinements depuis 2020, est devenu presque une réalité dans le monde du travail, voire la norme, avec des entre- prises évoluant selon un format hybride pour combiner le travail en distanciel et présentiel. Et ce sera forcément ce modèle qui durera dans un environnement post-Covid quand la crise sanitaire sera devenue un souvenir lointain.
Mais pour autant, il faudra, selon les spécialistes, s’assurer que la culture de l’entreprise se diffuse au quotidien, que le work from home et l’absence d’interactions entre les collègues, n’enlèvent pas le sens d’appartenance que ces derniers doivent démontrer à leur organisation. C’est un défi redoutable que les CEO seront appelés à gérer et l’avenir dira s’ils ont réussi. Même si au-delà de l’efficacité de ce mode d’opération, c’est avant tout le bottomline qui est davantage leur souci…
Sans doute, pour certains secteurs dont les contours sont forcément liés aux nouvelles technologies, le monde d’après s’apparentera à une transformation profonde dans leur modus operandi alors que pour d’autres ce sera carrément l’innovation de rupture pour survivre dans un environnement hautement concurrentiel.
Par exemple, la finance n’échappera pas à cette nouvelle configuration post-Covid, plus particulièrement le pôle bancaire avec l’avènement sur une plus grande échelle du bitcoin, cette monnaie virtuelle qui s’appuie sur la technologie blockchain. À n’en point douter, la digitalisation de la finance exercera des pressions intenses sur les transactions bancaires conventionnelles, notamment sur son mode d’opération. Et pour d’autres, on est tenté d’affirmer qu’elle marquera nécessairement une rupture.
Il faut comprendre que les experts de ce secteur voient cette ère d’innovation comme une transition, voire une évolution naturelle, qui appelle forcément un changement de mindset des employés, ces derniers étant appelés à cohabiter avec l’intelligence artificielle des robots. Si ce ne sont pas les prémices de la banque de demain, en revanche, elle y ressemblera beaucoup…
Gouvernance mondiale
Clairement, la crise a vu un rôle croissant de l’État dans le monde durant la crise et il s’est confirmé que les pays disposant d’un État providence financièrement solide ont été mieux armés pour affronter la crise. Cela, contrairement à ceux qui ont laissé leur population seule face aux effets économiques de la pandémie sans aucune protection sociale.
D’ailleurs, pour éviter des licenciements massifs et éventuellement une crise sociale, nombreux sont ces États qui ont eu recours au chômage partiel. À Maurice, le gouvernement se flatte d’une enveloppe de plus de Rs 25 milliards pour financer partiellement les salaires du privé et éviter ainsi des défauts de paiements d’entreprises menacées de fermeture
Certainement, ce n’est pas une politique financièrement soutenable dans le temps pour un État. À cet effet, ne fautil pas, selon certains experts, réhabiliter sa capacité stratégique et le préparer à affronter de tels défis. Encore qu’à Maurice face aux menaces de licenciements, savamment orchestrées par certains corporates, ces derniers ont pu arracher des milliards de la MIC pour raviver des entreprises zombies. Pour combien de temps encore ? On ne sait pas. Ce qui est sûr en revanche, c’est que le monde post-Covid entraînera la disparition des canards boiteux qui ne peuvent s’adapter au nouveau set-up économique.
Pour avoir financé à coup des milliards la santé publique et atténué l’impact de la crise sanitaire et économique par le biais de plans de relance, les gouvernements ont tenté et réussi à restreindre l’espace démocratique et de liberté des populations dans le sillage des confinements. Au nom de l’urgence sanitaire, des lois sur la quarantaine à Maurice et ailleurs, que certains activistes sociaux qualifient de liberticides, sont venues réduire drastiquement le champ de liberté des individus. Les exemples ne manquent pas en Asie où certains pouvoirs autoritaires sont toujours à l’œuvre. D’ailleurs le narratif voulant faire croire que seuls les régimes autoritaires, comme la Chine, qui ont pu vaincre l’épidémie en mobilisant d’importantes ressources, est jugé faux par des spécialistes de santé. Ces derniers avancent qu’au contraire, ce sont les sociétés démocratiques qui ont pu endiguer la crise sanitaire.
Cette problématique de restriction des libertés, voire d’atteinte à la démocratie, constituera un grand enjeu de société dans ce monde d’après. Tout comme la gouvernance mondiale. Hier, c’était l’Organisation mondiale du commerce (OMC) ; aujourd’hui avec la pandémie, c’est l’Organisation mondiale de la santé (OMS) qui est dans la ligne de mire et certaines de ses décisions sont contestées par des chercheurs. Qui n’a pas oublié la fausse polémique de l’ex-président Donald Trump au début de la pandémie, suspendant les financements américains à l’OMS sous prétexte que celle-ci couvrait les failles chinoises en matière du Covid ?
Du coup, force est de constater que la mondialisation, critiquée comme étant responsable de la propagation de la pandémie, va changer de visage. Entre la guerre commerciale ÉtatsUnis/Chine et les relations tendues entre deux puissances économiques et géopolitiques, il y a à terme un positionnement pour assurer le leadership de la gouvernance mondiale.
Or, la crise a démontré comment il faut se protéger de cette mondialisation. Les experts plaident en faveur de la diversification des sources d’approvisionnement dans le domaine de la santé où il existe trop de dépendance sur la Chine pour importer des médicaments (40 % des antibiotiques utilisés en Allemagne, en France ou en Italie provenant de la Chine) ; une relocalisation de certaines activités proche des pays qui en consomment ; et l’utilisation de procédés technologiques alternatifs.
Bref, un équilibre difficile à trouver entre, d’une part, les avantages découlant de l’ouverture des marchés et l’interdépendance entre les États dans le commerce international ; et d’autre part, les impératifs liés à la souveraineté de l’État, voire sa sécurité. Tout en n’oubliant pas le variable écologique qui s’imposera dans tous les débats économiques et sociétaux de ce nouveau monde.
Alors que le coronavirus est sur le point d’être vaincu, laissant la place à une normalisation de la vie économique et sociale, le monde d’après, même si on peut définir ses contours, cache certaines incertitudes, voire des craintes. Dont celle évoquée par Yuval Noah Harari, auteur de Sapiens, et professeur à l’Université de Jérusalem, qui rappelait récemment comment «les démocraties peuvent facilement se changer en dictatures au nom de la protection de la santé». À méditer…
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