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Les jours de guerre de Kevin Allagapen et de sa famille

5 mars 2022, 22:00

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Les jours de guerre de Kevin Allagapen et de sa famille

Après des jours d’enfer, d’angoisse et de traumatisme, Kevin Allagapen, Tatiana et leur fils, Joey, âgé de deux ans et demi, ont pu arriver à bon port en Pologne. Une expérience qu’ils n’oublieront jamais. Bien au chaud et en sécurité dans l’appartement du mauricien Lougeshwar Dooluthsing, en Pologne, Kevin et Tatiana n’arrivent pas à croire qu’ils ont pu quitter l’enfer ukrainien. Retour sur cette expérience des plus traumatisantes qu’a vécu notre compatriote et sa famille.

Il est jeudi matin, 24 février, les soldats Russes ont commencé leur invasion en Ukraine. Les premiers bombardements ont eu lieu aux petites heures. Installés dans leur nouvelle maison à Kyivska, Kevin et Tatiana comprennent qu’ils ne sont plus en sécurité lorsqu’une alarme retentit à cinq heures du matin. «La peur a pris le dessus à ce moment-là. Nous avons donc tout quitté et sommes allés nous réfugier dans la station de métro de Kyviska», explique-t-il. C’est là-bas qu’ils passeront la nuit avec plus de 2 000 personnes.

Le lendemain matin, comme les bombardements continuent de plus belle là où ils sont, Kevin et Tatiana décident de bouger vers un autre bunker à Pushkinshka, qui se trouve à une heure de marche de là où ils se trouvent. Cependant, les choses prennent une autre tournure. «Lorsque nous marchions pour partir, nous avons décidé de faire une vidéo et c’est là que les explosions ont commencé. Nous avons donc rebroussé chemin jusqu’à la station de Kyviska.»

Après y être arrivés, un missile tombe tout près de la station, mais celle-ci n’explose pas. À ce moment-là, Tatiana est en contact avec nous. «Nous ne savons pas pour combien de temps nous serons en sécurité ici», nous confiait la jeune femme. Ce qui était tout à fait vrai.

En effet, Kevin nous explique que ce qui clochait à la station, c’est qu’à chaque fois, il fallait sortir pour trouver de la nourriture. Et il y avait plus 2 000 personnes à l’intérieur qui rentraient et sortaient. Ce qui n’était pas sécurisant.

Et à chaque heure, des bombardements avaient lieux. Kevin affirme ne plus savoir combien d’heures il a passé dans cette station. Chaque seconde semblait être une éternité. «24 heures dans la guerre c’est égale à des jours tant tout ce que nous vivons semble dure à imaginer.»

La décision de quitter cette station est donc à nouveau envisagée. Où aller ? Que faire ? Kevin dit avoir pu compter sur son ami d’enfance qui vit à Maurice, le Dr Kunal Badal, qui a su le conseiller et le réconforter dans les moments où ce père de famille avait du mal à réfléchir. «Nous avons donc décidé avec Tatiana de retourner chez nous, dans notre jardin. Il y a une cave souterraine où nous gardions de la nourriture. Nous n’y étions pas allés avant car il fait moins de 10 degrés à l’intérieur et nous savions que Joey n’aurait pas pu y survivre, mais avec l’aide de mon ami au téléphone, des conseils etc., nous y sommes retournés.»

Image de désolation

En retournant dans leur quartier, la vue est inimaginable. Cet endroit où ils se sentaient tellement bien, où ils souhaitaient élever leur enfant a disparu pour laisser place à une image de désolation et d’horreur. La maison de leur voisin a été détruite et un missile est même entré dans celle des parents de Tatiana, qui les ont rejoints dans la cave. Pour survivre au froid glacial, alors que les bombardements se poursuivent, Kevin a rapporté le maximum de couvertures chaudes et de nourritures qu’il avait chez lui à l’intérieur de la cave. Il y avait beaucoup de pommes de terre et des chocolats, qu’ils ont gardé pour le petit car Joey avait besoin de calories pour survivre.

La maison détruite du voisin de Kevin

Le dimanche 27 février, le mauricien Lougeshwar Dooluthsing arrive à entrer en contact avec Kevin. Il explique à ce dernier qu’il s’est renseigné et qu’il y a un train qui quittera Kharkiv pour Lviv le lendemain et que de Lviv, il pourrait l’accueillir en Pologne.

Pour Kevin et Tatiana, c’était impensable de laisser passer à côté de cette chance. Avec l’aide de Lougeshwar Dooluthsing, il arrive à se trouver un véhicule payant qui accepte de venir les récupérer pour les conduire à Kharkiv le lendemain matin. Kevin raconte que ce jour-là, il se rappelle que de 15 heures à 21 heures, les coups de feu et les bombardements n’ont pas cessé une seconde. Les murs de la cave tremblaient et le petit Joey avait beaucoup de mal à fermer l’oeil de la nuit.

Vers 23 heures, moment de répit. Les bombardements cessent. Kevin et Tatiana se ruent donc dans leur maison, histoire de prendre le maximum de choses qu’ils peuvent et des valises. Les parents de Tatiana font de même, cela, après plusieurs heures à les convaincre qu’ils devaient partir aussi.

Vers minuit, les bombardements recommencent. Et cette fois, ils sont encore plus proches de chez Kevin. Le petit Joey était traumatisé et Tatiana n’arrêtait pas de pleurer. Vers 5 heures du matin, après les bombardements aériens qui ont duré trois heures, des machines de guerre russes, plus connues comme des chars, arrivent. «Fiiiishiooooou boom...fishioooouu boom....mo pa pou blie sa son la zame, telma monn tann sa.»

Le chauffeur, qui devait les récupérer pour aller à Kharkiv, arrive à 8 heures mais impossible de venir les chercher. Un parc pour enfants qui se trouve tout près de leur maison a fait office de champ de bataille et il ne pourra pas traverser. Le chauffeur s’en va donc, laissant Kevin dans un désespoir total. «À ce moment précis j’ai craqué. Je n’arrêtais pas de penser que nous allions mourir ici. Mais je ne savais pas qu’en fait le destin a joué en ma faveur», raconte le Mauricien. En effet, c’était une bonne chose qu’il n’y soit pas allé car le train qu’ils devaient prendre n’a pas pu démarrer et s’ils étaient partis, ils auraient été coincés à la gare.

Kevin, son épouse, son fils et sa belle-mère à Lviv. Cette dernière ne se rendra pas en Pologne, se portant volontaire pour aider

La famille reste encore une nuit dans la cave. Et Kevin arrive à comprendre le schéma de la guerre. Bombardements, crates et puis street fighting. Ce soir-là, les bruits s’éloignent d’heure en heure. Ils comprennent que les Ukrainiens ont pu repousser les ennemis

. Le chauffeur qui devait les récupérer appelle. La route est libre pour les récupérer. Mardi matin, 7 heures, le véhicule est là. Il est temps pour Kevin, Tatiana et Joey de dire aurevoir à cette maison, cimetière de tant de rêves qu’ils n’ont pu réaliser. Et comme si ce n’était pas assez dur, le père de Tatiana refuse de partir cette fois.

La petite famille et la belle-mère de Kevin partent donc sans lui et arrivent à la gare de Kharkiv à 9 heures. «De là, une nouvelle épreuve se présente à nous. Si je n’avais pas mon fils, je ne serai jamais rentré dans le train. Tout le monde poussait et on ne laissait entrer que les femmes et les enfants mais j’y suis arrivé et nous sommes entrés.»

Le train est bondé. Dans une cabine de deux, ils feront le voyage à sept adultes, deux enfants, deux chiens et un chat. Pour s’assoir, c’est chacun son tour mais la priorité est aux enfants. À la nuit tombée, ils arrivent près de Kiev. Une annonce est donnée : il faut éteindre toutes les lumières et rester à terre. L’ennemi attaque devant. Ils resteront dans cette position et dans le silence pendant plus d’une heure. Ce qui a étonné Kevin, c’est que même Joey a compris qu’il fallait rester calme. Après ces longues minutes dans le noir et la peur, le train redémarre et après avoir passé 24 heures en tout dans ce train, ils arrivent à Lviv. Enfin.

«C’était une grande joie. Nous étions arrivés. Nous étions en sécurité», se rappelle Kevin. Ce jour-là, il s’installe dans un appartement mais le petit Joey commence à être malade. Il fait un malaise. L’ami de Kevin lui donne des conseils au téléphone. Cela doit être dû au choc. Alors qu’ils pensaient pouvoir se détendre et soigner Joey en toute tranquillité, vers 10 heures, une alarme retentit : l’armée Russe s’approche de Lviv. Ils doivent donc tout remballer et après des heures à se cacher dans le sous-sol de l’immeuble où ils se trouvaient, ils arrivent à avoir un taxi pour la frontière de Pologne à Rava Rouska. Et cette fois, c’est la mère de Tatiana qui refuse de venir. Elle préfère rester pour être bénévole...

Pendant tout ce temps, ils sont restés en contact avec l’ambassadrice de Maurice en Allemagne, qui, selon Kevin, les a beaucoup épaulés.

En arrivant à Rava Rouska, le couple et leur fils patienteront quatre heures dans une queue interminable, avant qu’un van ne les prennent pour les emmener en Pologne où ils feront stamper leurs passeports et rejoindront Lougeshwar Dooluthsing, qui les a emmener chez lui à 4 heures du matin, jeudi. «Il nous a laissé son appartement et il est parti chez un ami. Nous serons à jamais reconnaissants et nous pouvons enfin respirer. Même si nous sommes tristes d’avoir laissé notre vie rêvée, notre nouvelle maison et tant de souvenirs en Ukraine», soupire Kevin.

En sécurité, notre compatriote a entamé les démarches pour retourner à Maurice, où il espère pouvoir recommencer une nouvelle vie…