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Cassam Uteem: «President de la Republique n’est pas qu’un poste de prestige»

12 mars 2022, 21:07

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Cassam Uteem: «President de la Republique n’est pas qu’un poste de prestige»

Maurice célèbre aujourd’hui le 30e anniversaire de son accession au statut de République. Après une transition assurée par sir Veerasamy Ringadoo, Cassam Uteem a occupé le poste de président de la République pendant plus de 10 ans. Dans cette interview, il dit qu’il est en faveur d’une assemblée constituante, comprenant des politiques, la société civile, des syndicalistes, des jeunes et des femmes pour revoir notre Constitution. Parlant de la deuxième République proposée par Navin Ramgoolam et Paul Bérenger, il dira que ce projet était voué à l’échec dès le départ et que c’est pour cela qu’il a été rejeté par la population. Il estime que la présidence n’est pas un poste de prestige et que pour le poste de vice-président, il est «open to conviction»

 Il y avait eu une première tentative de faire Maurice devenir une République en 1990. Mais c’était un échec. Est-ce qu’il y avait du nouveau dans ce que le gouvernement issu des urnes de septembre 1991 avait proposé en 1992 ?

Autant que je m’en souvienne, la loi de 1992 reprenait l’essentiel de ce qui avait été présenté à l’Assemblée nationale la première fois. Dans le fond, les principaux partis concernés, c’est-à-dire le MMM et le MSM, étaient d’accord pour que la République de Maurice soit calquée sur le modèle de la République indienne.

Trente ans après, ne pensez-vous pas qu’en devenant une République, ce n’est qu’un nom donné à l’île Maurice ?

En quoi cela a-t-il changé le pays ? Le statut de République représente l’ultime étape de la décolonisation d’un pays. Vous vous souvenez qu’avant le 12 mars 1992, Maurice était un pays indépendant avec comme chef d’Etat la reine d’Angleterre représentée chez nous par un gouverneur général. Avec l’accession du pays au statut de République, c’est un fils du sol qui est dorénavant le chef de l’Etat. Point n’est besoin de se référer à Sa Majesté la reine d’Angleterre pour toute question relevant de l’Etat mauricien. Tel n’était toujours pas le cas avant.

Au niveau de la communauté internationale, dans des forums internationaux, la République de Maurice et son chef d’Etat jouissent d’un prestige certain et interviennent de manière tout à fait autonome sur toutes les grandes questions de l’heure. Au niveau du pays, et au terme de sa Constitution, le président joue le rôle de garant des libertés fondamentales et autres dispositions inscrites dans la Constitution, en sus d’être le symbole de l’unité de la nation.

Vous avez démissionné d’un poste de ministre pour devenir le premier président de la République après une courte transition de sir Veerasamy Ringadoo. Ne pensez-vous pas qu’un ministre «sert» plus qu’un président qui n’est qu’un poste de prestige ?

Le poste de président de la République n’est pas qu’un poste de prestige, comme vous semblez l’insinuer, ni une sinécure. C’est une fonction éminemment importante comme je viens de le souligner en réponse à votre question précédente et je vous assure, ayant servi mon pays au plus haut niveau, que le président personnifie la République, lui donne le prestige qu’il mérite dans le concert des nations et lors de ses déplacements, en visite officielle, ouvre bien des portes, alors que Premier ministre et ministres font souvent le couloir, pour faciliter les échanges et promouvoir la coopération bilatérale. Le président d’un pays, élu au suffrage universel ou non, avec ou sans pouvoir exécutif, est, aux yeux du monde, avant tout un chef d’Etat qui est reçu avec tous les honneurs et toutes les considérations dues à son rang et ses interventions et sollicitations auprès de ses pairs ou dans des instances internationales reçoivent toujours toute l’attention qu’elles méritent et ne sont jamais prises à la légère.

 Il y avait un gouverneur général et en son absence le poste était assuré par le chef juge. Depuis 1992, il y a un vice-président. Pensez-vous que c’est un poste utile ou est-ce un gaspillage des fonds publics ?

Aujourd’hui encore, en l’absence du président et du vice-président, c’est le chef juge qui assure l’intérim à la tête du pays. Faisant la suppléance, il est appelé à donner son assent à des projets de loi et si jamais il se trouvait que certaines lois approuvées par lui faisaient l’objet de contestation en justice pour cause d’inconstitutionnalité, il se trouverait, lui, à la tête du judiciaire dans des situations de conflit fort embarrassantes. C’est pourquoi je suis personnellement en faveur de la proposition selon laquelle le speaker de l’Assemblée nationale fasse la suppléance en l’absence du titulaire et de son adjoint. Sur la nécessité d’avoir ou non un vice-président, je suis comme dit l’anglais open to conviction et je constate, pour des raisons diverses, que le public serait pour l’abolition du poste.

En 2003, certains pouvoirs ont été conférés au président. Notamment la nomination du président de l’Electoral Supervisory Commission ? Est-ce une bonne chose ? Ou pensez-vous qu’un président doit avoir plus de pouvoirs ? Si oui lesquels ?

Je pense que fort de ses 30 années d’expérience républicaine, il serait temps pour le pays de revoir notre Constitution de fond en comble non pas pour remettre en question notre système parlementaire et opter pour un système présidentiel, mais pour revoir le système électoral et le fonctionnement de nos institutions fondamentales, dont l’Assemblée nationale, la Commission électorale, la Public Service Commission afin de les améliorer, réexaminer les pouvoirs démesurés que s’octroie continuellement le Premier ministre, proposer un partage judicieux des pouvoirs entre les différentes parties prenantes dans l’administration des affaires du pays. Le meilleur moyen, à mon avis, de procéder à cet exercice qui ne pourrait qu’être bénéfique à notre démocratie, c’est à travers une assemblée constituante, comprenant les différentes parties prenantes de la société civile, politique, syndicale avec l’apport des jeunes et des femmes, dont les propositions et recommandations feraient l’objet de très amples débats et adoptées par voie référendaire.

 Le président de la République est considéré comme une personne «above politics». Est-ce normal qu’il puisse se jeter à nouveau dans l’arène politique après une démission ? Rien ni aucune loi n’empêche un ancien président de la République de refaire de la politique active bien qu’éthiquement cela poserait problème. J’y avais pensé après ma démission de la présidence et sur les sollicitations pressantes de certains de mes anciens mandants mais le bon sens a prévalu. Dans des circonstances normales, le public accepterait difficilement qu’un président «above politics» puisse de nouveau descendre dans l’arène politique.

 Et aussi vos commentaires sur la deuxième République proposée par Ramgoolam et Bérenger en 2014. Est-ce que cela aurait marché ?

C’était une proposition vouée à l’échec dès le début car aucune philosophie ne la soustendait. Elle était perçue pour ce qu’elle était : un arrangement électoral entre deux leaders politiques qui, forts de leur force numérique virtuelle, croyaient pouvoir réunir suffisamment de suffrages pour amender la Constitution et introduire un système bicéphale qui, à mon sens, comportait de grave menaces pour la stabilité politique du pays. C’était une supercherie rejetée, avec raison, par le peuple.

Pensez-vous justement qu’il faut une deuxième République ? Si oui comment et pourquoi ?

J’ai toujours été en faveur de notre système parlementaire existant, avec un Premier ministre détenant le pouvoir exécutif et un président, garant de la Constitution et symbolisant l’unité du pays. Je le suis toujours. Toutefois, comme souligné un peu plus tôt, je suis en faveur de la nomination d’une assemblée constituante pour revoir notre Constitution et qui ferait des recommandations et des propositions d’amendements afin de mieux faire fonctionner notre démocratie.