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Sébastien Martial: «Aujourd’hui, c’est à qui fera le plus de remplissage pour que ce soit son voisin qui se retrouve inondé»
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Sébastien Martial: «Aujourd’hui, c’est à qui fera le plus de remplissage pour que ce soit son voisin qui se retrouve inondé»
L’île Maurice subit de plus en plus d’inondations et d’accumulations d’eau ces 15 dernières années. Est-ce à mettre sur le compte du changement climatique ?
Il est désormais établi que l’intensité croissante des phénomènes climatologiques (cyclones, pluies torrentielles, mais aussi sécheresse prolongée) est directement liée au réchauffement de la planète. Tous les événements deviennent plus fréquemment extrêmes. C’est un fait. Les designs établis pour les faits exceptionnels (périodicité décennale, voire centennale) couvrent aujourd’hui l’intensité normale, alors qu’on peut s’attendre à bien pire… Les derniers cyclones sont passés relativement loin de nous et ont malgré tout causé bien des dégâts… S’ils avaient foncé droit sur nous ? Et s’ils étaient restés stationnaires comme Hyacinthe ?
L’ancien directeur de la météo, Soubiraj Sok Appadu, ne croit pas trop que le pays reçoit davantage de pluies ni même que les précipitations sont plus fortes, en raison, dit-il, de l’absence de chiffres et d’études scientifiques en ce sens. Quelle est votre opinion à ce sujet ?
Il y aurait certainement davantage d’études pour répondre à cette question si les données que collecte et dont dispose Météo Maurice étaient accessibles, au lieu d’être gardées jalousement. Certes, ces informations sont un trésor mais elles doivent pouvoir bénéficier gratuitement à tous. C’est du moins ma conception d’un service public. Son rôle est aussi de nourrir de données ceux qui en ont besoin pour établir des designs en conséquence. Aujourd’hui, le prix de ces données est exorbitant. De ce fait, presque aucun ingénieur ne les utilise, ce qui est dommage.
La construction de drains réglera-t-elle le problème ?
Améliorer et maintenir les systèmes de drainage est évidemment essentiel, mais ce n’est pas tout. La mise en place de bassins de retardement peut aussi aider. Mais, avant tout, on a pendant longtemps construit n’importe comment à Maurice, et souvent de façon très égoïste, en ne prenant pas en compte les éventuelles conséquences de chaque aménagement sur son voisin… Les lois d’urbanisme peuvent encore être améliorées, mais c’est surtout dans leur application qu’un effort doit être fait. Dans certaines zones de l’île, autoriser l’augmentation exponentielle des surfaces imperméabilisées sans adapter les réseaux d’évacuation d’eaux pluviales conduira inévitablement à des inondations de grande ampleur.
Les drains ne font-ils pas perdre l’eau que nous aurions pu récolter, notamment dans nos nappes phréatiques et dans nos réservoirs de surface ?
Napoléon disait, lors de la conquête de l’Égypte, que s’il devait gouverner ce pays, aucune goutte du Nil n’irait à la Méditerranée. Cette posture a du sens pour les pays souffrant d’un déficit hydrique chronique. Par exemple, en Israël, toutes les eaux de pluie sont canalisées pour être réinjectées dans la nappe côtière afin de lutter contre l’intrusion de l’eau de mer à l’intérieur des terres et permettre de maintenir l’exploitation des forages situés plus en amont sans compromettre la ressource. Je ne pense pas que cela soit utile à Maurice, car nous recevons une pluviométrie a priori largement suffisante. Toutefois, cette technique pourrait en partie aider à prévenir les inondations des zones résidentielles en arrière-plage construites très souvent sur d’anciennes zones humides qui ont été en partie comblées.
Nos réserves souterraines d’eau ont-elles été affectées ?
Évidemment, les nappes souterraines se trouvent normalement regonflées à bloc après ces grosses pluies, mais il faut se dire que les aquifères sont dynamiques et que cette eau finira assez rapidement à la mer si elle n’est pas pompée. Stratégiquement, il aurait fallu pou- voir privilégier l’exploitation de l’eau souterraine en saison pluvieuse tout en maintenant la capacité des réservoirs au maximum, ces derniers prenant le relais et une part plus conséquente en fin d’année, lors de la saison sèche… Malheureusement, l’architecture du réseau d’alimentation est établie depuis une époque où l’eau provenait seulement des réservoirs et où la population de l’île était moitié moindre.
Même si l’on construit des canalisations, peut-on mitiger la perte d’eau en construisant des bassins de rétention?
Les bassins de rétention ont essentiellement pour objectif d’écrêter un pic de crue, d’éviter que toute l’eau arrive d’un coup, de contrôler le débit arrivant en aval. Effectivement, il serait opportun de pouvoir aussi en garder un peu ou même d’en réinjecter une partie dans la nappe.
Et le bétonnage des berges des rivières comme au Gymkhana?
Le bétonnage des berges est quelque chose de courant, souvent pour protéger des crues les installations construites sur le lit majeur d’un cours d’eau (l’espace occupé par la rivière lors de très grosses crues). D’une manière générale, il est toujours préférable, si c’est possible, de laisser faire la nature plutôt que d’essayer de l’apprivoiser, de tenter de s’opposer à sa force potentiellement destructrice… Par ailleurs, le bétonnage d’une rivière règle très souvent un problème à un endroit spécifique, mais l’amplifie substantiellement plus loin en aval où l’aménagement se termine car en bétonnant, on accélère significativement la vélocité du cours d’eau et on lui donne beaucoup plus d’énergie pour éroder davantage les obstacles situés en aval direct de l’ouvrage.
Vincent Florens, de l’université de Maurice, nous rappelait récemment que «Maurice figure parmi les pays avec des surfaces dures les plus élevées au monde, plus de 9 % comparé à la moyenne mondiale qui est entre 0,25 % et 0,5 %» Il se basait sur une étude faite en 2017. Vos commentaires ?
Je ne connais pas cette étude mais je veux bien croire ces conclusions car elles ne font que chiffrer ce que chaque observateur peut constater. C’est un fait que nous n’avons pas encore commencé à payer le prix de cette urbanisation déraisonnée. Tout ce qui ne s’infiltre plus ruisselle. On augmente le volume et la vitesse de l’eau convergeant vers le point le plus bas. Aujourd’hui ce que l’on observe, c’est à qui fera le plus de remplissage pour que ce soit son voisin et pas lui qui se retrouve inondé. On ne va jamais s’en sortir comme ça. Et comme très souvent, il faudra attendre un drame pour que les choses commencent à bouger.
Il y a aussi la construction «sauvage» au bord des rivières… Qui est responsable ?
Les berges des rivières sont en principe bien protégées par la loi. Comme très souvent, c’est l’application de la loi qui fait manifestement défaut.
La conversion des terres agricoles et la destruction des forêts sont-elles responsables des cataclysmes que nous vivons ?
La conversion en elle-même n’est pas le problème mais plutôt celui de l’aménage- ment qui en découle, et du déséquilibre causé à la nature. Certains développements intègrent cette harmonie avec la nature et il serait idiot de ne pas les autoriser. À l’opposé, il faudrait pouvoir être plus exigeant, aussi bien au stade de l’obtention du permis de construction, et surtout plus contraignant lors du suivi de l’exécution. Les cataclysmes ne sont que la conjonction de phénomènes naturels de plus en plus violents sur lesquels nous n’avons que peu de contrôle et du degré de prise en compte de leurs conséquences dans la conception des aménagements réalisés.
Quels sont le rôle et l’importance des «wetlands».
Les wetlands ne sont que la réponse dont la nature s’est dotée pour réguler les flux d’eaux. La plupart des zones humides se trouvent en bord de mer, en général de l’autre côté de la route littorale qui emprunte typiquement la crête de la dune côtière. Elle correspond donc à une dépression topographique d’arrière-dune et son altitude est très souvent proche du niveau de la mer. La dune côtière faisant obstacle, les eaux de ruissellement se retrouvent ainsi piégées à l’arrière de la dune. Par ailleurs, cette topographie basse implique très souvent que l’aquifère soit très proche de la surface du sol, ou même affleure de façon saisonnière ou permanente, sous forme de source au fond des wetlands.
Ainsi, il s’agit d’une zone tampon permet- tant à l’eau terrestre (souterraine ou de surface) de rejoindre le milieu marin en fonction de la perméabilité des terrains traversés, le tout dans un équilibre des flux. Si la surface occupée par ces wetlands se trouve réduite, soyez sûr que le jour où la nature en aura besoin, elle reprendra ces espaces sans demander la permission.
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