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Crues éclair: le radar de la discorde
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Crues éclair: le radar de la discorde
Ces dernières semaines, les prévisions de la station météorologique de Vacoas ont été l’objet de toutes les railleries. Entre les avis de fortes pluies alors que les averses ont cessé depuis longtemps, ou encore, la levée d’un avis pour en émettre un autre deux heures après, les critiques n’ont pas tari. Au centre des débats, le radar de Trou-aux-Cerfs. Pourquoi tant de prévisions tardives alors que ce radar devait aider les météorologues à être plus précis ?
La présentation Le 3 avril 2019, le radar Doppler avait été inauguré. Lors de l’événement, une pluie d’éloges pour l’engin. Equipement unique dans la région, selon le Premier ministre. Ram Dhurmeea, alors directeur adjoint par intérim de la station, avait déclaré que ce radar devrait permettre de faire du «nowcasting», c’est-à-dire, prévoir des pluies ou des orages trois heures avant leur arrivée. Il devait aussi permettre d’estimer quelle partie d’un nuage comporte le plus d’eau ou encore, prédire quels endroits allaient avoir la plus forte pluviométrie. Quant aux cyclones, la donne devait changer. Le radar Doppler devait aider les prévisionnistes à suivre leur évolution loin des côtes et prédire la quantité de pluies. D’ailleurs, pendant la période d’essai, l’on savait déjà que le cyclone Gelena, qui était passé à l’est de Maurice le 8 février de la même année, n’allait pas aider les réservoirs.
Le radar devait aussi être le rayon de soleil qui devait sortir le pays de la grisaille des prévisions inexactes. Au Parlement le 13 septembre 2019, lors des débats de la Mauritius Meteorological Services Act, Etienne Sinatambou, le ministre de l’Environnement d’alors, avait déclaré, avec une pointe d’humour, qu’il «always takes these torrential warning rains from the Meteorological Services with some humour, because as soon as our friends from the Meteorological Services issue a warning of torrential rain, immediately the rain stops». Il avait poursuivi en disant qu’il espérait que le radar allait aider les météorologues à être «a bit more accurate» et aider à déterminer quels endroits étaient concernées par les pluies car il ne comprenait pas pourquoi lorsqu’il pleuvait à Souillac, par exemple, le pays tout entier était à l’arrêt.
Certes, le radar n’est pas une boule de cristal. Ce n’est pas dans ses attributions de prédire la quantité de pluie, mais il pouvait aider à estimer l’eau contenue dans les nuages, avait-il souligné. Mais prudent, il avait aussi dit, ce jour-là, «let’s see whether it will work or not, whether our people – I think they are here this afternoon – will know how to operate it properly (…)».
Les soucis
Malgré tous les éloges, il n’a pas fallu longtemps pour que les nuages assombrissent le rayonnement du radar. Plusieurs décisions de la station météorologique ont été fustigées. Récemment, les avis de fortes pluies étaient émis alors que les averses étaient déjà là. Dimanche dernier, plusieurs régions ont été en proie aux eaux et le lendemain, les écoles étaient fermées alors qu’il y avait du soleil pratiquement partout. Puis, jeudi, un avis de fortes pluies avait été émis à midi et enlevé 16 heures, mais à 18 heures, un autre a été émis. Dès lors, cette question revient sur le tapis. A quoi sert donc le radar ?
Un radar qui fonctionne
Prem Goolaup, directeur de la station météorologique de Vacoas, est stoïque face aux critiques. Selon lui, non seulement le radar est utilisé de manière optimale, mais les prévisionnistes font aussi leur travail. Mais encore une fois, il rappelle que le radar n’a pas de propriétés magiques. «Il est impossible de connaître précisément la quantité d’eau contenue dans un nuage, ni combien arrivera jusqu’au sol», relève Prem Goolaup. Une source au ministère des Collectivités locales, sous lequel tombent la National Emergency Operations Command et la météo, explique que les images donnent une indication de la teneur en eau, mais pas d’informations précises quant aux précipitations attendues, qui dépendent de plusieurs conditions, comme cela avait été mentionné lors de l’inauguration. Mais cela ne veut pas dire qu’il n’aide pas. Bien au contraire…
Si on ne peut pas prédire les précipitations, à quoi sert alors le radar ? Prem Goolaup explique tout la formation de nuages convectifs, responsable des pluies, ne peut être détecté par le radar. Ces nuages se forment lorsque l’air est très chaud au sol et très froid en altitude, et leur lieu de formation dépend du vent. C’est donc à travers ces données que la météo peut savoir où les nuages convectifs seront. Le chaud occasionne un fort taux d’évaporation et l’eau se condense en altitude. «Mais lorsqu’ils sont là, nous pouvons suivre les mouvements et les précipitations avec le radar, ce qui n’était pas possible avant», fait ressortir le directeur.
Autre changement est que la station de Vacoas peut savoir, avec certitude, quels endroits sont arrosés selon le déplacement des nuages. De ce fait, les bulletins émis précisent les régions touchées et ne concernent pas toute l’île, alors que ce n’était pas le cas avant. L’exemple concret qu’il cite est l’après-midi de jeudi dernier, lorsque le deuxième avis de fortes pluies a été émis. «Cela a commencé à Nouvelle-Découverte et Bois-Mangue, mais nous avons constaté que les nuages se déplaçaient vers le nord, d’où l’alerte pour cette zone. Auparavant, il nous était impossible de faire de telles prévisions.»
S’adapter au changement climatique
Si le radar est efficace, comment expliquer la levée de l’alerte à 16 heures et le nouveau à 18 heures jeudi dernier ? Cette fois-ci, l’explication est technique. Prem Goolaup avance que dans la matinée, le radar avait détecté la formation de nuages convectifs. Au même moment, sur les images satellites, les prévisionnistes ont constaté l’approche d’une ligne de grain, soit un phénomène instable et humide qui amplifie les nuages et cause les orages. Ces données de sources différentes ont permis d’émettre la première alerte et lorsque le ciel s’est éclairci, l’alerte a été enlevée. Mais peu de temps après, le radar a détecté la formation de nouveaux nuages convectifs et vers 18 heures, alors que la pluie a commencé à s’abattre, le deuxième bulletin a été émis.
Finalement, était-ce nécessaire d’avoir un radar au coût de plus de Rs 400 millions pour savoir que la pluie tombe ? Un facteur qu’il faut prendre en considération, rappelle Prem Goolaup, est le changement climatique. «Dans les livres, nous avons appris que les nuages convectifs prennent environ 30 minutes à 45 minutes pour se former. Mais jeudi après-midi, nous avons vu des formations en 10 minutes», souligne-t-il. De plus, ces nuages peuvent aussi se former sur terre, comme c’était le cas ce jour-là. Entre le moment de la formation et les pluies, il n’y a pas eu de temps pour prévenir car les nuages ne se sont pas beaucoup déplacés et se sont déversés peu après leur formation.
Autre exemple qu’il cite est Batsirai. Les tempêtes ont une moyenne d’intensification, et généralement, il est d’un point chaque 24 heures. Sauf que dans le cas de Batsirai, il est passé de tempête modérée à intense, soit une augmentation de plus de trois points, en 18 heures environ. «Ce type de phénomène extrême est impossible à prévoir», fait-il remarquer.
Face à ces conditions de plus en plus extrêmes, Prem Goolaup parle d’adaptation. «Nous sommes habitués à une pluviométrie normale, à des formations nuageuses normales, à ces cyclones normaux. Mais aujourd’hui, on voit le changement rapide.» Face à la situation, il n’y a pas plusieurs solutions : il faut s’adapter, et il est le premier à dire que ce ne sera pas une simple affaire…
Meilleure communication
<p>Il persiste et signe. La météo donne les informations qu’il faut. <i>«Il est donc emb</i><i>êtant d’entendre, à chaque fois, que nous ne prévenons pas. Les bulletins sont réguliers. Nous annonçons la pluie, mais pas la quantité», </i>observe Prem Goolaup. Cependant, il concède qu’il faut revoir les moyens de <a href="https://www.lexpress.mu/article/404494/post-batsirai-toujours-et-encore-lecons-tirer">communiquer</a> de la station car tout le monde ne visite pas le site à tout bout de champ pour s’enquérir de la situation. <i>«Je ne suis pas contre la </i><a href="https://www.lexpress.mu/article/350970/meteo-images-nouveau-radar-accessibles-au-public">démocratisation</a><i> de l’accès aux images démontrant le déplacement des nuages sur des zones précises. On va voir si cela peut être mis sur le site»</i>, rajoute-t-il.</p>
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